Comme des Lions !

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Dimanche 24 janvier à 14h aux 400 coups à Angers, dans le cadre de la programmation “Rebelles” du Festival Premiers Plans, 220 spectateurs ont pu assister à la projection du documentaire “Comme des Lions” avec la réalisatrice, Françoise Davisse, un militant de CGT PSA et la productrice du film. Le film, en tout point remarquable et exemplaire, raconte deux ans de lutte et quatre mois de grève contre la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay. Il sortira en salles le 23 mars.

Une lutte collective et démocratique

La lutte des ouvriers de PSA fut d’abord collective, menée et décidée collectivement autour d’un comité de grève ; ce fut une lutte contre la direction, ses manœuvres et ses provocations. Pour forger l’unité des travailleurs, le comité était nécessaire, d’autant plus que le syndicat-maison, le SIA, héritier “respectable” des peu respectables CFT et CSL (officines musclées de lutte contre le syndicalisme dans le secteur automobile), avait un poids important dans l’entreprise. Et si le rôle de la CGT, notamment de Jean-Pierre Mercier et Philippe Julien, ne fut pas négligeable dans ce comité et les AG, c’est la détermination des ouvriers de l’entreprise engagés dans le combat qui frappe à la projection. Souvent issus de populations d’origine maghrébine, la lutte se révèle pour eux libératrice et porteuse d’une expérience collective irremplaçable. L’écoute mutuelle au cours des débats (magnifiée par la caméra de la cinéaste), la démocratie des prises de décision a permis aux ouvriers (très majoritairement masculins, mais où les femmes avaient toute leur place, comme la syndicaliste Agathe Martin) de rester soudés et d’éviter les dérapages auxquels, par ses provocations successives (lock-out, huissiers, importation de vigiles et de cadres “non grévistes” depuis d’autres usines du groupe), la direction de PSA n’a cessé de les pousser. Elle a enfin permis de terminer une lutte la tête haute. Certes, l’usine a fermé et, comme on pouvait s’y attendre, les maigres promesses de la direction en matière de mutations et de reclassements n’ont pas été tenues. [1] Mais en arrachant en mai 2013 l’abandon des poursuites contre les syndicalistes et ouvriers grévistes et une prime extra-légale de 19.655€ supplémentaires pour les grévistes, ceux-ci ont réussi à faire plier un peu la direction et surtout, à montrer que seule la lutte peut payer. [2] Comme le dit très bien un ouvrier, se mettre en grève n’est pas une garantie de succès. Mais ne pas le faire, c’est la certitude de le regretter.

Une Lutte qui a cherché à s’étendre

Le film illustre également la difficulté à entraîner les non grévistes, majoritairement d’accord avec les grévistes mais hésitants et cherchant finalement une porte de sortie individuelle. Quelques séquences autour des discussions entre grévistes et non grévistes révèlent toute la complexité des rapports entre ouvriers. Mais ces débats eurent lieu dans le respect mutuel, loin des racontars sur la “violence” supposée des grévistes que propageaient dans le même temps les grands médias (le documentaire insère en particulier l’interview à charge de J-P Mercier par un J-P Elkabbach hallucinant de morgue et de mauvaise foi). La recherche active de la solidarité avec les autres usines PSA et même de Renault est abordée par plusieurs séquences brèves du film. De même, les initiatives en direction de la population et la solidarité syndicale sont évoquées, qui permirent de collecter 900.000 euros pour la caisse de grève...

Une lutte confrontée aux faux-amis Hollande-Montebourg

La lutte des PSA fut enfin une lutte contre les faux-amis Hollande-Montebourg. Avant son élection, alors que les salariés savent déjà que PSA veut fermer l’usine sans que cela soit encore officiel, F. Hollande va voir brièvement les PSA et leur fait miroiter une autre issue (sans il est vrai s’engager clairement). Lorsque le plan social est annoncé, trois jours avant les vacances d’été 2012, le nouveau président juge “inacceptable” le plan de Peugeot. Quelques mois plus tard, ce plan devient “inévitable”... L’État se refuse obstinément, malgré quelques annonces dilatoires d’un certain Macron, conseiller de l’Elysée, à nommer un médiateur et envoie ses CRS contre les ouvriers de PSA qui occupent (sans violence) le siège du MEDEF, pour les charger (avec violence) dans deux paniers à salades... Mais c’est la veulerie d’A. Montebourg qui remporte la palme. Dans une séquence mémorable, alors que l’usine a fermé et qu’il est apparu au grand jour que PSA a menti sur les reclassements, le ministre du “redressement productif” se fait interpeller dans la rue par les ouvriers de PSA. Dans l’échange verbal, il fait étalage de toute sa rouerie en multipliant les échappatoires à chaque question gênante. Lorsque finalement un de ses collègues vient le chercher, il le rassure : il a juste un “petit problème” à régler. Et puis s’en va...

Le film d’une tragédie grecque

À sa manière, le film de Françoise Davisse est construit comme une tragédie grecque. Le destin des ouvriers est scellé dès le départ (la première séquence du film met d’ailleurs en scène une usine vidée de ses machines et des vigiles qui chassent la cinéaste). Mais, alors même que le rapport des forces leur est défavorable, ils engagent la lutte pour rester unis et rester eux-mêmes. Dans une scène remarquable, les ouvriers occupent la salle du conseil d’administration de l’UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie), l’Olympe du capitalisme, et y débattent de la suite de leur lutte. Et quand ils évacuent le bâtiment sous la garde des CRS, ils clament qu’ils sont “des ouvriers”, pas “des terroristes”. À l’heure où des salariés de Goodyear ont été condamnés pour leur action syndicale à deux ans de prison dont 9 mois ferme, à l’heure où Hollande-Valls veulent prolonger l’état d’urgence ad aeternam, cette scène a une résonance particulière. Elle traduit toute l’injustice réservée au monde du travail. On lui demande de se soumettre aux décisions terribles des conseils d’administration prises au nom du profit des actionnaires mais, s’il refuse ce frauduleux “dialogue social” vanté dans un brève séquence par N. Vallaud-Bekacem (pas encore ministre mais déjà porte-parole de la voix de son maître), on le traite comme un délinquant, un auteur potentiel de “violences”. Il n’est pourtant pas écrit que Prométhée ne pourra jamais se libérer de ses chaînes. La lutte des PSA et sa mise en scène par Françoise Davisse nous annoncent au contraire que la trame du destin tragique tissée par les Moires peut être déchirée.

24 janvier 2016, par NPA 49

[1] sur les 3000 salarié-e-s de l’usine en 2013, seul un millier s’est retrouvé à Poissy. Un millier pointe au chômage sans reclassement.

[2] Saisie par le CGT et le SIA, la justice a depuis arrêté que la prime de fin de conflit versée aux grévistes devait l’être aussi aux non-grévistes licenciés.