Parti et syndicat

Partager

Réflexions d’un camarade de l’ex-LCR 49 sur les rapports entre partis et syndicats. Un texte de formation et de débat.

PDF - 51.2 ko

PARTI ET SYNDICAT

Depuis le mouvement de grèves du printemps 2003, les militants d’extrême-gauche (de la LCR, mais aussi de LO) se sont vus souvent reprocher de « manipuler » leurs syndicats au profit de leurs organisations politiques. Tout cela au nom de « l’indépendance » desdits syndicats.

Pour nous militants révolutionnaires, doit-il y avoir « indépendance » des syndicats ? Et par rapport à qui ?
-   par rapport au patronat ? La réponse est évidente : oui, car on ne peut en même temps défendre les intérêts des salariés et ceux de leurs exploiteurs. Voir l’évolution dramatique de la CFDT..
-   par rapport à l’Etat ? Là aussi, la réponse est positive : l’intégration des syndicats à l’Etat bourgeois est incompatible avec une défense conséquente des droits des travailleurs, et l’exemple de l’intégration à l’Etat des syndicats des anciens pays du bloc soviétique montre clairement le chemin à ne pas suivre.
-   Par rapport aux partis politiques ? Là, les choses sont beaucoup moins claires. Ce qu’on peut dire d’emblée, c’est que la réponse ne sera bien évidemment pas la même s’il s’agit de partis « bourgeois » ou de partis « ouvriers ». En effet, le mouvement ouvrier et socialiste du 19ème siècle s’est construit en opposition aux partis du libéralisme bourgeois (relire de ce point de vue le Manifeste communiste de 1848).

De ce point de vue-là, nous sommes pour l’indépendance totale des syndicats de salariés par rapport aux partis politiques de la bourgeoisie : UMP, UDF, sans parler du FN ou du MNR. Problème : comment caractériser aujourd’hui le Parti socialiste, longtemps considéré comme un « parti ouvrier (par ses origines) bourgeois (par sa politique depuis 1914) » dans le mouvement trotskyste ? Laissons ce débat de côté pour le moment…

Notre problématique est donc : doit-il y avoir indépendance des syndicats par rapport au(x) parti(s) « ouvrier(s) » et socialiste(s) (au sens large) ?

Ce qui est certain, c’est qu’en examinant l’histoire concrète du mouvement ouvrier, on s’aperçoit que ce problème n’est pas simple, et qu’il a été posé de façon très différente selon les pays et les époques.

Un texte de référence : le préambule des Statuts de la Ière Internationale, rédigé en 1864 par Karl Marx :

« Considérant Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; Que la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière n’est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l’établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l’élimination de tout régime de classe ; Que l’assujettissement économique du travailleur aux détenteurs des moyens de travail, c’est-à-dire des sources de la vie, est la cause première de la servitude sous toutes ses formes, la misère sociale, l’avilissement intellectuel et la dépendance politique ; Que par conséquent l’émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ; Que tous les efforts tendant à ce but ont jusqu’ici échoué, faute de solidarité et d’unité entre les travailleurs des différentes professions dans le même pays et d’une union fraternelle entre les classes ouvrières de divers pays ; Que l’émancipation du travail, n’étant un problème ni local ni national, mais social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne, et nécessite pour sa solution le concours théorique et pratique des pays les plus avancés ; Que le mouvement qui vient de renaître parmi les ouvriers des pays les plus industriels de l’Europe, tout en réveillant de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas retomber dans les vieilles erreurs et d’unifier le plus tôt possible les efforts encore épars ; Pour ces raisons, L’Association Internationale des Travailleurs a été fondée. »

NB : les passages mis en gras l’ont été par moi. Référence : K. Marx, Friedrich Engels, Le syndicalisme, I, p. 55. Petite Collection Maspero, 1972

Précisément, la Ière Internationale, fondée en 1864, l’a été (entre autres) par des syndicalistes anglais, des socialistes allemands et des proudhoniens (partisans du théoricien français Pierre-Joseph Proudhon, un des « pères » de l’anarchisme) français. Dans le préambule cité ci-dessus, on ne distingue pas la lutte économique et la lutte politique, car elles sont considérées comme deux aspects d’un même combat ayant pour but « l’élimination de tout régime de classe », autrement dit la révolution socialiste, ou bien, comme le disaient les anciens statuts de la CGT, « l’abolition du salariat et du patronat ».

