Un déconfinement pour les profits des exploiteurs contre la vie des salarié.e.s

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Pour assurer la reprise de l’accumulation capitaliste et de la vente des marchandises, le ministère du travail a édité un « protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés ». Le matraquage médiatique a donné l’impression de mesures contraignantes pour les entreprises et rassurantes pour les salarié-es dont on exige non seulement qu’ils reprennent le travail (11 millions sont aujourd’hui en chômage partiel, 5 millions en télétravail), mais également qu’ils retournent dans les locaux de travail.

Le protocole de déconfinement pour les entreprises

Si on regarde dans le détail, il n’en est évidemment rien :
-  La question des trajets entre domicile et travail est éludée, alors que des études montrent qu’ils ont été un vecteur majeur d’exposition au coronavirus. Les mesures d’étalement des arrivées au boulot et des départs semblent bien dérisoires et n’éviteront pas la saturation aux heures de pointe. L’hypocrisie du gouvernement, qui interdit l’accès aux plages ou les rassemblements mais autorise les métros et trains de banlieues bondés, est à son comble ;
-  Le protocole foisonne de détails sur la meilleure façon d’optimiser les surfaces en entreprise, comme on range les sardines dans une boîte, en inventant une référence de 4 mètres carrés par salarié-e. Mais aucun texte légal ne vient codifier ces règles et aucune sanction n’est prévue si l’employeur ne les met pas en application ;
-  Le gouvernement est en recul sur ses préconisations précédentes. Le nettoyage des surfaces et locaux avec détergent n’est plus recommandé que de façon « quotidienne » (alors que dans le BTP le patronat s’était mis d’accord avec le ministère du travail pour un nettoyage toutes les deux heures). La désinfection avec virucide n’est pas systématisée ;
-  Les gestes barrières et la distance d’un mètre sont martelés comme seules mesures efficaces et la responsabilité est reportée sur les salarié.e.s tenu.e.s de respecter les consignes. Dans ses documents internes, le ministère du travail explique même qu’il n’existe pas de risque spécifique d’exposition quand les gestes barrières sont respectés… L’impasse est faite sur les dernières études montrant les possibilités de diffusion du virus par aérosol, via la climatisation ou la ventilation par exemple, ou contestant la distance d’un mètre (l’Académie de médecine parle de deux mètres pour les chantier du BTP, ce qui rendrait le travail évidemment impossible). Les masques ne seraient obligatoires qu’en dernier recours ;
-  Les salarié-es devront se contenter de masques « grand public », qui ne font l’objet d’aucune norme et dont personne n’a prouvé l’efficacité. Le gouvernement continue d’égrener les mensonges sur le fait que les masques FFP2 ou 3 seraient réservés au personnel soignant… Ils le sont mais seulement parce qu’il y a pénurie, alors que ce sont les seuls ayant la qualité d’équipement de protection respiratoire. Les masques en tissu ne l’étant pas, les patrons n’ont d’ailleurs aucune obligation d’en fournir gratuitement aux salarié.e.s qui devront les payer de leurs poches ;
-  Le protocole fait évidemment l’impasse sur les droits des salarié.e.s : pas de mention du droit de retrait, du rôle d’alerte des représentant-es du personnel, des possibilités de saisir l’inspection du travail… Il n’est pas impossible, par ailleurs, que la discipline patronale dans l’entreprise soit renforcée pour assurer le respect des consignes.

Les choix du gouvernement en faveur des patrons

Ce protocole fournit un nouvel exemple de la doctrine du gouvernement en matière de droit du travail développée depuis le 17 mars. Au lieu de renforcer les dispositions du code du travail sur les agents biologiques, les sanctions et les moyens de contrôle, on leur substitue des recommandations techniques ou des guides de bonne pratique. C’est en quelque sorte le parachèvement des évolutions en cours depuis 2001, soumettant de plus en plus la santé et la sécurité au travail à l’appréciation du patron et à son « évaluation des risques » au détriment de règles précises, contrôlables et susceptibles de sanctions. Quant à l’inspection du travail, tout est fait pour la neutraliser et la réduire à une police des gestes barrières.

