Aéroports de Paris : bloquons la privatisation !

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Une réunion publique s’est tenue vendredi 13 décembre de 19h à 21h à la Bourse du travail (salle Pelloutier) organisée par le Collectif « Signez pour le RIP ! 49 ». Elle a notamment été animée par Jean-Louis Grégoire, Brigitte Baldenberger (ATTAC49) et l’universitaire David Cayla, des « Économistes atterrés », et a réuni en tout un peu plus d’une trentaine de personnes.

Jean-Louis Grégoire a introduit la réunion par un retour sur la place laissée à la population dans les processus de décision depuis la révolution de 1789. La constitution de Juin 93, qui ne fut jamais appliquée, est connue pour son Article 35 garantissant au peuple le droit à l’insurrection. Moins connu, l’Article 10 mentionne quant à lui que le peuple délibère sur les lois, mais il n’y eut pas de mise en œuvre avant le Directoire. Lors de la Commune de Paris s’imposa la notion de mandat révocatoire, mais la Commune fut noyée dans le sang par les troupes d’Adolphe Thiers... Un progrès déterminant vint en 1946 avec le vote accordé des femmes, la moitié de la population qui n’en disposait pas jusque là... En 1958, après le coup d’État militaire qui permit à de Gaulle d’imposer la 5e république, le référendum fut introduit, mais uniquement sur initiative présidentielle. L’Article 3 de la nouvelle constitution précise que le pouvoir est exercé par les représentants et par la voie du référendum. Les mandats des élus ne doivent pas être impératifs ; les représentants ont liberté de vote. En 2008, N. Sarkozy introduisit le Référendum d’initiative partagée (RIP). Il ne résulte pas de l’initiative du président mais ne peut avoir lieu qu’après une course d’obstacles quasi-infranchissables ; demande préalable faite par 1/5 des parlementaires, demande formulée ensuite par 10% du corps électoral (4,7 millions !) et à condition que le projet ne soit pas inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée et du sénat dans les six mois qui suivent. Un projet de loi du gouvernement actuel réduirait ces conditions drastiques : 1/10 des parlementaires et 1M de signatures suffiraient. Mais il a été oublié dans un tiroir...

Quoi qu’il en soit, il serait politiquement délicat pour le gouvernement de s’assoir sur 4,7M de signatures. De plus, si le référendum sur la privatisation d’ADP pouvait finalement avoir lieu, il y aurait immanquablement ouverture d’un débat sur les privatisations et les services publics. Enfin, si le référendum faisait d’ADP un service public national, car c’est un texte de loi qui est soumis, il serait difficile de revenir en arrière.

David Cayla intervint dans la deuxième partie en reprenant pour l’essentiel la trame de l’interview que lui-même et Coralie Delaume avaient donné au Figaro en février 2019, et qui est reproduite ci-dessous en annexe. Il y évoqua donc la scandaleuse affaire de la privatisation de l’aéroport de Toulouse qui fut montée par E. Macron, et la fameuse clause des actionnaires qui garantissait à l’opérateur chinois Casil (49,9%) une majorité au CA par le vote automatique de l’Etat (11%) à ses côtés. De même, il revint sur la perte sèche des ressources générées pour l’Etat par ADP (500 millions par an) et l’utilisation problématique des 15 milliards de la vente, dont une dizaine soi-disant destinée aux “investissements de rupture” serait gérée par le premier ministre au lieu de la banque publique d’investissement. Plusieurs autres aspects pas abordés dans cette interview le furent cependant lors de la réunion. Ainsi la question des 6500 hectares dont le privé (Vinci ?, Eiffage ? Bouygues ?...) pourrait hériter. Outre leur valeur énorme en région parisienne, leurs imperméabilisation par des constructions diverses poserait à nouveau le problème récemment posé par Europa City. On peut en effet douter qu’un opérateur privé aurait la moindre préoccupation écologique. Pareillement, on peut être certain que le même opérateur ne cherchera évidemment pas à réguler le trafic aérien (sinon en augmentant la taxe aéroportuaire ?) afin de réduire la production de dioxyde de carbone... Si l’accord de Montréal des années 50 qui détaxe le kérosène et le fuel maritime venait enfin à être remis en cause, toute taxe se heurterait aux lobbies privés, surtout si ADP est privé. On peut même imaginer de sa part une demande de compensation financière !