En Angleterre

La révolution industrielle a commencé en Angleterre, c’est là que sont apparus les premiers syndicats (autorisés dès 1824), des syndicats puissants, à cotisations élevées (pour financer des grèves dures), mais regroupant pour cette raison surtout des ouvriers qualifiés. Ces derniers obtiennent le droit de vote en 1867 par abaissement du cens électoral (niveau d’imposition en dessous duquel on n’a pas le droit de vote : les ouvriers les plus pauvres devront attendre le suffrage universel masculin en 1918, et les femmes ne voteront qu’en 1928). Ces syndicats sont aussi très réformistes : ils se « contentent » de réclamer des augmentations de salaires et la réduction de la journée de travail et sont liés au début au parti libéral, le parti d’alternance face au parti conservateur de droite. En 1906 pourtant, déçue par les libéraux, et sous la pression des syndicalistes les plus radicaux, la majorité des syndicats finit par décider de fonder un nouveau parti, le Labour party (Parti travailliste). C’est le parti de Tony Blair et Gordon Brown, au pouvoir aujourd’hui. Peut-on parler dans ce cas d’une « fusion » du syndicalisme et du socialisme ? En fait, le syndicats ont voulu avoir une représentation directe au Parlement, pour obtenir plus facilement des lois sociales. Ce sont eux qui financent (encore aujourd’hui) le Parti travailliste : quand on adhère à un syndicat, une partie de la cotisation est reversée au parti… L’explication de cette situation originale (pour nous autres Français) : à la fin du 19ème siècle, les groupes socialistes anglais étaient faibles, souvent sectaires et très divisés, donc incapables d’avoir des députés au Parlement. Cette situation évolue : la politique ouvertement pro-capitaliste de Tony Blair a provoqué une crise dans le « New Labour », et de leur côté les groupes d’extrême-gauche se sont rassemblés et ont même parfois obtenu des députés. Résultat : des syndicats se sont désaffiliés du parti travailliste, ou ont réduit fortement leur contribution. Ainsi, en juillet 2003, le congrès du RMT, le syndicat des Transports, réuni à Glasgow, a décidé de baisser sa contribution au Labour de 180 000 à 12 500 £ et d’établir des liens avec le SSP (Scottish Socialist Party d’Ecosse), les Verts et un parti nationaliste de gauche écossais, et un de ses dirigeants a même fait campagne pour le SSP. Visiblement donc, pour l’instant du moins, cela ne choque personne en Angleterre ou en Ecosse si l’on est à la fois dirigeant syndical et candidat de son parti aux élections. Il faut dire que dans ce cas de figure, la « courroie de transmission », pour reprendre l’expression consacrée, a au départ du moins fonctionné dans le sens syndicat ð parti…