En parallèle, la question d’une loi d’exonération pénale des patrons fait son chemin. Par opportunisme le gouvernement s’y est opposé au Sénat, mais l’idée risque de resurgir dans les premières semaines du déconfinement. Il y a de toute façon peu de chance pour que les procédures pénales engagées contre les patrons aboutissent, les tribunaux annonçant d’ores-et-déjà un recours massif au classement sans suite pour se désengorger.

Dans ce contexte, il faut naturellement populariser quelques mots d’ordre simple permettant de contester la toute puissance patronale : interdiction des ruptures de contrat de travail, hausse des salaires, restitution des congés payés et JRTT volés, contrôle des salarié-es sur l’organisation du travail, réduction du temps de travail, réquisition des profits, réorientation planifiée de la production vers les besoins sociaux et environnementaux urgents, production de masques FFP2… puisque ce sont des questions désormais comprises à une large échelle.

Quelles sont les « marges de manœuvre » “militantes” ?

Tout d’abord, il faut souligner que la contradiction entre la mise en danger massive des travailleuses et travailleurs et la poursuite des restrictions des libertés démocratiques et militantes risque de devenir explosive. La commission nationale consultative des Droits de l’homme s’inquiète de la dégradation des libertés résultant de la loi d’urgence sanitaire. Partout, il faut tester les possibilités d’actions de terrain visibles, sous des formes à préparer et déterminer pour surmonter les réticences ou craintes légitimes même parmi les militant.e.s, faire passer l’idée qu’elles doivent revenir à l’ordre du jour, combattre l’illusion que les réseaux sociaux suffiront. La manifestation des sans papiers prévue le 30 mai est un encouragement en ce sens, alors que le mouvement syndical reste lui encore bien timoré.

Ensuite, il est possible de remporter des victoires sur le terrain judiciaire. Elles rencontrent souvent un écho médiatique considérable, comme c’est le cas avec Amazon (qui sous la pression a dû aller plus loin que ce que lui ordonnait la justice et fermer ses entrepôts en France… tout en assurant ses ventes depuis d’autres pays) ou Renault-Sandouville, obligé d’arrêter sa production. Les décisions des juges sont toutefois encore aléatoires, comme le montre la décision d’une juge à Aix-en-Provence déboutant une inspectrice du travail pour une chaîne de boulangerie. Il faut donc agir dans les CSE ou les syndicats pour que ces actions, malgré leurs limites, se multiplient si elles peuvent permettre de protéger les salarié-es et montrer à une échelle de masse que les entreprises privilégient les profits à la santé au travail ou à la consultation des représentant-es du personnel.

Enfin, il faut rappeler quelques éléments :
-  le droit de grève n’est ni abrogé ni suspendu. Dans le secteur privé, il s’exerce sans préavis et la retenue sur salaire est proportionnelle à la durée de la grève qui peut durer quelques minutes ou quelques heures (à l’inverse de la fonction publique). Il ne faut pas hésiter à l’utiliser, de manière la plus collective possible, en présentant des revendications concrètes. Dans la fonction publique d’État, un préavis de trois semaines a été déposé par la fédération CGT, permettant de couvrir les situations où les droits de retrait seraient contestés ;
-  le droit de retrait peut être une arme collective comme cela s’est vu en octobre dernier à la SNCF. Pour l’exercer, il suffit d’invoquer un motif raisonnable de penser qu’il existe un danger d’expositions au virus, sans avoir à justifier du danger et même si ce danger ne n’est pas encore matérialisé. Le risque est que le patron sanctionne en retirant du salaire, mais c’est illégal. Il est donc préférable d’exercer ce droit de manière concertée et de prévenir l’inspection du travail ;
-  l’inspection du travail, peut malgré tout être sollicitée et apporter un soutien sur le droit de retrait, en rappelant les règles ou en saisissant un.e juge. Dans ce cas, et compte tenu de la dégradation des conditions de contrôle, il est préférable de lui apporter le plus grand nombre d’informations lui permettant une intervention rapide.

Nos vies valent plus que leurs profits !

9 mai 2020, par NPA 49