Quelques réflexions après les attentats de Paris et Saint-Denis

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Après les attentats du 13 novembre, le NPA et d’autres organisations comme LO ont été la cible dans certains médias et réseaux sociaux d’attaques malveillantes, voire de calomnies pures et simples. Pointer, comme l’a fait le NPA, les responsabilités de l’État français dans la situation serait, selon ces dénonciateurs, “justifier” ou “excuser” les assassinats commis par Daech. Nous serions selon eux des “islamo-gauchistes”. Dans les années 30, les opposants communistes à Staline étaient pareillement dénoncés comme “hitléro-trotskystes”. Face à ces tentatives de récupération politiciennes de la légitime émotion qui a suivi les attentats, un camarade du NPA 49 développe ici ses réflexions et analyses.

Quelques réflexions après les attentats de Paris et Saint-Denis

1 - En janvier dernier, les auteurs des attentats avaient ciblé la rédaction de Charlie hebdo, qu’ils accusaient de blasphémer, et un établissement commercial juif. Cette fois-ci, ils se sont attaqués à des formes de rassemblements populaires pour répandre la terreur, mais pas de manière complètement aveugle ni aléatoire, puisqu’ils ont ciblé un match de foot (Daech et ceux qui s’en réclament interdisent le football dans les territoires qu’ils contrôlent), une salle de spectacle (ils interdisent la musique) et des terrasses de restaurants. Ces actes sont ceux de fanatiques religieux musulmans. Ils rappellent le fanatisme dont faisaient preuve autrefois l’Église catholique contre ceux qu’elle appelait les hérétiques (les Cathares, puis les Protestants, par exemple), ou encore les Protestants calvinistes eux-mêmes au XVIe siècle. Ainsi, Calvin, à Genève, a fait condamner au bûcher le médecin espagnol Michel Servet pour la seule raison qu’il avait contesté le dogme de la Trinité. Et ce n’est qu’un exemple.

2 - Nous devons exprimer toute notre solidarité, y compris dans le cadre de la minute de silence ordonnée par l’État, avec les familles des victimes, et dénoncer l’horreur de ces actes terroristes. En effet, dire et exprimer sa compassion - au sens littéral de « souffrir ensemble » - n’est absolument pas incompatible avec notre critique de l’État bourgeois en général et des responsabilités du gouvernement Hollande-Valls dans l’évolution de la crise au Proche-Orient en particulier. Les victimes des attentats de Paris n’étaient ni des fauteurs de guerre, ni des marchands de canons. C’était des gens comme nous, des jeunes, des étudiants, des travailleurs, de toutes nationalités, de toutes religions ou encore sans religion, et même pour certains des militants syndicaux CGT, CFDT, etc. Les victimes des attentats du 11 septembre à New-York avaient le même profil. Ils étaient « des nôtres ». [1]

3 - Dénoncer les fanatiques religieux de l’État islamique implique de les qualifier comme tels. Certes, les traiter de nazis, de fascistes, peut se concevoir dans la mesure où les uns et les autres font ou ont fait preuve de barbarie. Et nous n’oublions pas qu’ils ont aussi un point commun : l’antisémitisme, le « socialisme des imbéciles », comme disait le dirigeant socialiste allemand August Bebel dans la seconde moitié du XIXe siècle. Autre similitude : en Europe, de la même façon que les nazis, profitant de la crise économique de 1929, enrôlèrent dans les SA des centaines de milliers de jeunes chômeurs, Daech recrute une grande partie de ses troupes dans le lumpenproletariat, c’est-à-dire la partie des exploité-e-s qui, du fait de son exclusion du monde du travail, n’a pratiquement pas de contact avec les organisations du mouvement ouvrier. Du fait aussi de sa misère intellectuelle et sociale, une petite partie de cette jeunesse marginalisée, souvent endoctrinée en prison, va se jeter dans les bras de ceux qui leur promettent… le paradis, de même que les nazis promettaient du travail aux jeunes chômeurs allemands par l’exclusion des Juifs de la société (en attendant de les exterminer systématiquement). Et comme les terroristes du Bataclan, les plus fanatiques des nazis, les SS, n’hésitaient pas à exécuter froidement des êtres humains. Il y a toutefois des différences : les chefs nazis tenaient à leur petite personne, et beaucoup, avec la complicité de certains secteurs de l’Église catholique ou des services secrets américains, se sont réfugiés en 1945 qui en Amérique latine, qui en Syrie (Aloïs Brunner), alors que les tueurs de Daech se font tout simplement sauter du fait de leur propre désespérance et de leur fanatisme religieux. En tous les cas, cerner l’origine sociale des tueurs qui dans nos sociétés se sont fait les instruments de Daech n’est pas les excuser, comme certains falsificateurs l’affirment, mais seulement tenter de comprendre comment ces jeunes qui sont passés par notre système scolaire « démocratique » et qui ont vécu dans une république dont la devise est « liberté, égalité, fraternité » ont pu en arriver là.