En Allemagne

Dans ce pays, le Parti socialiste - ou social-démocrate - (SPD) est beaucoup plus ancien qu’en Angleterre : il a été fondé du vivant de Marx et Engels, en 1875 (Congrès de Gotha) par fusion des groupes existants, les uns se réclamant de Ferdinand Lassalle (un partisan du socialisme d’Etat), les autres du marxisme. Dès 1877, ce parti a 500 000 voix aux élections et 12 députés, dont 7 en Saxe. Dès l’origine, les syndicats lassalliens et marxistes fusionnent eux aussi, ce qui donne au syndicalisme allemand un profil complètement différent du syndicalisme anglais, la « courroie de transmission » fonctionnant souvent, encore aujourd’hui, dans le sens parti ð syndicat. De fait, ce sont des socialistes qui dirigent les syndicats. Cela dit, assez rapidement, les dirigeants syndicaux allemands ont entraîné le parti dans une dérive réformiste, et même « révisionniste » (c’est-à-dire de remise en cause des idées révolutionnaires marxistes), en particulier concernant l’idée de la grève générale, qu’ils rejetaient. Ainsi, au Congrès SPD de Mannheim en 1906, la majorité des délégués a fini par décider que sur cette question, une décision devait être prise « en commun » par les dirigeants du parti et ceux des syndicats. En réalité, les bureaucrates syndicaux allemands craignaient qu’une grève générale, donc une épreuve de force de l’ensemble de la classe ouvrière avec le patronat et l’Etat, ne remette en cause leur appareil. A l’époque, Karl Kautsky, « pape » de la social-démocratie internationale depuis la mort d’Engels en 1895, estimait au contraire que le SPD devait diriger les syndicats. Il était alors soutenu par Rosa Luxemburg, dirigeante de l’aile gauche du SPD, qui écrivait dans « Grève de masse, parti et syndicat » (un bilan de la révolution russe de 1905 à laquelle elle avait participé en tant que militante d’origine polonaise) que « le mouvement syndical est un morceau du socialisme. Qu’il ose donc paraître ce qu’il est ». Dans cet ouvrage, Rosa Luxemburg critiquait la bureaucratie syndicale, dénonçait « l’égalité des droits » entre le parti et les syndicats et refusait « la scission artificielle entre une prétendue conception syndicale du monde et la conception socialiste à propos des mêmes problèmes et intérêts généraux du mouvement ouvrier ».

En France

Les grèves n’y sont autorisées qu’en 1864 (par Napoléon III !) et les syndicats ne sont légalisés qu’en 1884 (IIIème République). A l’époque, le mouvement socialiste français est constitué d’une mosaïque de groupuscules ayant chacun plus ou moins leur « gourou », souvent une personnalité ayant participé à la Commune de Paris (1871) :
-  marxistes officiels regroupés dans le Parti Ouvrier Français fondé par Jules Guesde et Paul Lafargue (un des gendres de Marx),
-  marxistes indépendants et blanquistes du Parti Socialiste Révolutionnaire d’Edouard Vaillant,
-  socialistes ouvriéristes du POSR (Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire) de Jean Allemane (ancien de la Commune déporté pendant 10 ans au bagne de Nouvelle-Calédonie),
-  socialistes réformistes (« possibilistes ») de la FTS (Fédération des Travailleurs Socialistes) de Paul Brousse,
-  et enfin socialistes indépendants dont la figure principale est Jean Jaurès.

Les syndicats, de leur côté, sont restés éparpillés jusqu’à la création par les Guesdistes, en 1886, de la Fédération Nationale des Syndicats (FNS), sur le modèle des syndicats allemands. Le POF a fait ainsi reprendre par la FNS l’ensemble de ses mots d’ordre, et en particulier… les consignes électorales : voter pour le POF aux différents scrutins. De même, en 1895, au Congrès des syndicats du Textile, c’est Jules Guesde lui-même, qui était tout sauf salarié du textile, qui a fait le discours de clôture ! Quant aux municipalités « ouvrières » (c’est-à-dire dirigées par le POF, comme à Lille), les syndicats guesdistes y déconseillaient les grèves, comme à la Compagnie lilloise du tramway, le syndicat étant défini par eux comme devant servir de « conciliateur entre patrons et ouvriers »… Autre exemple de cette interpénétration entre partis et syndicats, c’est le Congrès international (marxiste) de Paris, qui réunissait des syndicats mais aussi des partis ouvriers, qui a décidé en 1889 à la fois de fonder la IIème Internationale (dont l’Internationale Socialiste actuelle est l’héritière directe), mais aussi de lancer des grèves chaque année le 1er mai pour obtenir la réduction à 8 heures de la journée de travail (à l’époque on travaillait couramment 10 h, 12 h, voire plus selon les pays). Cette mainmise « verticale » de l’appareil guesdiste sur une partie des syndicats explique qu’il ait considéré la création en 1892 par le syndicaliste révolutionnaire Fernand Pelloutier (1867-1901) de la Fédération des Bourses du Travail – structure de liaison horizontale – comme une machine de guerre contre la FNS. En outre, les dirigeants de la Fédération des BT étaient partisans de la grève générale… Toutefois, quand la Fédération des BT a demandé en 1893 à fusionner avec la FNS, les Guesdistes se sont trouvés minoritaires, ce qui a permis la fondation officielle de l’encore actuelle CGT (Confédération Générale du Travail) au Congrès de Limoges de 1895, par fusion des deux structures. Les Guesdistes ont voulu faire une scission, mais ils se sont retrouvés tout seuls… et ont été obligés de réintégrer ensuite la CGT, tant la volonté unitaire était forte.

