L’Université d’Angers s’enfonce dans la crise

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Les effets d’annonce du gouvernement ne suffisent plus à cacher l’incroyable attaque contre le service public d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) à l’œuvre au nom de l’austérité et grâce à la loi LRU. L’Université d’Angers est en première ligne, avec un déficit de plus en plus abyssal. Elle vient de refuser (le 18 décembre) le budget de régression que lui imposent le Ministère et le recteur. Les injonctions de ceux-là sont en effet révoltantes : réduction de la masse salariale et des emplois, réduction de l’offre de formation, accroissement des “ressources propres” (comme si le service public devait se financer lui-même en augmentant par exemple les droits d’inscription au lieu d’être financé par l’impôt). D’ores et déjà l’intersyndicale des personnels appelle à la mobilisation. Il y a urgence !

Ce 19 décembre, le président de l’Université d’Angers, qu’on ne peut pas soupçonner de gauchisme, a adressé un courrier des plus ferme aux personnels de l’Université et a rendu publique une lettre ouverte à Mme la Ministre de l’ESR qui ne s’embarrasse guère de diplomatie. [1]. La menace d’une fermeture administrative de l’université en janvier 2013 est implicitement avancée.

C’est que l’équipe aux commandes de l’université d’Angers (UA) a le sentiment de s’être fait rouler dans la farine par le MESR... Celui-ci reconnaît depuis longtemps à l’UA des conditions d’existence plus défavorables que la moyenne (avec notamment un déficit d’au moins 300 postes). Cependant, la situation de plus en plus déficitaire de l’établissement ne l’a conduit jusqu’à présent qu’à exiger de l’UA des plans successifs d’économie. Les budgets des facultés ont été réduits d’au moins 10%. Des TD ont été surchargés. Des options ou filières n’ont pas ouvert au prétexte d’effectifs “insuffisants”. L’été dernier, un plan social de 45 contractuels non renouvelés (finalement ramené à 22 après mobilisation de l’intersyndicale et des personnels) a défrayé la chronique. À la rentrée 2012, un mouvement étudiant a émergé en Faculté de Lettres contre les conditions de la rentrée (notamment contre un numerus clausus imposé de fait aux étudiants de 1ère année de psycho, mais aussi devant la dégradation des locaux qui a conduit à la fermeture de salles et même du grand amphi de Lettres).

Toutefois, à la suite du changement de gouvernement et des annonces faites par la nouvelle ministre, un certain nombre d’universitaires a cru au desserrement de l’étau financier. C’est ainsi qu’à la mi-novembre s’est répandue la fausse bonne nouvelle : 35 postes étaient accordés à l’université d’Angers sur 1000 créés au niveau national. Le compte rendu de l’entrevue de l’université avec les représentants du MESR, tel que le recteur l’a depuis fait connaître, montre que le piège dans lequel l’université d’Angers est tombée était déjà en place. Il y est mentionné que les 35 postes étaient créés “à condition que les emplois ne soient pas ouverts au recrutement”. La masse salariale correspondante devait “participer” à l’équilibre financier et la “poursuite des économies” (euphémisme pour dire : non renouvellement de contrats de contractuels, dégradations des conditions d’étude des étudiants, etc.) devait “témoigner” des efforts de l’université auprès des technocrates ministériels. Les responsables de l’université se sont néanmoins estimés heureux car ils pensaient que l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement de l’établissement (DGF) tiendrait compte d’une inflation à 2% et intégrerait dans sa dotation salariale : [2]
-  le vieillissement des personnels et les augmentations salariales qui en résulte, ce qu’en jargon administratif on nomme GVT, ou glissement vieillesse technicité. [3]
-  la totalité du compte d’affectation spéciale Pensions (CAS-Pension) qui intègre les cotisations sociales de l’employeur et des salarié(e)s [4]

L’équipe de direction de l’Université d’Angers aurait dû être plus attentive à un autre passage du compte rendu : “L’équilibre budgétaire sera construit avec le recteur en utilisant, comme dans d’autres établissements, la masse salariale d’un nombre suffisant d’emplois vacants (préexistants et nouveaux)”. Or, utiliser la masse salariale d’un emploi “préexistant” pour autre chose qu’un emploi, c’est supprimer un emploi ! Les documents budgétaires présentés au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) par le MESR explicitent le tour de passe-passe du ministère.

Mensonges et vieilles ficelles

Officiellement, le budget de l’UA augmente de 2,35% et 35 postes sont créés. Mais dans les faits les crédits correspondants aux 35 postes sont inclus dans les 2,43%, contrairement à ce que le ministère avait laissé entendre aux responsables de l’université à la mi-novembre. Sans ces postes gelés, l’augmentation n’est que de 1,45%. La ministre veut donner l’impression d’un budget progressant plus vite que l’inflation et d’un rattrapage des déficits en personnels. Mais aucun poste n’est destiné à être pourvu et l’augmentation du budget est inférieure à l’inflation alors que le budget 2011 s’était déjà révélé largement déficitaire. Le CAS-pension n’est couvert qu’à 69%. Le GVT n’est pas couvert. Les déficits sont donc appelés à se creuser, sauf à fermer des formations, licencier des contractuels (40% des effectifs des personnels administratifs et technique), à vendre au prix fort de la formation continue, à augmenter les droits d’inscription, à “geler” des postes devenus vacants après départ en retraite ou mutation ou promotion.

