Marchés “ouverts” fermés et supermarchés “fermés” ouverts ?

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L’interdiction des marchés en plein air pour cause de confinement a pris effet mercredi 25 mars (à Angers, seulement à 14h ce qui a permis au marché La Fayette de se tenir une dernière fois). C’est une décision typiquement bureaucratique, s’appliquant partout sans tenir compte des conditions locales d’application des règles nécessaires de distanciation sociale. En revanche, les hypermarchés, supermarchés et leurs déclinaisons de proximité restent ouverts. Or, les règles de distanciation sont loin d’y être toujours appliquées ou applicables. De plus, les systèmes de ventilation de ces lieux clos sont potentiellement propices à une propagation du virus par voie aérienne. Deux poids, deux mesures ?

En 2008, une étude sur la circulation du virus de la grippe n’écartait pas sa transmission par voie aérienne, notamment pour les bâtiments équipés d’une centrale de traitement de l’air, dans laquelle l’air est purifié pour être réutilisé (cas des supermarchés) [1] L’étude jugeait néanmoins peu probable le risque d’une telle transmission pour le virus de la grippe. Qu’en est-il pour le coronavirus qui paraît montrer à la fois une grande résistance hors milieu biologique et une contagiosité très grande ? La question n’a pas encore de réponse. De surcroît,
-  le SARS-CoV-2 qui génère le Covid-19 semble particulièrement bien survivre sur les surfaces métalliques qui abondent dans les supermarchés ;
-  les allées entre les rayons sont parfois très étroites et il est impossible dans certains magasins -et notamment les supérettes de proximité- de respecter la moindre distance de sécurité ;
-  le passage aux caisses est généralement très problématique, pour les client.e.s et surtout pour les caissièr.e.s qui sont très loin d’être tou.te.s équipé.e.s des protections nécessaires.

À l’inverse, même si quelques marchés de plein air ont, semble-t-il, enfreint les règles de distanciation, la grande majorité s’y est astreinte (distances de sécurité, lots de légumes déjà préparés, vendeurs munis de gants et même de masques quand ils étaient disponibles). Aussi est-il légitime de se poser la question : s’il faut bien sûr assurer la continuité de l’approvisionnement alimentaire, pourquoi choisir les supermarchés au détriment des marchés ?

Considérant la récente loi d’urgence sanitaire qui, sous couvert de la crise, remet en cause des éléments essentiels du code du travail (temps maximum hebdomadaire, congés payés) et surtout la proximité de l’équipe gouvernementale avec les grands capitalistes de l’agrobusiness et de la distribution, faut-il y voir un nouvel avatar de la politique néolibérale ? Une nouvelle marque du soutien de L’État français au processus de concentration du capital dans l’alimentaire au détriment des petits producteurs ? Ce procès en mauvaise intention peut sembler exagéré. Cependant, le cynisme d’un gouvernement qui justifie la pénurie de masques et de tests en arguant qu’ils ne sont pas vraiment utiles (à l’inverse de ce que disent les médecins asiatiques) n’étant plus à démontrer, ces questions méritent au moins d’être posées...

Certes, crise climatique oblige, le gouvernement s’est pendant des mois payé de mots sur le « commerce de proximité », les « circuits courts » etc. Dans une situation de crise sanitaire où il vaudrait mieux compartimenter les aires géographiques et réduire les transports au maximum, cette démarche vertueuse aurait sans aucun doute mérité d’être renforcée (ou plutôt, initiée !) Mais cela semble bien oublié aujourd’hui. Sans le dire trop fort, le gouvernement poursuit sa politique productiviste de “croissance”, et pas seulement dans les secteurs “indispensables”.

Deux ministres sont à la manœuvre : D. Guillaume (agriculture) et M. Pénicaud (travail). D. Guillaume cherche 200 000 volontaires de « l’armée de l’ombre ». Il appelle « ceux qui n’ont plus d’activité », à rejoindre « la grande armée de l’agriculture française » (BFM, 24/03/2020). Dans ce monde consanguin, la FNSEA joue les recruteurs, avec l’opération « des bras pour ton assiette » (sic !) Alors oui, s’alimenter est un besoin essentiel. Mais notre ministre, ami du glyphosate, craint surtout que la filière agricole dont l’agrobusiness et la grande distribution font leur beurre se tarisse… faute de main d’œuvre étrangère, confinée elle aussi. Il pousse à la faute celles et ceux qui sont en chômage technique, qui risquent ainsi de perdre l’indemnisation promise par L’État (et, de surcroît, d’être contaminés ou de contaminer). Qu’en dit M. Pénicaut, ex-DRH du groupe alimentaire Danone, qui abrite dans son ministère quatre ex-lobbyistes du cru ? Guillaume avait juré « Moi, ministre de l’Agriculture, les lobbys ne pourront pas franchir la porte de mon ministère ». Mais c’était avant...

Pour se préparer et faire face aux crises sanitaires et environnementales, pour repenser à fond une filière agroalimentaire préservant notre santé et l’environnement, il faudra décidément dégager ce gouvernement de technocrates, comptables néolibéraux dogmatiques vivant en symbiose avec les représentants du grand capitalisme et incapables de changer de point de vue, arrogants mais imprévoyants et finalement incompétents. Ils sont le problème, pas la solution.

Nos vies valent plus que leurs profits !

26 mars 2020, par NPA 49

[1] “Virus influenza pandémique à l’intérieur des bâtiments : quel risque de transmission par les systèmes de ventilation ou de climatisation ?”, Environnement, Risques & Santé, Vol.7, n°4, juillet-août 2008 par par Véronique Ezratty , Service des études médicales d’EDF et de Gaz de France (SEM) et Fabien Squinazi du Laboratoire d’hygiène de la Ville de Paris (LHVP).