Université d’Angers (et d’ailleurs) en danger

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Négociés dans l’urgence et dans un secret quasi-absolu, les regroupements forcés d’universités et d’établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche vont bouleverser le paysage universitaire et le service public. Au déni de démocratie et à la menace qu’ils constituent, il est urgent d’opposer les demandes les plus élémentaires de débat et de réflexion sur les objectifs réels, ultra-libéraux, de la loi Fioraso qui impose ces regroupements. Analyse...

Il y a bientôt un an, le 22 juillet 2013, la promulgation de de la loi-cadre sur l’enseignement supérieur et la recherche (loi ESR, dite encore loi Fioraso ou LRU2), était le dernier mauvais coup en date d’une décennie et demie de déréglementation du système universitaire en France. [1] Promue par le PS [2] sous la houlette d’une ministre connue pour ses options ultra-libérales et productivistes, [3] la loi Fioraso ne remettait absolument pas en cause l’autonomie budgétaire de la loi LRU de l’UMP Pécresse et les encouragements à la spécialisation des universités en fonction des injonctions patronales et régionales. Elle était plutôt le second étage de ce missile de destruction massive de l’université.

On en voit aujourd’hui les conséquences néfastes à travers les regroupements forcés des universités à un niveau régional ou interrégional. Une des fonctions de la LRU2 est effet d’obliger les universités à fusionner ou à se regrouper selon des logiques purement technocratiques, articulant austérité et compétitivité. De surcroît, le délai pour y parvenir est extrêmement court : avant le 22 juillet 2014 ! Depuis des mois, les présidents d’université s’activent en secret dans ce but, ne délivrant que des informations parcellaires à leurs propres conseils d’administrations et, au mieux, se contentant d’opérations éparses de “communication” en direction des personnels. Sous la tutelle du ministère, qui surveille étroitement l’évolution des projets, sous la pression des lobbys patronaux et régionaux, ce sont de véritables monstres bureaucratiques qui émergent sur les ruines des universités. Ainsi en Bretagne et Pays-de-la-Loire, ne sont-ce pas moins de 7 universités (Nantes, Angers, Le Mans, Rennes 1 et 2, Brest et Vannes-Lorient) et un nombre encore indéterminé d’écoles supérieures qui formeraient une “communauté” (COMUE) sous la tutelle d’un lointain Conseil d’administration central où la représentation des personnels ne permettrait guère d’empêcher les dérives prévisibles. [4] En l’absence de mobilisation des universitaires et des étudiants, il est à craindre que les CA des universités et établissements, qui ne sont généralement que des pseudo-parlements godillots des présidents d’université, [5] votent les statuts de “leur” COMUE. [6] Or, une fois que ces statuts auront été votés, les universités et établissements auront perdu une grande part de leurs prérogatives et ne pourront plus divorcer de la COMUE. Ce vote sera donc celui de la servitude “volontaire”.

La COMUE pourra à sa guise “coordonner” les formations (traduire : spécialiser chaque établissement dans un certain nombre de disciplines et les contraindre à fermer les formations qui n’entrent pas dans le cadre de cette spécialisation) en fonction des schémas régionaux de “spécialisation intelligente” (smart specialization) des territoires. Il en sera de même en recherche. Le regroupement ligéro-breton (dénommé “Université Bretagne-Loire” ou UBL) prévoit même des “Collegia” interdisciplinaires pour aiguiller les travaux de recherche autour de thèmes privilégiés par les technocrates régionaux et les milieux patronaux (ainsi le “végétal” et la santé devraient-ils encore plus qu’aujourd’hui tenir le haut du pavé à Angers). Derrière ces objectifs de “rationalisation”, c’est la fin du service public de proximité qui se confirme. L’éventail des choix disciplinaires offert aux étudiants à proximité de leur domicile est destiné à se refermer. Quant à la liberté de recherche, déjà bien entamée par les réformes de son financement (par projets à court terme au lieu du financement récurrent antérieur), elle va être une fois de plus rognée au nom de “l’efficacité”, de la “compétitivité”, de la prétendue “excellence” et autres slogans fallacieux dont les capitalistes et leurs valets abreuvent la population jusqu’à la nausée...