Parallèlement, sous l’influence de Jaurès et de l’Internationale socialiste, les différents groupes socialistes ont fini par fusionner entre eux en 1905 pour former le Parti Socialiste unifié SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). Le syndicalisme et le socialisme se sont donc ainsi retrouvés unifiés, mais la nouvelle SFIO a vite été dominée par les idées et les pratiques réformistes et électoralistes (voir plus haut concernant les « marxistes » officiels du POF), dénoncées précisément par les dirigeants de la CGT, majoritairement partisans soit du syndicalisme révolutionnaire de Pelloutier (le vrai parti révolutionnaire, c’est le syndicat de classe), soit de l’anarcho-syndicalisme (le « noyau » anarchiste anime les syndicats), représenté à l’époque par Léon Jouhaux (1879-1954), militant à la fois du syndicat des Allumettiers et du groupe libertaire d’Aubervilliers dans la banlieue parisienne.

C’est cette méfiance de principe des dirigeants cégétistes envers le Parti socialiste (mais aussi envers les groupuscules libertaires qui s’empoignaient dans les structures syndicales), qui a été théorisée en « indépendance des syndicats par rapport aux partis » dans la fameuse « Charte d’Amiens », adoptée en 1906 par le Congrès de la CGT, et à laquelle on nous renvoie sans cesse en ce moment. Pour éviter les faux débats, en voici le texte intégral :

La « Charte d’Amiens » de la CGT (1906)

« Le congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2 constitutif de la CGT : la CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classes qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. Le congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat. Comme conséquence en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe en dehors. En ce qui concerne les organisations, le congrès décide que, afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors ou à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

J’ai souligné en gras dans le texte les passages qui montrent l’hégémonie du courant syndicaliste révolutionnaire dans la CGT de l’époque et l’idée que le syndicat se suffit à lui seul pour faire la révolution sociale. En gros, le syndicat est le seul vrai « parti de classe » des salariés, l’action des partis (socialistes) et des « sectes » (anarchistes) est plus que relativisée. Dans la pratique toutefois, cette conception a abouti à une sorte de partage du travail entre le syndicat (l’animation des grèves) et le parti (la participation aux élections).