La troisième partie de la réunion fut consacrée à la campagne proprement dite pour un référendum. Actuellement, il y a 1.030.000 signatures validées, dont 2300 à Angers. Il en faut 4,7 millions en mars. L’occultation de l’information est presque totale. Les médias n’en parlent pas. Le maire d’Angers a refusé que dans “Vivre à Angers” figure l’information que l’on peut signer pour le référendum en mairie et que des formulaires CERFA pour demander le RIP y sont disponibles. Quant à la procédure informatique, elle est lourde et parfois n’aboutit pas, notamment quand le nom déclaré ne correspond au nom de la carte électorale. Heureusement, le site https://privatisercestvoler.fr/ donne toutes les indications et permet d’accéder au formulaire informatique. La méthode la plus efficace pour récolter les signatures reste la rue, ce qui a déjà été expérimenté par le collectif angevin. Installer une table et des ordinateurs connectés de façon à ce que les passant.e.s puissent remplir et signer leurs demandes de RIP sur la privatisation d’ADP. Au travail !

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ANNEXES :
-  Tract du Collectif angevin « Signez pour le RIP ! 49 »
-  interview de David Cayla et Coralie Delaume donnée en février 2019 dans Le Figaro, qui constitue la trame de l’intervention de David Cayla à la Bourse du travail.

La privatisation est une aberration économique. On l’a vu dans le cas des privatisations autoroutières qui ont engendré des hausses de tarifs pour les usagers en laissant les concessionnaires exploiter des rentes de situation exorbitantes. Outre Aéroports de Paris, la loi PACTE prévoit de privatiser La Française des jeux et de vendre les parts que l’État détient encore dans Engie (ex Gaz de France). Les trois entreprises rapportent environ 700 millions d’euros par an, dont 100 à 200 millions pour Aéroports de Paris. Et on ne compte ici que les revenus versés sous forme de dividendes. Or, comme tout actionnaire, l’État gagne aussi la part des profits réinvestie dans le capital qui augmente mécaniquement la valeur de ces entreprises. En période de disette budgétaire et d’austérité tous azimuts, pourquoi se priver de cette source de revenus stable ?

Aéroports de Paris est la plus scandaleuse de ces privatisations. L’échéance de la concession est extrêmement longue (70 ans). En théorie, une telle durée devrait permettre au concessionnaire d’amortir largement ses investissements. Pourtant, il est prévu que le retour de la gestion des aéroports dans le giron de l’État donnera lieu à une indemnisation à l’échéance. Or, le Groupe ADP est une entreprise en pleine croissance (son chiffre d’affaires a crû de 22 % en 2017), ce qui signifie que dans 70 ans la valeur de son capital sera bien plus élevée qu’aujourd’hui. Comme l’écrit la journaliste Martine Orange qui suit de près la question « le risque est que l’État doive débourser des sommes gigantesques à la fin de la concession », ce qui revient à organiser « une concession à perpétuité pour le privé ». Outre Aéroports de Paris, la loi PACTE prévoit de privatiser La Française des jeux et de vendre les parts que l’État détient encore dans Engie. Les trois entreprises rapportent environ 700 millions d’euros par an, dont 100 à 200 millions pour Aéroports de Paris.

Malgré cette aubaine, le projet prévoit pourtant que les actionnaires minoritaires actuels (au rang desquels figure Vinci, l’un des repreneurs potentiels...) soient indemnisés pour compenser une supposée « perte d’éternité ». C’est tout simplement inédit !

Enfin, la privatisation d’Aéroports de Paris peut à terme poser problème pour les compagnies aériennes clientes comme Air France. Aéroports de Paris n’a pas de concurrent dans un rayon de 300 kilomètres. Il est de fait en situation monopolistique et pourrait augmenter les tarifs des redevances que paient les compagnies aériennes pour bénéficier des installations (qui sont intégrées au prix des billets). Cette hausse des tarifs est très probable pour un gestionnaire privé désireux de faire du profit, alors que l’État était soucieux d’arbitrer justement entre les intérêts d’Air France et ceux des actionnaires d’Aéroports de Paris.

Le précédent toulousain est une catastrophe. En 2015, l’État a décidé de vendre l’essentiel de ses parts (soit 49,9%) de l’aéroport de Toulouse à une société, Casil Europe, qui appartient elle-même à un consortium chinois qui n’a aucune expérience dans le domaine aéroportuaire. En octobre 2018, la Cour des comptes dressait le bilan en des termes extrêmement durs dans un rapport intitulé « Le processus de privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice ». Elle notait par exemple ceci : « les critères de recevabilité des candidats étaient peu exigeants et limités à leur capacité financière. De fait, l’acquéreur retenu, Casil Europe, a suscité des inquiétudes, en raison de son absence d’expérience en matière de gestion aéroportuaire, de son manque de transparence financière et de ses liens avec la puissance publique chinoise ». Au même moment, on apprenait dans la presse que le consortium « vidait les caisses », de l’entreprise en versant (malgré les tentatives d’opposition d’actionnaires publics minoritaires à savoir la Région et le Département) des dividendes considérables dont une partie était prélevée sur les réserves de l’entreprise.