Le pire peut pourtant être évité. La dénonciation de la logique globale de la loi Fioraso est faite par tous les syndicats (FSU, CGT, FO, Solidaires, Sup’Recherche UNSA, SNPTES) hormis ceux qui jouent le rôle de courroie de transmission du PS (une grande partie de l’UNSA, majoritaire chez les personnels non-enseignants, et CFDT, très faible dans le sup). Hélas, elle se heurte à la faiblesse actuelle du mouvement social et au souvenir, chez les enseignants-chercheurs, de l’échec de la lutte de 2009 contre le décret Pécresse et la réforme de mastérisation. L’idée “raisonnable” d’un moratoire d’un an sur les regroupements défendue par plusieurs réseaux et le SNESUP-FSU pourrait cependant rencontrer un certain écho. [7] Elle a déjà été votée par les CA de plusieurs universités (dont celui du Mans en Pays de la Loire). Cette revendication adressée au ministère satisfait en effet toutes celles et tous ceux qui ont ouvert les yeux sur l’incroyable déni de démocratie à l’œuvre dans les processus de regroupements, alors même que le sort du système universitaire est engagé. Il est en effet hallucinant qu’un mois avant la date butoir légale du 22 juillet, le projet de statuts de l’UBL n’ait toujours pas été rendu public. Même les membres des CA de Bretagne et des Pays de la Loire n’ont pu les lire ! Si le Ministère semble avoir récemment promis aux présidents que les statuts pourraient être votés au-delà du 22 juillet, il n’a fait que montrer sa volonté d’enfumage et son mépris de la légalité. Ce n’est pas un simple délai qui permette de caler les virgules dans les statuts dont les universitaires ont besoin. C’est un véritable débat qui est nécessaire et un véritable débat a besoin de temps, loin des impératifs totalitaires de l’urgence que le Ministère utilise pour manipuler les équipes présidentielles des universités. Il faut un moratoire sur les COMUE, et un an ne sera pas de trop !

10 juin 2014, par NPA 49

[1]
-  En 1999, le ministre de l’Éducation nationale, Claude Allègre (PS), appela avec ses homologues allemand, britannique et italien à la construction d’un « espace européen de l’enseignement supérieur » (EEES). Un document commun, adopté par 29 pays, lança le « processus de Bologne ». Il préconisait la diversification des sources de financement des universités (leur marchandisation) et entamait une première déréglementation des diplômes. Son objectif assumé était de “concurrencer” les universités des États-Unis et des pays émergents, en créant quelques grands pôles compétitifs susceptibles de vendre leurs formations et leurs travaux de recherche. C’est ce que les technocrates libéraux ont nommé “l’économie de la connaissance”.
-  En 2002, son successeur Jack Lang (PS également) introduisit la réforme « licence-master-doctorat » (LMD) et la “semestrialisation” des enseignements. Les diplômes sont depuis composés de “crédits”, les ECTS, correspondant plus ou moins à un nombre d’heures d’enseignement (en effet, une heure servant à comptabiliser les ECTS ne signifie pas obligatoirement une heure de cours en présence d’un enseignant ; l’attribution des ECTS prend aussi en compte le temps de travail personnel des étudiants). Cette conversion du qualitatif (le diplôme et son contenu) en quantitatif (le nombre de crédits, supposés interchangeables) fut le début d’une folle déréglementation : chaque université pouvait désormais varier, selon ses moyens et ses choix, le contenu de ses formations (nombre de matières et d’« enseignements complémentaires », organisation des emplois du temps et des modalités de contrôle des connaissances...). C’était, de fait, un sérieux coin enfoncé dans le cadre national des diplômes. Or, celui-ci est le garant d’une reconnaissance sur le marché du travail de garanties collectives sociales...
-  En 2007, dès le début du règne de l’UMP Sarkozy, sa ministre Valérie Pécresse faisait voter la loi « relative aux libertés et aux nouvelles responsabilités des universités » (LRU). En attribuant aux établissements la gestion de la masse salariale des fonctionnaires d’État qui y travaillent, la loi LRU leur confie un budget “global” regroupant salaires et dotation globale de fonctionnement (DGF). Elle leur laisse le soin de décider des ressources humaines et des primes, de recruter sur fonds propres des personnels techniques, enseignants ou chercheurs, en CDD ou CDI de droit public (non fonctionnaires) ou de les licencier. De plus, la part de la DGF dans le budget étant devenu très minoritaire, il devient possible de la diminuer sans que cela bloque immédiatement le fonctionnement des établissements. C’est le point de départ de la crise budgétaire qui aujourd’hui débouche et sert de justification aux politiques d’austérité dans les universités (par exemple, elle justifie le “gel” de postes de fonctionnaires et l’utilisation de leur masse salariale pour combler les déficits ; c’est notamment le cas à Angers).
-  Au printemps 2009, le décret d’application de la LRU sur le statut des enseignants-chercheurs, rapidement nommé “décret Pécresse”, prévoyait que ces derniers se verraient attribuer par leurs présidents un nombre variable d’heures d’enseignement en fonction de leur “productivité” en recherche. Tout le monde comprit qu’il s’agissait en réalité d’alourdir les services des enseignants pour faire des économies, quitte à ce que leurs activités de chercheurs périclitent. Hélas, le grand mouvement de protestation des enseignants-chercheurs qui en résulta ne permit d’arracher que des garanties fragiles et un moratoire sur “l’évaluation” individuelle récurrente qui devait servir de justificatif à la “modulation des services”. Ce moratoire est aujourd’hui menacé par un nouveau décret reprenant, à des variantes de vocabulaire près, le fameux décret Pécresse (quoique n’ayant obtenu aucune voix au Comité technique universitaire, qui l’a rejeté, ce “décret Fioraso” est en passe d’être publié...)