4 - Ce n’est pas non plus excuser les terroristes religieux que de rechercher des éléments de rationalité dans leurs actes. En effet, les assaillants du Bataclan ont clairement signifié à ceux et celles qu’ils ont épargné-e-s qu’ils agissaient en représailles aux bombardements par l’aviation française des territoires de l’État islamique en Syrie et en Irak. Dans ces conditions, réclamer l’arrêt de l’intervention militaire française au Proche-Orient (et ailleurs) comme nous le faisons depuis des années, signifie-t-il une capitulation devant Daech, comparable à celle de Chamberlain et de Daladier au moment des accords de Munich en 1938, quand les dirigeants britanniques et français avaient livré la Tchécoslovaquie à Hitler ? Une telle conception n’est pas la nôtre. L’aplatissement devant Hitler n’était en effet que la continuation de la politique étrangère des deux grandes puissances impérialistes d’Europe occidentale qui voyaient dans les nazis (et avant eux dans les fascistes italiens) un rempart contre l’expansion du communisme. Certes, la tradition pacifiste du mouvement ouvrier d’avant 1914 préconisait d’abord la lutte sociale contre le capitalisme qui, comme le disait Jaurès « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Mais, après le carnage de la Première Guerre mondiale, cette tradition pacifiste s’est divisée en deux courants : les uns - les plus réformistes, les plus anticommunistes, tels le n° 2 de la CGT en France, René Belin, sont effectivement allés en 1940 jusqu’à collaborer avec les nazis dans le cadre de l’État français de Vichy, tandis que les autres, les communistes, les révolutionnaires, se sont engagés dans la Résistance (staliniens et trotskystes confondus, même si les premiers, cent fois plus nombreux, en ont parfois profité pour éliminer ou tenter d’éliminer les seconds). C’est de ce deuxième courant que nous nous réclamons, qui n’a pas hésité à s’engager dans la lutte armée. Notons d’ailleurs au passage que pendant la Seconde Guerre mondiale, l’action des partisans au cœur de l’Europe nazie a été parfois militairement plus efficace que les bombardements massifs de l’aviation alliée sur des objectifs civils. Nous sommes donc partisans de lutter contre les barbares de Daech. Reste à établir quelle est la méthode la plus pertinente. De ce point de vue, nous sommes par principe opposés aux bombardements des villes tenues par l’État islamique (notamment sa capitale, Rakka, 200 000 habitants) par les aviations russe et française, car d’une part ce sont aussi de pures manifestations de barbarie à l’égard des populations civiles qui y vivent, et d’autre part ils pourraient très bien, en renforçant la haine d’une partie de la population locale, celle qui adhère aux idées de Daech, envers les grandes puissances intervenantes (principalement la France, ancienne puissance coloniale en Syrie), susciter de nouvelles vocations terroristes, lesquelles ne manquent déjà pas.