Il faut préciser cependant que bien avant 1914, une partie des militants socialistes SFIO (l’extrême-gauche révolutionnaire dite « hervéiste » à cause de son chef de file, Gustave Hervé) se retrouvait déjà dans les critiques des syndicalistes révolutionnaires contre le réformisme de leur parti. Et plusieurs d’entre eux, dont l’instituteur angevin Louis Bouët, devenu communiste après la Première guerre mondiale, militaient d’ailleurs aussi dans la CGT. Cela dit, en 1914, la déclaration de guerre, le vote des crédits de guerre par les députés socialistes français et allemands ainsi que l’engagement de la direction de la CGT (Jouhaux en tête) dans « l’Union sacrée » avec la bourgeoisie dénoncée par Lénine et Trotsky ont complètement bouleversé les clivages dominant avant-guerre : désormais, et jusqu’en 1918, la CGT et le parti socialiste se sont divisés entre pacifistes et internationalistes d’un côté, et partisans de l’Union sacrée et de la poursuite de la guerre de l’autre. La révolution bolchévik russe (les « Bolchéviks » étant l’une des nombreuses tendances du socialisme russe au début du 20ème siècle) d’octobre 1917 accentuera ce nouveau clivage, cette fois entre partisans et adversaires du régime soviétique. On le sait, finalement, en décembre 1920, au congrès de Tours, la majorité des socialistes français a décidé de créer le Parti communiste, section française de l’Internationale communiste créée à Moscou en 1919, tandis que la minorité suivait Léon Blum pour faire scission et maintenir le Parti socialiste SFIO. Quelques mois plus tard, en 1921, la scission syndicale doublait la scission politique, la majorité réformiste de la CGT, derrière Jouhaux, excluant les révolutionnaires (communistes et anarchistes) qui se regroupaient dans la CGTU (Unitaire). C’est de cette époque, entre 1921 et la réunification syndicale de 1936, que date le double tandem CGT/parti socialiste SFIO d’un côté, CGTU/PCF de l’autre : des deux côtés, le système de la courroie de transmission a été singulièrement réactivé… En 1936, la réunification de la CGT n’a été possible qu’après que les dirigeants communistes de la CGT aient officiellement démissionné du Bureau Politique du PCF, au nom de « l’indépendance syndicale ». En fait, c’était complètement hypocrite, puisque tout le monde savait qu’ils continuaient de participer à cette instance. Quant à l’indépendance de la majorité de la CGT par rapport au Parti socialiste, elle était elle aussi toute relative. Après la Seconde guerre mondiale, ce double tandem va réapparaître en 1948, avec le début de la « guerre froide » entre les Etats-Unis et l’URSS, mais cette fois, ce sont les communistes qui, depuis la Résistance et la Libération, sont majoritaires dans la CGT, et les socialistes qui en scissionnent pour former la CGT-FO (Force Ouvrière), avec l’argent de la CIA transmis par des syndicalistes nord-américains…

Une Fédération de la CGT choisit alors l’autonomie pour éviter la scission et l’éclatement syndical dans son secteur, c’est la FEN (Fédération de l’Education Nationale), qui adopte malgré l’opposition du courant stalinien et grâce à un accord entre socialistes et syndicalistes révolutionnaires (l’Ecole Emancipée) le fonctionnement en tendances représentées dans toutes les instances, locales et nationales, proportionnellement à leur influence. L’actuelle FSU (Fédération Syndicale Unitaire) en est l’héritière, depuis la scission de la FEN en 1992 (celle-ci s’est faite à l’initiative des socialistes rocardiens qui ont fondé ensuite l’UNSA – Union des Syndicats Autonomes, qui est actuellement en processus de fusion avec la CGC – Confédération Générale des Cadres) ; c’est encore aujourd’hui le seul syndicat à fonctionner avec le droit de tendance reconnu dans ses statuts, même si ce fonctionnement n’est pas toujours satisfaisant. A partir de 1948, la direction communiste stalinienne de la CGT va lui imposer systématiquement le soutien aux initiatives du PCF : grèves « presse-bouton » décidées souvent pour des causes justes – lutte contre les guerres d’Indochine et d’Algérie, par exemple -, mais sans aucun débat démocratique interne, appel au vote PCF (au moins jusqu’aux Présidentielles de 1988) alors que la majorité des syndiqués CGT n’en est pas ou plus membre et vote de plus en plus socialiste ou extrême-gauche à partir des années 1970-1980. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, il n’est pas rare de voir des responsables locaux de la CGT se présenter aux élections sous l’étiquette PCF, sans que cela pose problème (du moins apparemment) dans leur organisation syndicale. Ainsi, en Maine-et-Loire, Laurent Girard, ancien secrétaire de l’Union Départementale, et Gérard Guillorel, secrétaire de l’Union Locale d’Angers, ont été candidats du PCF aux élections cantonales de 2001. Le lien CGT-PCF s’est également marqué par un refus de la CGT de lancer des mouvements de grève avant ou pendant les campagnes électorales majeures (législatives, présidentielles), par un coup d’arrêt à la grève générale de 1968 dès que de Gaulle a annoncé des élections anticipées, et par le refus de gêner les « camarades-ministres » quand ils étaient au gouvernement entre 1981 et 1984 (pas de soutien à la grève des cheminots quand Fiterman était ministre des Transports…).