On comprend dans ces conditions que tout l’effort de Mme Fioraso, ministre de son état, porte sur la communication. Il s’agit de faire croire que l’État fait du supérieur (et de l’éducation nationale) une exception à l’austérité imposée. Mais c’est l’austérité la plus dure qui s’applique partout. C’est pourquoi le budget a été rejeté par le CNESER (hélas, ce conseil élu n’émet qu’un avis consultatif [5]).

Dans le cas d’Angers, la ministre et son équipe (constitué des tous les hauts fonctionnaires déjà en place sous le précédent gouvernement et de quelques universitaires compromis jusqu’au cou dans la LRU) se proposent sans doute de continuer le grand ménage commencé par la communicatrice en chef du sarkozysme universitaire qu’était V. Pécresse : liquider toutes les petites et moyennes universités “généralistes” jugées trop coûteuses et mal situées géographiquement tout en jurant du contraire. Cette politique va à l’encontre d’un service public maillant le territoire et offrant ainsi au plus grand nombre la possibilité (déjà trop restreinte) d’accéder à des études supérieures. Pour les personnels de l’Université d’Angers, il s’agit maintenant de faire connaître l’entourloupe et la manipulation mensongère des chiffres par le ministère au regard de la réalité des faits. Contre l’austérité, les luttes ne font que commencer...

19 décembre 2012, par NPA 49

[1] Courrier de Jean-Paul SAINT-ANDRÉ, Président de l’Université d’Angers
-  Madame, Monsieur,
-  Nous affrontons depuis plusieurs mois des difficultés financières importantes que notre récente notification de crédits 2013 semble avoir ignorées en dépit de tous nos efforts et des annonces faites par notre ministère de tutelle. En effet, notre dotation ministérielle augmente trop peu pour soutenir le plan de retour à l’équilibre proposé par l’Université d’Angers sur les trois prochaines années et diminue même à périmètre constant de 0,6% par rapport à 2012, malgré l’obtention du financement de 35 nouveaux postes l’année prochaine.
-  Dans ces conditions, et considérant que la situation était très critique et qu’il convenait de reconsidérer nos moyens à l’aune des mesures déjà prises et de la dégradation de notre fonctionnement, le conseil d’administration n’a pas voté le budget 2013 et a adopté une lettre ouverte à la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche pour l’interpeller sur notre situation actuelle et lui demander de réouvrir une concertation dans les meilleurs délais.
-  L’équipe de direction, le Conseil d’administration et l’ensemble des élus locaux qui nous soutiennent restent pleinement mobilisés et combatifs pour que soit enfin reconnue notre sous-dotation par l’attribution d’un budget à la hauteur de nos ambitions et de nos missions de service public.
-  Je sais aussi combien, au travers des efforts que chacun a pu réaliser cette année, notre communauté demeure impliquée et volontaire pour s’en sortir mais que notre avenir ne se dessinera pas à n’importe quel prix, notamment à celui du gel de postes de titulaires ou de suppressions de supports contractuels qui ne feraient que nous enfoncer un peu plus la tête sous l’eau. En cette période de légitime incertitude, je tenais ici à vous délivrer un message d’optimisme et d’espoir ainsi qu’à vous remercier pour votre confiance témoignée à l’égard de vos instances dirigeantes en vous assurant que nous faisons tout pour construire un avenir meilleur, commun et pérenne.
-  Je vous invite à une réunion d’informations le mardi 8 janvier 2013 à 12h00 à la Faculté de Droit, économie et gestion, amphi Bodin.
-  Je vous souhaite, à toutes et à tous, de très belles fêtes de fin d’année.

[2] Cette “masse salariale” constitue la plus grande part du budget depuis que la loi LRU et ses “responsabilités et compétences élargies” ont transféré aux établissements la gestion des salaires de ses fonctionnaires. Lorsque ce transfert a eu lieu, les syndicats l’avaient dénoncé comme un moyen de faire gérer la pénurie par les établissements eux-mêmes en les incitant à puiser dans cette masse salariale pour combler les déficits. Nous y sommes...

[3] L’université d’Angers a beaucoup recruté au début des années 1990. Aujourd’hui ces personnels ont progressé dans leurs carrières sans atteindre la retraite qui libérerait des postes pour des jeunes mal payés. De là résulte un fort “GVT”.