5 - Est-ce à dire que le mouvement ouvrier n’aurait rien à faire contre la montée du terrorisme islamique ? Sur cette question, il faut distinguer deux niveaux :
-  En Europe, il faudrait déjà empêcher les terroristes de recruter des adeptes. Pour cela, il faudrait faire disparaître le terreau, favorable à l’extrême-droite en général et aux fondamentalistes musulmans en particulier, que constitue le chômage de masse. On sait que ce chômage de masse, qui ne fait que s’amplifier en France non pas seulement depuis l’arrivée de Hollande au pouvoir, mais bien depuis le milieu des années 70, donc depuis au moins quarante ans, est désormais un chômage structurel, en fait inhérent au système capitaliste. C’est « l’armée de réserve industrielle du capital », comme disait Marx, qui lui permet de peser sur les salaires, les retraites, les conditions de travail, etc. D’ailleurs, à l’échelle historique, c’est la situation des années 45-75, celle de la reconstruction et du quasi-plein emploi, qui était - à l’échelle de l’Europe - et du fait des destructions et des pertes humaines dues à la guerre, une « anomalie » dans l’histoire du système capitaliste. Pour nous, la conclusion est claire : si nous voulons « éradiquer » le terrorisme mais aussi plus largement la menace de l’extrême-droite classique, nous qui ne faisons aucune confiance aux gouvernements de droite ou prétendument de gauche pour s’affronter au système capitaliste, nous devons mettre toutes nos forces dans les luttes sociales, en faire des luttes victorieuses qui rendront le mouvement social plus attractif, qui donneront confiance en eux/elles aux opprimé-e-s, et aussi leur rendront l’espoir d’une société libérée de toute forme d’exploitation et d’oppression. En imposant par l’état d’urgence l’annulation des manifestations et l’invisibilité des mouvements sociaux en cours, le gouvernement Hollande-Valls, comme à son habitude, va dans la direction opposée. Dès lors, il ne faudra pas s’étonner de voir dans les semaines à venir l’extrême-droite, qui n’est pourtant pas plus anticapitaliste que le PS ou Les Républicains, se renforcer électoralement et sur le plan militant, comme nous le constatons déjà depuis trois ans. C’est pourquoi notre tâche à nous, militants révolutionnaires, demeure : tout faire, même à contre-courant, pour renforcer nos syndicats, notre parti et les orientations unitaires qu’il est souvent seul à proposer, notre classe.
-  Sur place, au Proche-Orient, la situation politique n’est pas brillante. En effet, depuis la fin des années 60, du fait de la répression, beaucoup de mouvements révolutionnaires laïques, s’inspirant plus ou moins du marxisme, ont disparu ou bien dans le meilleur des cas ont été considérablement affaiblis : écrasement de la résistance palestinienne en 1970 en Jordanie (septembre noir) puis en 1982 au Liban (défaite conclue par les massacres commis par des chrétiens phalangistes dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila). De plus, en liaison avec la corruption croissante de la bureaucratie du Fatah (la principale organisation de l’OLP), sa place dans la lutte contre l’occupation israélienne a été prise en grande partie par les différents courants islamistes (le Hamas à Gaza, le Hezbollah au sud-Liban), eux-mêmes au départ instrumentalisés par l’Etat d’Israël pour affaiblir le Fatah et l’OLP. En Syrie, d’autre part, une partie du mouvement communiste et syndical, autrefois puissant, s’est ralliée à la dictature de la famille Assad, laquelle s’est appuyée successivement sur l’alliance géostratégique avec l’URSS, puis la Russie de Poutine, à laquelle elle fournit toujours des bases aéronavales. L’autre partie, dont nos camarades de la Quatrième Internationale, n’a eu le choix qu’entre l’exil ou la torture dans les geôles d’Assad père et fils. Quant aux Kurdes d’Irak, autrefois alliés de l’URSS (le clan Barzani), ils se sont désormais tournés vers les Etats-Unis. De fait, le seul courant important qui se réclame aujourd’hui à la fois du marxisme et de la laïcité dans la région, c’est le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan turc), dont les origines staliniennes sont patentes, notamment à travers le culte de son chef, Abdullah Öcalan. Toutefois, cette organisation et ses ramifications en Syrie pratiquent l’égalité femmes-hommes - une prouesse dans une région où la culture patriarcale est dominante - et désormais, si l’on en croit leurs dernières prises de position officielles, la démocratie fédérative à la base. Sans illusions excessives sur cette organisation, il apparaît que de fait c’est le seul mouvement qui sur le terrain, en Syrie, se bat efficacement contre les islamistes (bataille de Kobané l’an dernier), tout en favorisant l’action commune avec les autres communautés, notamment en intervenant pour sauver les Yézidis (une minorité religieuse du Sinjar d’Irak persécutée par l’État islamique). Ainsi, si le gouvernement Hollande voulait vraiment lutter efficacement contre l’État islamique, il pourrait fournir des armes lourdes aux Kurdes, qui réclament aussi l’arrêt de l’embargo sur les médicaments. Bien entendu, cela ne se fera pas, parce qu’il est hors de question pour lui de s’affronter, voire simplement de gêner le gouvernement islamo-fasciste turc d’Erdogan, avec lequel nous faisons du business… et qui considère tout le mouvement kurde comme un ramassis de « terroristes ». Dans l’état actuel des choses, nous (le NPA) ne pouvons donc que fournir un soutien moral et politique aux combattants kurdes du Rodjava, sans que ce soit d’ailleurs un chèque en blanc aux méthodes du PKK.