Après avoir fait cela et parce que l’État refuse de lui céder les 10,1 % qu’il détient encore, Casil Europe cherche aujourd’hui à vendre sa participation (49.9% de l’aéroport donc), pour un montant supérieur de près 200 millions au prix où elle l’a acheté ! En plus des dividendes, cela constitue énormément d’argent pour un investissement pratiquement nul.

Dans le cas du Groupe ADP, les modalités de la privatisation sont effectivement différentes car il s’agit d’une concession et non d’une vente. Ainsi, les actifs appartiendront toujours à la collectivité publique et le gestionnaire ne pourra pas les revendre. Néanmoins, il sera libre d’utiliser à sa guise le patrimoine mis à sa disposition, y compris le très lucratif patrimoine foncier de l’aéroport. De plus, la concession rajoute une couche de complexité en dissociant la propriété du capital de sa gestion. Il faudra donc contractualiser la relation entre les deux parties pour gérer les éventuels conflits d’intérêts entre l’État propriétaire et l’opérateur gestionnaire. Ce type de partenariats public-privé a lui aussi engendré souvent des dérives coûteuses pour l’État, comme l’a récemment rappelé la Cour des comptes européenne.

Qu’en sera-t-il demain si le Groupe ADP est géré par un concessionnaire ayant à cœur de faire primer la rentabilité de court terme sur la nécessaire préservation de la sécurité ?

Les aéroports gérés par le Groupe ADP constituent en effet, avec environ 100 millions de voyageurs par an et une tendance à la hausse, la principale frontière de notre pays. C’est ce qui a récemment conduit une centaine de parlementaires LR à s’opposer au projet de privatisation de l’entreprise, mettant notamment l’accent sur l’aspect « contrôle des migrations », mais évoquant aussi la nécessité de lutter contre les nuisances sonores. Ce sont deux des enjeux, mais il en existe d’autres : aménagement du territoire, environnement, sécurité…

Concernant l’aspect sécuritaire, il faut rappeler ces révélations faites il y a quelques mois par l’Express selon lesquelles Aéroports de Paris aurait subi des fuites d’informations de toute nature : plan d’une piste d’Orly, emplacement de caméras de surveillance d’un terminal de Roissy, réseau d’alimentation en kérosène d’avions stationnés en Arabie Saoudite, etc. Certes, le fait que l’entreprise soit détenue en majorité par l’État n’a pas empêché ces fuites. Mais qu’en sera-t-il demain si le Groupe ADP est géré par un concessionnaire ayant à cœur de faire primer la rentabilité de court terme sur la nécessaire préservation de la sécurité, en particulier si ce concessionnaire est étranger, sachant que plusieurs candidats à la reprise le sont ?

Enfin, dans un aéroport, la sécurité ne se limite pas à seule autorité des forces de police. La configuration des bâtiments, leur usage, ont évidemment un impact sur la politique sécuritaire. Or pour un opérateur privé il est bien plus rentable de maximiser la surface commerciale de l’aéroport que celle dédiée aux contrôles douaniers. Aujourd’hui, c’est l’État qui pondère les poids respectifs de l’activité économique et de la dimension sécuritaire de l’aéroport. Mais demain, pour assurer la sécurité de sa frontière, il devra négocier avec un concessionnaire dont les intérêts sont très différents des siens.

On peut penser que 15 milliards d’euros, cela fait beaucoup d’argent. À condition d’en faire un usage sensé, ce qui est loin d’être le cas ! Sur ces 15 milliards, 5 seront consacrés au désendettement. Une goutte d’eau comparée aux 2300 milliards de dette publique. On a d’ailleurs peine à voir l’intérêt stratégique d’un désendettement microscopique, sachant que l’État emprunte pratiquement gratuitement aujourd’hui.