Mais l’étude des rapports partis-syndicats en France serait incomplète si l’on n’évoquait pas aussi la CFDT. A l’origine, c’est un syndicat catholique, la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), créé par l’Eglise en 1919 pour affaiblir la CGT dans laquelle les révolutionnaires étaient de plus en plus influents (et à une époque où la révolution n’était pas un débat intellectuel, mais où elle était à nos portes, pas seulement en Russie, mais aussi en Allemagne et en Alsace). Après le second conflit mondial, ce syndicat s’est trouvé de fait lié étroitement au principal parti de droite issu de la Résistance, le MRP (Mouvement Républicain Populaire), dans lequel s’était engouffrée une partie de la bourgeoisie après l’effondrement de l’ancienne droite d’avant-guerre qui avait collaboré avec les nazis. Dans les années 1950-1960, un certain nombre de militants chrétiens ont évolué vers la gauche (tels Eugène Descamps, un ancien de la JOC – Jeunesse Ouvrière Chrétienne, mais aussi en Anjou Jean Monnier, secrétaire de l’UD CFTC puis CFDT qui deviendra en 1977 maire d’Angers), et ont voulu sinon couper, du moins distendre les liens avec le MRP ainsi qu’avec la hiérarchie de l’Eglise catholique. Ce sont eux qui ont obtenu du congrès CFTC de 1964 la « déconfessionnalisation » et l’adoption du sigle CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail). La nouvelle Confédération n’a pas hésité à prendre des positions politiques et à donner des consignes de vote, à l’instar de la CGT. Ainsi, pour les présidentielles de décembre 1965, elle a appelé à voter dès le premier tour pour François Mitterrand (alors candidat unique de la gauche, PCF inclus)… ou pour Jean Lecanuet, candidat du Centre des Démocrates, l’héritier du MRP ! Par la suite, à peu près jusqu’au milieu des années 70, la CFDT a marqué de plus en plus son ancrage à gauche, d’autant plus que son caractère plus ouvert y a attiré de nombreux militants exclus de la CGT par l’appareil stalinien et qu’une tendance de gauche y a développé les idées d’autogestion et se réclamait ouvertement de la lutte des classes. A cette époque, dans l’Ouest de la France, beaucoup de militants du PSU (Parti Socialiste Unifié créé en 1960 et autodissous fin 1988 dans l’Alternative Rouge et Verte, aujourd’hui « les Alternatifs » ) ont adhéré à la CFDT plutôt qu’à la CGT et y ont occupé parfois des postes de responsabilité. De ce fait, en 1968, la CFDT est apparue beaucoup plus en pointe que la CGT dans la grève générale, avec parfois un discours plus « révolutionnaire ». C’est à cette époque qu’elle a atteint son apogée, avec environ 1 million d’adhérents. Mais à partir de l’échec de la gauche aux législatives de 1978, la nouvelle équipe dirigeante, autour d’Edmond Maire, a lancé l’opération « recentrage » (soi-disant sur l’action syndicale), tissé des liens plus étroits avec le « nouveau PS » (créé par Mitterrand, Chevènement et d’anciens fondateurs du PSU sur les débris de l’ancienne SFIO complètement discréditée par son soutien à la guerre d’Algérie)… et entamé la « chasse aux coucous » (trotskystes). C’est cette évolution qui va mener en 1988 aux exclusions massives de syndicats entiers de la CFDT (notamment en région parisienne dans les PTT et la Santé), syndicats qui se sont regroupés aujourd’hui sous le sigle SUD (Solidaires, Unitaires et Démocratiques). Depuis cette date, la CFDT n’a pas cessé de glisser à droite, faisant l’analyse très politique qu’après la chute du Mur de Berlin et la disparition du « Rideau de fer » le capitalisme serait désormais un « horizon indépassable ». D’où le rapprochement avec le patronat, , la signature d’accords pourris avec le MEDEF à l’UNEDIC sur le dos des chômeurs puis des Intermittents du Spectacle, les blocs Notat-Juppé en novembre-décembre 1995 et Chérèque-Fillon au printemps 2003 et une nouvelle série de départs, volontaires cette fois, vers la CGT, la FSU ou les SUD (avec des structures entières, comme chez les cheminots ou les territoriaux). Arrivés à ce stade, on peut dire que la direction nationale actuelle de la CFDT est assurément indépendante des partis (de gauche et d’extrême-gauche). L’est-elle des partis (de droite), de l’Etat et du patronat, c’est plus que contestable… Mais depuis la signature de la « position commune » CGT-CFDT-MEDEF au printemps dernier sur la représentativité syndicale (texte qui incluait la remise en cause « expérimentale » des 35 h et dont le gouvernement s’est immédiatement emparé pour les faire sauter), la question se pose aussi désormais pour la CGT.

