L’impasse des croyants au capitalisme « vert »

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Le ralliement de Corinne Bouchoux à Christophe Béchu semble avoir été une surprise pour beaucoup à Angers. Comment une ancienne sénatrice EELV et militante LGBTI peut-elle se retrouver derrière un maire LR crypto-macroniste qui est soutenu par toute la droite angevine, jusqu’à Sens commun et La Manif pour tous ? C’est oublier qu’en 2005 déjà, Corinne Bouchoux soutenait le « oui » au référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE). C’est oublier qu’EELV a déjà donné maints ministres aux droites social-libérales et LREM (le dernier en date étant l’ancien leader EELV des Pays-de-la-Loire, F. de Rugy). Plutôt qu’une « trahison », le ralliement de Corinne Bouchoux est une triste mais cohérente confirmation. Elle traduit l’impasse d’un courant politique, celui des anciens croyants au capitalisme vert. A contrario, c’est une invitation à tous les écologistes (et aussi à EELV) à rompre avec l’illusion qu’une issue écologiste est possible dans un cadre capitaliste.

Dans le Courrier de l’Ouest du 23 octobre 2019, Corinne Bouchoux tente de justifier son ralliement à un maire dont la politique écologiste n’a pourtant rien d’évident. Rappelons qu’une des premières mesures du nouveau maire en 2014 fut la gratuité de la première heure de parking en centre-ville, qu’il mène en revanche campagne contre la gratuité des transports en commun, qu’il a maintenu la voie sur berges à quatre voies en se contentant d’en recouvrir une infime partie par une dalle de béton engazonnée (pompeusement dénommée « Cœur de Maine » !), que sa politique du logement est clairement antisociale, qu’il mène une politique délibérément productiviste au nom de « l’emploi », notamment en favorisant l’implantation de plates-formes logistiques sur des terres arables, qu’il promet des arbres sur les toits mais fait couper ceux qui sont dans les rues…

Des collectivités corsetées par le capitalisme

Cependant, Corinne Bouchoux dit se situer « à un échelon individuel, local, modeste et non partisan » et vouloir faire « bouger les lignes » plus efficacement que « quand on est dehors ». C’est une illusion que l’on trouvait déjà chez Nicolas Hulot ou Matthieu Orphelin, qui pensaient pouvoir peser sur la politique d’E. Macron, dernière marionnette en date de la classe dirigeante. Ici, pour accorder sa confiance à C. Béchu et à sa façon de « travailler », elle s’appuie sur son expérience passée à ses côtés en commission des lois du Sénat. L’anecdote traduit le pouvoir d’aspiration des militant.e.s les plus sincères par les institutions bourgeoises (vieux naufrage du mouvement ouvrier, y compris de ses tendances les plus radicales !) mais elle révèle surtout l’abime qui sépare les croyants au capitalisme vert des militant.e.s écosocialistes. De la commune aux régions, les institutions locales de l’État français s’inscrivent dans le fonctionnement normal du capitalisme : obsession du classement entre collectivités et volonté de « croissance », concurrence entre collectivités pour s’arracher à coup de subventions les implantations d’entreprises capitalistes créatrices « d’emplois » (ou plutôt de sous-emplois qui entraîne le plus souvent des destructions d’emplois par ailleurs), [1] soumission (parfois intéressée) aux promoteurs immobiliers et aux multinationales du bâtiment, projet permanent de nouvelles routes et autoroutes pour absorber un flux croissant de véhicules, réduction de la part des budgets sociaux, etc. Le « réalisme capitaliste » prédomine nécessairement dès lors qu’il s’agit de « gérer » avec des moyens contraints dans un cadre capitaliste.

Un localisme à (très) courte vue

Certes, quelques mesures peuvent être prises à la marge. On peut évidemment améliorer la « circulation en ville » et celle du « vélo » comme le remarque l’ancienne sénatrice. Il y a d’ailleurs un travail de titan à réaliser de ce point de vue à Angers ! Cependant, ces mesures ne résolvent rien d’essentiel. Même en se limitant au niveau local qu’elle affectionne, peut-elle passer à côté de la question du développement des transports en commun et de leur nécessaire gratuité, de la mixité sociale des quartiers, du problème de la proximité entre lieux d’habitation, de travail et de consommation ? Dès le lendemain de son annonce de ralliement à C. Béchu, Le Courrier de l’Ouest présentait les nouvelles plates-formes logistiques en construction à Verrières-en-Anjou : 3,4 hectares d’emprise au sol pour l’entreprise capitaliste « verte » Gamm Vert et 5,6 hectares pour le hard discount néerlandais Action. Pour C. Béchu, cette dernière implantation est « la meilleure nouvelle économique depuis 2001 ». En théorie, 530 emplois sont en effet annoncés, mais pas par Action qui s’en remettra à un prestataire de services… Et combien d’emplois supprimés par l’activité concurrentielle de ce groupe dans tout le Grand Ouest ? Et combien de routes nouvelles, de ronds-points et de camions qui vont accélérer la macadamisation du sol avec toutes ses conséquences sur l’environnement ? Un.e militant.e écologiste conséquente devrait soutenir les circuits les plus courts possibles plutôt que le recours à ce type d’entreprise qui participe de la course capitaliste qui entraîne l’humanité dans l’abime.

Il n’y a pas de capitalisme « vert »

Après bien d’autres, Daniel Tanuro l’a démontré avec force dans son ouvrage « L’impossible capitalisme vert » paru en 2010 aux Éditions La Découverte. La loi de la valeur et la recherche incessante du profit qui sont les moteurs du capitalisme sont incompatibles avec une prise en compte des limites posées par notre biosphère, comme elles sont incompatibles avec une société humaine égalitaire et réconciliée avec elle-même. On doit agir au niveau individuel et local, certes. Mais on ne résoudra pas la surconsommation en aval si l’on ne supprime pas la surproduction en amont, donc le capitalisme. Et puis les gaz à effet de sphère comme la pollution ne connaissent pas de frontières. Le problème est global. Il faut changer de société. Et l’humanité n’a plus le temps d’attendre. À cet égard les rapports du GIEC sont implacables. Donner l’illusion que l’on peut faire évoluer « doucement » les choses en étant gentil et collaboratif avec les gestionnaires aveugles d’un système irresponsable et criminel, c’est s’illusionner soi-même. Les écologistes doivent rompre avec le rêve (ou plutôt le cauchemar) d’un capitalisme vert, comme le mouvement ouvrier doit rompre définitivement avec la tromperie d’un capitalisme social. L’urgence est là, comme le rappelle avec détermination Greta Thunberg, comme le rappellent les migrants qui s’échouent en Méditerranée ou meurent dans les camions frigorifiques, comme le soulignent les guerres et les mouvements de révolte un peu partout dans le monde, et il faut y répondre. Vite !

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24 octobre 2019, par NPA 49

[1] Pour créer des emplois, rien de mieux que la réduction massive du temps de travail et la possibilité de partir plus tôt en retraite. Bien sûr, cela implique une autre répartition des richesses et la fin du productivisme...