Le reste (10 milliards d’euros), sera donc consacré à la création d’un fonds pour les innovations de rupture. Mais attention, ce n’est pas cet argent qui va financer les start-up directement. Ces 10 milliards seront placés sur les marchés financiers à un rendement d’environ 2,5%, soit... 250 millions d’euros par an ! Rappelons qu’à la base, les actifs vendus rapportaient à eux seuls 700 millions d’euros. On ne voit donc pas très bien l’intérêt de toute cette opération. Vendre des actifs très rentables pour créer un fonds d’investissement moins rentable et soumis aux aléas des marchés financiers au prétexte de financer les technologies d’avenir est purement et simplement absurde...

Avec ce fonds, le gouvernement entend créer un nouvel outil placé directement sous l’autorité du Premier ministre. Mais la France dispose déjà de très nombreux instruments financiers qui pourraient être redéployés pour financer l’innovation. Par exemple, au lieu de ce gadget, pourquoi ne pas simplement doter la Banque publique d’investissement (BPI) de ressources supplémentaires afin qu’elle finance ce type de projets pour le même montant ?

Sans polémiquer outre mesure, on peut penser qu’il y a plus de personnels compétents pour financer les projets innovants à la BPI que dans le cabinet de Monsieur le Premier ministre.

La question de la conformité de la privatisation d’Aéroports de Paris a été posée à plusieurs reprises dans la mesure où le 9ème alinéa du Préambule de la Constitution d’octobre 1946 dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Un amendement parlementaire a soulevé ce problème en notant qu’« en raison de l’importance du trafic passager et du fret national et international, l’activité d’ADP et les biens qui y sont affectés ont un rôle national qui n’est rempli par aucun autre aérodrome en France ».

La question de savoir si Aéroports de Paris constitue un monopole de fait et s’il s’agit d’un service public national a également été étudiée par des personnalités comme Patrick Weil ou le juriste Paul Cassia, auteur d’un papier très détaillé et convaincant.

Faut-il faire confiance pour autant au Conseil constitutionnel pour mettre en échec la privatisation ? Vu la composition très politique de celui-ci, c’est hélas peu probable. Ce ne sont pas Alain Juppé, alter ego de Macron en plus âgé et qu’y vient d’y entrer ou Laurent Fabius, qui a énormément privatisé en son temps, qui vont s’y opposer !

On a l’impression qu’on privatise pour ne plus avoir à gérer ces choses compliquées qui s’appellent politique industrielle, stratégie économique, développement de filières…

On ne peut pas évacuer l’hypothèse de l’obstination idéologique. Alors que les États sont en train de se réaffirmer partout et de réapprendre à exercer leur souveraineté (certains n’ont jamais oublié : pas un seul aéroport n’est privé aux États-Unis, pays pourtant réputé libéral), le gouvernement français semble bloqué dans les années 1990 et continue à nous resservir les vieilles lunes selon lesquelles le privé serait plus « efficace » pour gérer des entreprises, fussent-elles stratégiques. Le plus piquant est qu’au moment où il s’engage dans ce projet, les Pays-Bas lancent une opération de prise de contrôle d’Air France-KLM, car ils souhaitent rééquilibrer la gouvernance du conglomérat en leur faveur. Certains comprennent plus vite que d’autres que le monde a changé.

Le plus navrant est que les privatisations actuelles semblent le produit d’un renoncement à toute action publique dans l’économie. On a l’impression qu’on privatise pour ne plus avoir à gérer ces choses compliquées qui s’appellent politique industrielle, stratégie économique, développement de filières… D’ailleurs, lorsqu’il possède encore des parts dans des entreprises, l’État nomme des administrateurs sans leur donner la moindre directive. Aussi, dans les conseils d’administration, ses représentants sont le plus souvent silencieux et transparents et laissent la bride sur le cou aux PDG. L’exemple le plus flagrant est celui de la gestion de Renault. L’État, principal actionnaire, a laissé Carlos Ghosn faire à peu près tout ce qu’il voulait, y compris délocaliser ses sites industriels et, semble-t-il, détourner une partie des fonds de l’entreprise à des fins personnelles.

Ces privatisations sont les symboles du renoncement de l’État face aux forces du marché. La rémanence de ces archaïsmes giscardo-barristes est d’autant plus gênante dans notre pays que le rôle de la puissance publique tient une place éminente dans l’imaginaire français, où l’État a précédé - et forgé - la nation. L’attachement au service public fait partie de notre identité collective. Hélas le gouvernement, lui, a d’autres priorités, comme par exemple d’offrir des rentes juteuses au privé, dont il espère probablement un renvoi d’ascenseur.

14 décembre 2019, par NPA 49