En guise de conclusion

La première chose à faire, quand nous discutons des rapports partis-syndicats, c’est d’envisager ce débat certes en fonction des débats théoriques rappelés au début de ce texte, et qu’il ne s’agit pas de perdre de vue, mais aussi en tenant compte d’un certain passif historique et du contexte qui est le nôtre : ni celui de l’Allemagne, ni celui du Royaume-Uni, qui ont préservé – pour le meilleur et pour le pire – l’unité syndicale, et qui n’ont pratiquement jamais eu de parti stalinien de masse voire hégémonique dans le mouvement ouvrier. Ainsi, nous évoluons aujourd’hui en France (et dans une moindre mesure en Italie et en Espagne) dans un paysage syndical de plus en plus éclaté, où le politique est ou a été tellement déterminant que pratiquement chaque parti a ou a eu son relais syndical. Et si la CGT veut afficher son indépendance vis-à-vis du PCF, comment faut-il interpréter la présence de Bernard Thibault au congrès du PS en 2003 ? Le PS a perdu les liens plus ou moins étroits qu’il avait eus avec FO à une certaine époque, avec la CFDT ensuite. Cherche-t-il à se refaire des relais dans le monde du travail en se rapprochant de la direction de la CGT, ce n’est pas douteux. Ce qui est sûr en tous les cas, c’est que l’émiettement nuit au syndicalisme. A preuve, le nombre de syndiqués qui globalement ne cesse de baisser, les gains des uns ne compensant pas les pertes des autres. En clair, les SUD ou la FSU n’ont pas récupéré tous les déçus des deux grands syndicats des années 60-70, la CGT et la CFDT. Cette méfiance et cette désaffection ne sont pas étonnantes : comment ne pas se révolter quand on est cégétiste socialiste, écolo ou trotskyste et que la direction confédérale appelait sans débat à voter Marchais ou Lajoinie alors que d’autres candidats de gauche (Mitterrand, René Dumont, Alain Krivine, Arlette Laguiller, par exemple) étaient en lice à l’élection présidentielle ? Comment ne pas être écoeuré de voir l’appareil syndical, destiné en principe à soutenir les luttes sociales, servir de marche-pied aux ambitions carriéristes, politiciennes de quelques bureaucrates (tel le secrétaire général de la FEN, André Henry, nommé ministre du Temps Libre au lendemain de la victoire de la gauche en 1981 ou Chérèque père passant directement de la Fédération de la Métallurgie CFDT au corps préfectoral) ? A cette méfiance envers la gauche traditionnelle (PS, PCF) s’ajoute aussi hélas, mais dans une bien moindre mesure, celle qu’ont pu malheureusement entretenir, surtout dans les années 70-80, les nombreuses querelles entre groupes d’extrême-gauche (maoïstes, trotskystes, bordiguistes, anarchistes) trop souvent soucieux de « marquer » le ou les groupes concurrents (en particulier dans les syndicats de l’Education Nationale) plutôt que d’aider à faire converger les énergies. Aujourd’hui, le paysage politique à gauche du PS ou du PCF s’est heureusement décanté, mais ces empoignades ont quand même laissé des traces dans toute une génération.