6 - Dernier point, celui des réfugié-e-s. La droite et l’extrême-droite française ont déjà commencé une campagne pour fermer les frontières, expliquant que parmi les réfugiés syriens se cachent des agents de Daech. À cela, on peut apporter deux réponses :
-  la première, c’est que la masse des Syriens qui au péril de leur vie, tentent de traverser la Méditerranée ou la mer Egée pour gagner l’Europe sont des hommes et des femmes comme nous, souvent des diplômé-e-s d’ailleurs, qui cherchent tout simplement à fuir un pays à moitié détruit par les bombardements des uns et des autres (l’armée de Bachar el-Assad, responsable quand même de plus de 200 000 morts depuis le début de la guerre civile en 2011, mais aussi les aviations américaines et, plus récemment, française et russe), et déchiré par une guerre civile qui s’éternise depuis plus de quatre ans (11 millions de réfugiés et de déplacés sur 22 millions d’habitants). Notre responsabilité en tant que militants internationalistes est donc de les aider et de participer aux mobilisations organisées pour les accueillir. Et selon les enquêteurs, sur l’équipe d’une dizaine d’hommes qui a commis les attentats de Paris et Saint-Denis, un seul serait effectivement entré en Europe par cette voie. Un seul sur des centaines de milliers de réfugiés qui ont atteint l’Europe.
-  corrélativement, il apparaît clairement que la quasi-totalité des terroristes ayant commis des attentats ces derniers mois sont bien nés en France, vivent dans notre pays ou se sont installés en Belgique, souvent dans des quartiers déshérités. Cela ne peut que nous inciter, répétons-le, à interroger notre société et ses fractures. Et ce n’est ni en leur retirant leur nationalité, ni en les enfermant préventivement, ce qui ne pourra que les radicaliser davantage, eux et leur entourage, que réside la solution. Car, à l’instar de ce que nous faisons contre l’extrême-droite franco-française, contre les nazillons, notre objectif doit être de tout faire pour les empêcher de se développer, notamment dans les quartiers populaires, et de renforcer autant que faire se peut l’unité de notre camp, celui des exploité-e-s, celui qui peut porter les espoirs de toute l’humanité. Comme le disait Engels, cité par Rosa Luxemburg en 1915 : « La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie ».

19 novembre 2015, par NPA 49

[1] Cette compassion nécessaire ne doit pas non plus nous laisser entraîner dans des amalgames. Ainsi, dans un article du journal Le Monde daté du 17 novembre, peut-on lire que le Bataclan aurait pu être ciblé comme une salle « sioniste », car des soirées de soutien aux œuvres sociales des forces de sécurité israéliennes y ont eu lieu de 2007 à 2009. Et en effet, plusieurs associations soutenant la résistance palestinienne à l’occupation, dont l’AFPS, qui ne peut être suspectée d’antisémitisme, avaient émis des protestations à l’époque. Or le chercheur qui rappelle ces faits tend malheureusement à faire dans sa conclusion un amalgame intolérable. Il pointe en effet pêle-mêle « le même terreau antisémite et antisioniste qui a conduit Mohammed Merah ou Mehdi Nemmouche à commettre leurs actes ». Certes, Mohammed Merah, comme ses actes monstrueux l’ont prouvé, était antisémite. Mais cette association des deux mots « antisémitisme » et « antisionisme », que l’on retrouve souvent, est un non-sens, qui ne sert que la propagande de l’État d’Israël et de paravent à sa politique de colonisation. Rappelons une fois de plus qu’à la fin du XIXe siècle le sionisme, comme volonté de créer un « État des Juifs », n’a été que l’une des trois réponses choisies par les Juifs d’Europe de l’Est pour échapper à l’antisémitisme d’État (celui de la Russie des tsars appuyée par l’Église orthodoxe, plus tard celui de la Pologne nationaliste). Les autres en effet ont soit émigré vers l’Europe occidentale ou les Etats-Unis, soit entrepris de lutter dans le cadre du Bund (l’organisation socialiste juive de langue yiddish) pour abattre le régime tsariste oppresseur et antisémite aux côtés des autres tendances socialistes russes, bolchéviks, menchéviks et socialistes-révolutionnaires. N’oublions pas aussi que les premiers sionistes se sont inscrits dans le cadre de l’expansion coloniale européenne de l’époque, notamment celle de l’Empire britannique, puisqu’un premier projet d’ « État juif » avait été envisagé en Ouganda, pour être abandonné ensuite au profit de la Palestine, alors partie intégrante de l’Empire turc ottoman, mais convoitée par les Anglais, qui promirent en 1917 d’y installer « un foyer national juif ». Et ayons aussi en tête le fait que cela fait près d’un siècle et demi que les grandes puissances impérialistes (Allemagne, Royaume-Uni, France, suivies de près par les Etats-Unis) se sont engagées dans de multiples interventions diplomatiques et/ou militaires au Proche-Orient pour en contrôler les ressources (notamment le pétrole), et qu’elles ont fini par y semer le chaos. Or ces interventions coloniales ont été dénoncées dès le début par des personnalités éminentes du mouvement socialiste (notamment Rosa Luxemburg) puis communiste ou marxiste-révolutionnaire, sans que vienne à l’esprit de quiconque l’idée saugrenue de présenter Rosa Luxemburg ou Léon Trotsky comme antisémites (ils étaient issus de familles juives). Et pour être encore plus clairs, précisons qu’aujourd’hui, en Israël même, le mouvement qui s’oppose à la colonisation en Cisjordanie rassemble des Arabes et des Juifs israéliens antisionistes.