[2] Notamment par le député PS du Maine-et-Loire, Serge Bardy, rapporteur de la commission parlementaire. Celui qui il y a quelques années -avant le référendum sur le TCE en 2005- s’affichait comme un militant d’ATTAC 49, n’a pas hésité une seconde à porter une loi de détricotage du service public, au service des intérêts marchands !

[3] À Grenoble, G. Fioraso a de façon très significative été surnommée “Miss Dollar”. De 1989 à 1995 en effet, cette titulaire d’une maîtrise d’économie a fait partie, avec son compagnon Stéphane Siebert (plus tard directeur délégué de la recherche technologique au CEA), de l’équipe de direction d’une start-up du CEA, Corys. La start-up capota dans des conditions peu glorieuses (voir article) mais cela ne découragea pas G. Fioraso qui veut aujourd’hui former les élèves de maternelle à l’esprit d’entreprise ! (voir brève) C’est par ailleurs une fervente militante du nucléaire (voir fiche de Sortir du Nucléaire)

[4] Au-delà de dix membres, la taille du regroupement entraîne automatiquement une réduction de la proportion des représentants des personnels au sein du CA. De plus, à la demande de la Conférence des présidents (CPU) et à la faveur d’un amendement à la loi d’orientation agricole (sic !), le gouvernement entend autoriser une élection au scrutin indirect de ces “représentants” du personnel. Cet amendement n’a toujours pas été validé au niveau législatif, mais G. Fioraso a déjà montré qu’elle s’asseyait sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à une règle démocratique !

[5] La loi LRU a renforcé le conformisme déjà très grand des CA en instituant un mode de scrutin à un tour où une liste arrivée en tête, même à la majorité relative, emporte la plupart des sièges de son collège. À cela il faut ajouter la sous-représentation des personnels non enseignants et le poids des personnalités extérieures, dont certaines nommées directement par le président...

[6] Le SNESUP-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants-chercheurs, appelle pour sa part à voter contre les statuts des COMUE.

[7] Ajout du 16 juin : un appel aux parlementaires de revenir sur la loi et exigeant pour l’immédiat un moratoire d’un an dans la mise en place de tous les regroupements vient d’être lancé par l’intersyndicale FSU (SNESUP, SNCS, SNEP, SNASUB, SNETAP), CGT (SNTRS, CGT INRA), FO (SNPREES - Sup’Autonome), Solidaires (Sud Education – Sud Recherche EPST), Sup’Recherche UNSA et SNPTES. Par ailleurs en Bretagne et Pays de la Loire, les sections FSU lancent un appel à moratoire, relayé par une pétition électronique