Lev Davidovitch Bronstein, dit Trotsky (1879-1940)

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Assassiné il y a exactement 70 ans, le 20 aout 1940, Trotsky n’a (heureusement) pas fait partie de la commande de statues des « grands hommes » du 20ème siècle faite par Georges Frèche au sculpteur angevin François Cacheux. Il n’en a pas moins été l’un des principaux penseurs et acteurs qui ont marqué le mouvement socialiste au siècle dernier. Retour sur sa vie...

Fils d’un fermier juif d’Ukraine méridionale, Lev Bronstein fait ses études à Odessa, puis à Nikolaïev, où il devient « populiste » (le courant socialiste-révolutionnaire le plus influent à l’époque), puis marxiste (sous l’influence de sa compagne Alexandra Lvovna Sokolovskaïa). Arrêtés avec leur groupe en 1898, ils sont déportés en Sibérie. Evadé, Lev Bronstein (qui prend désormais le pseudonyme de Trotsky, du nom d’un de ses gardes-chiourmes de la prison d’Odessa) rejoint le groupe qui publie l’Iskra (« L’Étincelle ») en exil, autour de Georges Plékhanov (le « pape » des marxistes russes à l’époque) et de Vladimir Ilitch Oulianov (plus connu sous le nom de Lénine). En 1903, quand le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie POSDR) éclate à l’occasion d’un microscopique congrès en exil (43 délégués), Lev Bronstein ne suit ni Lénine et les « Bolchéviks » (« majoritaires »), ni les « menchéviks » (« minoritaires »), mais cherche vainement à maintenir l’unité du POSDR. À cette époque, il reproche à Lénine des méthodes d’organisation si centralisées qu’elles conduiront inévitablement « l’organisation du Parti à se « substituer » au Parti, le Comité central à l’organisation du Parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central » . Difficile de ne pas y voir une anticipation prophétique du fonctionnement des partis staliniens.

En 1905, il rentre en Russie en pleine effervescence révolutionnaire : l’armée russe vient d’être battue par les Japonais, l’autorité du tsar est affaiblie, des conseils (soviets en russe) d’ouvriers et de soldats se forment un peu partout. Grâce à ses talents de propagandiste et d’orateur, il est élu président du Soviet de Saint-Pétersbourg (la capitale de la Russie à l’époque), ce qui lui vaut d’être emprisonné à nouveau quand le tsar engage la répression. De nouveau déporté, il s’évade en février 1907 (il ne rentrera en Russie que dix ans plus tard).

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il se positionne dans la minorité de l’Internationale socialiste qui dénonce la guerre impérialiste, ce qui lui vaudra d’être expulsé de France en 1916, mais favorisera son rapprochement ultérieur avec Lénine. De même, quand la Révolution russe de février 1917 renverse le tsar, il est d’accord avec Lénine pour prépare une seconde révolution, basée sur le pouvoir démocratique des soviets, qui fasse la paix avec l’Allemagne et distribue la terre aux paysans, alors que les autres groupes socialistes russes soutenaient le gouvernement provisoire qui continuait la guerre et refusait de s’attaquer à la grande propriété foncière.

Rentré en Russie, il est élu à nouveau président du soviet de Petrograd (nouveau nom, russifié en 1914, de Saint-Pétersbourg). C’est à ce titre qu’il obtient, en intervenant dans les unités militaires de la garnison de Petrograd, que la Révolution d’octobre se fasse sans effusion de sang, du moins dans la capitale. Élu membre du Conseil des commissaires du peuple par le 2ème congrès des Soviets, il est d’abord chargé de négocier la paix avec l’Allemagne, puis, les contre-révolutionnaires déclenchant la guerre civile dans l’été 1918, il prend la tête de l’Armée rouge. C’est dans ces circonstances qu’il est amené à développer, notamment dans « Terrorisme et communisme » (1920), des idées très contradictoires avec celles qu’il avait développées en 1903-1904 ou qu’il développera par la suite : la militarisation du travail et l’intégration des syndicats à l’Etat soviétique. Sur ces deux points, il fut combattu à juste titre par Lénine et battu au congrès du Parti communiste russe. En tous les cas, la victoire de l’Armée rouge à la fin de la guerre civile et de l’intervention des grandes puissances contre la Russie soviétique en 1920 lui donne alors un grand prestige.

Quand l’Internationale communiste est fondée à Moscou en janvier 1919, il en est l’un des principaux dirigeants. Il suit donc de près les débuts du « Parti communiste, section française de l’Internationale communiste », en décembre 1920 et conseille les dirigeants de la gauche, dont Alfred Rosmer, son ami personnel et un des animateurs français de la lutte contre la guerre dès l’été 1914.

Début 1921, la guerre civile étant finie depuis plusieurs mois, une partie de la population russe manifeste sont mécontentement devant les difficultés persistantes, notamment par des grèves ouvrières à Petrograd et des insurrections paysannes contre la poursuite des réquisitions de récoltes. A Cronstadt, ancien bastion révolutionnaire de 1917, les marins se soulèvent, réclamant le retour à la démocratie dans les soviets, mais la menace d’une éventuelle intervention de la flotte britannique amène les dirigeants soviétiques à décider de les réduire par la force. Sans être directement mêlé à la répression, Trotsky l’approuve, la considérant comme une « tragique nécessité », ce qui lui vaudra ensuite d’être violemment dénoncé comme une brute sanguinaire par les anarchistes.