[4] Le CAS-Pension résulte de l’article 21 de la LOLF et a été créé par l’article 51 de la loi de finances 2006 dans l’optique technocrato-libérale typique du sarkozysme, mais qui se poursuit aujourd’hui.

[5] Le CNESER a enregistré ce lundi un vote défavorable des organisations syndicales et a donc rejeté la répartition des moyens 2013 pour les universités (sans le vote des étudiants, suite à l’invalidation des élections étudiantes du CNESER, cela donne : pour 5 - contre 22 - abstention 8). En effet, une augmentation de 2.2% ne permettra pas de compenser les dépenses supplémentaires des universités, estimées à 240 millions d’euros en 2013. Les crédits nets alloués aux universités vont en réalité diminuer.
-  MOTION sur le BUDGET des UNIVERSITÉS - CNESER PLENIER du 18 DECEMBRE 2012
-  L’enseignement supérieur n’est pas épargné par les nouvelles coupes dans les dépenses publiques. Si le budget global est annoncé en augmentation de 2,2 %, avec une globalisation de la masse salariale et des crédits de fonctionnement, les prévisions de budget dans les établissements et les laboratoires sont loin de permettre d’assurer un financement correspondant aux besoins. Plus grave, elles font apparaître des diminutions de crédits au détriment des formations et de la recherche.
-  En effet, stable en valeur, le budget de la MIRES 2013 inclut les cotisations en augmentation pour les pensions. Il est basé sur un glissement vieillesse technicité (GVT) prévu à zéro et intègre des montants engagés sous la précédente législature. Dans les faits, l’insuffisance des dotations budgétaires des établissements va accroître les restrictions (gels d’emplois, suppressions d’heures d’enseignement et de formations, augmentation du nombre d’étudiants par groupe, non-respect des maquettes, investissements reportés...). Ainsi, le CNESER regrette que des établissements, pour voter un budget en équilibre, continuent à prendre des mesures d’austérité, notamment de gels d’emplois de toutes catégories (par exemple, 41 postes gelés à Strasbourg, …), qui augmentent encore le nombre de postes gelés estimé à 1500 et vont à l’encontre de l’objectif affirmé d’améliorer la réussite des étudiants.
-  Pendant que les établissements sont poussés à gérer la pénurie, le CNESER doit débattre des dotations, alors que les documents, n’ont été communiqués que 3 jours avant la réunion et ne font apparaître aucun détail (équipement, fonctionnement, emplois, financement extra budgétaire…). Le CNESER déplore l’absence de transmission d’indications précises. C’est notamment le cas pour la répartition de la masse salariale correspondant aux 980 nouveaux emplois du MESR (57 200€ en année pleine par emploi) : près de 80% d’entre eux ont fait l’objet d’une répartition particulièrement floue, exempte de cadre national arithmétiquement vérifiable, concoctée avec la seule CPU ; de plus, le CNESER n’a toujours connaissance d’aucune indication concernant les 20% restant.
-  Le CNESER considère que ces créations d’emplois - si tant est qu’elles aient bien lieu et ne s’accompagnent pas de suppressions d’ATER ou de contrats doctoraux - au mieux empêcheraient de nouveaux gels d’emplois, et sont passablement insuffisantes, notamment pour résorber la précarité. La nécessaire résorption de la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche rend urgente la création d’emplois de titulaires à la hauteur des enjeux ; faute de quoi, les non-renouvellements de contractuels, leur interdisant d’être éligibles à la titularisation et à un contrat à durée indéterminée, vont se poursuivre.
-  En demandant solennellement de voir les moyens des universités renforcés, notamment en termes de masse salariale permettant de titulariser tous les BIATSS et les ITA, ainsi qu’un plan pluriannuel de recrutement de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, le rapporteur des Assises, Vincent Berger, pointe l’urgence de programmer pour les prochaines années des moyens à la hauteur des besoins de la communauté universitaire et scientifique. Le CNESER reprend à son compte cette exigence.
-  Le CNESER refuse de voir réduire le nombre de postes, diminuer les crédits de formation et de recherche dans les établissements et de voir les universitaires engagés dans une course incessante aux financements, qui les contraint à multiplier les réponses aux appels d’offre au détriment de leurs missions d’enseignement et de recherche. Le CNESER exige que chaque établissement, dispose des moyens d’exercer ses missions. Dans l’immédiat, cela nécessite de donner dans l’urgence les ressources nécessaires aux établissements notamment pour faire face aux situations de déficits. En outre, le CNESER demande que soit créée une commission en son sein, dotée de moyens, sur les mécanismes de régulation nationale de répartition des dotations aux établissements, qui prenne en compte leurs besoins et la nécessité de réduire les inégalités criantes entre établissements.
-  SNESUP, SNASUB, FSU, CGT, FERC SUP CGT, UNSA, SGEN_CFDT, SUP AUTONOME, QSF, UNEF
-  Motion adoptée : pour 29 - contre 0 - abstention 11