Remarquons au passage que c’est vraisemblablement aussi ce passif global qui explique pour une part l’hésitation de nombreux syndicalistes qui ont rompu avec la gauche gouvernementale, ou d’animateurs du « mouvement social », à rejoindre un parti d’extrême-gauche. D’où la difficulté que nous avons encore en Maine-et-Loire à donner corps à cette « nouvelle force politique anticapitaliste », le fameux NPA, qui devrait selon nous permettre de dépasser le clivage lutte économique/lutte politique.

Cela dit, le combat que nous avons à mener en France, aujourd’hui, est plus complexe que celui proposé par Trotsky dans son texte de 1940 sur « les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste ». Dans ce petit texte, il décrivait bien la tendance à l’intégration des syndicats à l’Etat et proposait deux grands axes : 1 – combattre pour l’indépendance complète des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste, 2 – lutter pour la démocratie dans les syndicats. Pour Trotsky, qui se situait dans la tradition marxiste évoquée plus haut, les syndicats ne peuvent être « neutres » dans les luttes politiques, et les révolutionnaires doivent arracher la direction des syndicats de masse aux dirigeants réformistes et aux bureaucrates. Cette vision des choses impliquait, en l’absence de démocratie interne aux syndicats, et pour éviter autant que possible l’exclusion des militants révolutionnaires, de constituer des « fractions syndicales » clandestines.

Aujourd’hui, plusieurs questions se posent donc :

-  pour renforcer le syndicalisme et combattre plus efficacement le capitalisme et l’Etat bourgeois, faut-il toujours revendiquer la réunification syndicale dans une centrale unique et démocratique ? Faut-il réclamer dans les syndicats le droit de tendance tel qu’il est appliqué dans la FSU actuellement (dans les années 60-70, le fonctionnement en tendances de la FEN était pour ainsi dire érigé en modèle indispensable pour pouvoir rétablir l’unité syndicale), alors qu’il n’existe pas dans les syndicats SUD qui pourtant sont souvent animés par des militants anticapitalistes ?
-  un travail de fraction des révolutionnaires dans les syndicats est-il toujours, dans tous les cas de figure, nécessaire ? Compte-tenu du paysage syndical actuel, tous les syndicats sont-ils à mettre dans le « même sac » bureaucratique ?
-  comment éviter la tendance à la bureaucratisation des syndicats : rotation des dirigeants, refus des permanents à plein temps pour garder le contact avec les travailleurs de base, démocratie directe, fonctionnement en Assemblées générales, comités de grève représentants tout le personnel et pas seulement la minorité syndiquée, coordinations entre différents secteurs en lutte ?
-  peut-on être responsable syndical (départemental, par exemple) et se présenter aux élections sous une étiquette politique ?

Autant de questions à débattre entre nous…

Frédéric – septembre 2004 – revu et complété en septembre 2008

1er septembre 2008