En 1922-1923, pendant la maladie de Lénine, Trotsky se rapproche de lui pour lutter contre la bureaucratisation du Parti communiste et de l’Etat soviétique, déjà incarnée alors par Staline bien sûr, mais aussi Zinoviev et Kamenev, tous trois bolchéviks, eux, dès 1903, à la différence de Trotsky. A la mort de Lénine en janvier 1924, cette « troïka » n’a pas de mal à marginaliser Trotsky, le « testament de Lénine » proposant d’écarter à la fois Staline, jugé trop brutal, et Trotsky, trop sûr de lui, de la direction de l’Etat, étant mis au placard purement et simplement. Trotsky s’oppose à Staline sur plusieurs plans : il dénonce à la fois la bureaucratisation du PC, le développement d’une nouvelle petite bourgeoisie dans le cadre du développement du « socialisme à pas de tortue », mais aussi la perspective d’un « socialisme dans un seul pays » coupé du développement de la révolution mondiale (l’Internationale communiste devient alors un instrument de politique étrangère de l’URSS). Isolé, Trotsky est alors exclu du Comité central du PC russe en novembre 1927, puis exilé à Alma-Ata (Kazakhstan) en 1928, avant d’être expulsé d’URSS en janvier 1929. Installé en Turquie (le seul pays qui voulut bien l’accueillir alors), il y rédige son autobiographie, Ma Vie, ainsi que son Histoire de la révolution russe et une analyse des processus révolutionnaires dans les pays dominés, La révolution permanente, où il critique la conception stalinienne de la « révolution par étapes » qui avait conduit la révolution chinoise à la catastrophe de 1927 (l’écrasement du mouvement ouvrier à Shanghaï par les troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek).

De 1928 à 1934, l’Internationale communiste stalinisée mène une politique ultra-gauche et sectaire, annonçant à tout bout de champ la « radicalisation des masses » et qualifiant les partis socialistes de « sociaux-fascistes », considérés comme plus dangereux que l’extrême-droite. Cette orientation selon laquelle « l’arbre national-socialiste (les nazis, pourtant en pleine ascension politique dès 1930) ne doit pas cacher la forêt social-démocrate » facilita l’arrivée au pouvoir du Parti nazi. Trotsky avait dès le début dénoncé cette politique et proposé en vain un « front unique » des organisations ouvrières contre leurs ennemis communs. Il fallut la nomination de Hitler comme chancelier en janvier 1933 et surtout les émeutes fascistes du 6 février 1934 en France pour que l’Internationale communiste retourne sa veste, mais pour s’engager cette fois dans la politique des Fronts populaires, c’est-à-dire d’alliances - au-delà des partis socialistes - avec des formations bourgeoises comme le Parti radical. Cette nouvelle orientation amena ainsi les staliniens espagnols à liquider les forces révolutionnaires de ce pays, notamment le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) et à assassiner sa principale figure, Andres Nin. De 1933 à 1935, Trotsky est en France, où il conseille l’activité de ses partisans malgré sa mise en résidence surveillée, puis il est expulsé en Norvège (1935-1936), d’où il suit avec attention la grève générale française. En janvier 1937, il arrive au Mexique. C’est l’époque des procès de Moscou, qui voient toute la vieille garde bolchévik brisée et assassinée systématiquement sur ordre de Staline. Ce dernier fait aussi assassiner tous les proches de Trotsky, dont probablement son plus proche collaborateur, son fils aîné Léon Sedov, qui publiait le « Bulletin de l’Opposition » envoyé clandestinement en URSS. Trotsky écrit alors La révolution trahie, analyse de la dégénérescence de l’Etat ouvrier russe (1936), puis Les crimes de Staline (1937).

Depuis 1933 et l’effondrement du Parti communiste allemand, il estime que l’Internationale communiste est morte, et que la tâche la plus urgente, avant la guerre qui menace, est de construire une Quatrième internationale en regroupant les révolutionnaires anti-staliniens. S’il ne put participer à son congrès de fondation en France en septembre 1938, il fut le principal inspirateur de son Programme de Transition. L’acharnement de Staline, dont il avait prévu le pacte avec Hitler, lui valut un premier attentat (manqué) dirigé par le peintre mexicain Siqueiros le 24 mai 1940, et un second, le 20 août suivant, mené par un agent soviétique infiltré, Ramon Mercader, qui lui asséna un coup de piolet mortel sur la tête. Pour en finir avec la perspective d’une révolution mondiale, il ne restait plus à Staline qu’à dissoudre l’Internationale communiste en 1943. Par la suite, l’effondrement du bloc soviétique puis de l’URSS en 1989-1991 a clos tout un cycle ouvert par la Première Guerre mondiale et les révolutions de 1917.

Frédéric


Voir aussi sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trotsky

20 août 2010, par NPA 49