Mobilisation pour les retraites : éléments de bilan

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Une phase s’est achevée en novembre dans le grand mouvement pour la défense des retraites par répartition : la loi a été votée par le parlement UMP contre l’avis de l’immense majorité de la population ; la mobilisation s’est repliée en attente de nouvelles perspectives de lutte. C’est le moment de revenir sur ce qui a constitué le plus puissant mouvement social des dernières années, notamment en Maine-et-Loire. Nous reproduisons ci-dessous l’analyse d’un militant du NPA49.

ÉLÉMENTS DE BILAN DU MOUVEMENT SOCIAL DE DEFENSE DES RETRAITES (JUIN-NOVEMBRE 2010)

La mobilisation a de fait commencé au début du printemps, juste après les élections régionales, avec la constitution un peu partout de collectifs unitaires suite à l’appel lancé par Attac et la Fondation Copernic. A Angers, les premières réunions du collectif se sont tenues au mois d’avril et ont rassemblé presque toute la gauche politique et une partie de l’intersyndicale. Du côté politique, le collectif, largement ouvert, a rassemblé la gauche parlementaire (PCF, PS, PG, Verts) et une partie de la gauche radicale (Alternative Libertaire et le NPA, Lutte ouvrière et le POI restant en dehors). Du côté syndical, à l’image de l’éventail national des signataires, le collectif n’a obtenu que la participation de la FSU et de Solidaires, même si quelques sections CGT ont exprimé leur soutien. L’essentiel du travail du collectif s’est fait en amont du mouvement, par l’information, la diffusion de milliers de tracts dans les rues d’Angers sur la nocivité de la réforme pour les salarié-e-s, et par un meeting fin juin qui a réuni près de 200 militants des organisations partie prenantes : la présence à la même tribune d’Alain Krivine (NPA), de Christian Mahieux (Solidaires) et de responsables du PS (Frédéric Béatse) ou des Verts (Vincent Dulong) était d’ailleurs un petit événement médiatique, et cela sans tomber dans le consensus mou, puisqu’Alain Krivine n’a pas hésité à interpeller l’élu PS sur la politique menée au même moment par ses camarades grecs… Un collectif du même type s’est également créé à Saumur.

Dès cette période, le positionnement des organisations nationales, syndicales et politiques, de gauche par rapport au projet gouvernemental était connu :
-  d’un côté la gauche syndicale et politique « modérée », c’est-à-dire adaptée au capitalisme (CFDT et PS), ne réclamait que le maintien du droit de partir en retraite à 60 ans et de l’annulation de la décote à 65, tout en acceptant l’allongement du nombre d’annuités de cotisation, ce qui au bout du compte faisait et fait toujours l’impasse sur le nécessaire repartage des richesses, au détriment de la bourgeoisie cette fois, et revient à accepter sans le dire de réduire le niveau des retraites,
-  de l’autre, les partisans du retrait pur et simple du projet (Solidaires, FSU, FO, NPA, POI, AL), étaient hostiles non seulement au report à 62 et 67 ans des dates-butoirs, mais aussi à tout allongement de la durée de cotisation, et de surcroît favorables à l’annulation de toutes les mesures intervenues depuis 1993 (retour aux 37,5 annuités pour le public comme pour le privé, annulation du système de décote).

Cette divergence aurait pu entraîner assez vite l’éclatement de l’intersyndicale nationale, mais celle-ci a perduré presque jusqu’au bout (FO, qui avait un pied dedans et un pied dehors, a fini par rompre mi-novembre). Et de fait, malgré cette ambiguïté, il faut bien reconnaître que le maintien de l’unité syndicale a permis de donner à la lutte sa massivité, avec au plus fort du mouvement, vers la mi-octobre, plus de trois millions de manifestants, soit beaucoup plus que les plus fortes manifestations de mai 1968 (autour d’un million et demi de participants pour la grève générale du 13 mai). En revanche, pour continuer la comparaison avec 68, il y avait eu à cette époque au plus fort de la grève générale (du 22 au 31 mai) autour de 8 à 10 millions de grévistes : or cet automne, les secteurs les plus combatifs, partis en grève reconductible (ports, cheminots, employés territoriaux, raffineries…), s’ils n’ont pas tenu la grève moins longtemps, n’ont finalement pas réussi à entraîner avec eux les gros bataillons de la classe ouvrière industrielle, en particulier les plus concentrés (Renault, Peugeot, Airbus…).

Cette situation s’explique certes par les leçons que le patronat a tirées précisément de la grève générale de 1968 : non seulement casser la plupart de ces grandes concentrations de salariés les mieux syndicalisées (comme Renault Billancourt), qui étaient alors susceptibles de donner le ton et d’entraîner les autres secteurs dans la lutte, mais aussi diviser davantage les salarié-e-s, en développant la précarité (intérim, CDD), en externalisant une partie des activités (des salariés d’un même site qui n’ont plus les mêmes patrons, n’ont plus les mêmes rythmes de mobilisation), etc. Cumulée avec la répression antisyndicale, cette politique volontariste a fait chuter le taux de salarié-e-s syndiqué-e-s à un niveau très faible (autour de 5 %). De plus, en 1968, l’action intersyndicale s’organisait pour l’essentiel autour de deux syndicats ouvriers, la CGT et la CFDT (à l’époque cette dernière était favorable à l’autogestion socialiste), plus la FEN, hégémonique dans les personnels de l’Education, et l’UNEF chez les étudiants. Aujourd’hui, le monde syndical est complètement balkanisé, avec pas moins de huit confédérations ou assimilées.

Autre donnée : l’accumulation, depuis les années 90, de défaites des salariés concernant leur salaire socialisé, notamment les retraites. En effet, en 1993, la réforme Balladur (allongement de la durée de cotisation dans le privé) a pu s’appliquer pratiquement sans combat. Et si le gouvernement Juppé a dû renoncer à des mesures équivalentes dans le public en 1995, cela a été dû principalement à la paralysie du pays provoquée par la grève massive des cheminots et de la RATP, ce qui a amené ensuite en 2003 et 2007 à des attaques successives, mais séparées contre les services publics, qui ont finalement réussi à imposer l’alignement du public sur le privé, malgré des résistances importantes, notamment dans l’Education nationale. Il n’est donc pas étonnant que les secteurs qui ont été en pointe à ces différentes étapes de la lutte soient restés en retrait cette année. Autre élément d’explication : l’absence d’alternative politique anticapitaliste. En effet, beaucoup de salarié-e-s estiment à juste titre que l’éventuelle arrivée au gouvernement du PS ne changerait pratiquement rien à la situation : à quoi bon s’engager dans une grève générale qui déclencherait inexorablement une crise politique d’envergure et éventuellement des élections anticipées, si le seul résultat tangible est de porter au pouvoir une gauche parlementaire qui n’effectuerait qu’une réforme cosmétique, c’est-à-dire le droit de partir en retraite avec une pension nettement réduite… Ce sont sans doute des considérations de ce genre qui, outre les illusions électorales encore très pesantes, ont joué dans la faiblesse de l’extension du mouvement de grève reconductible. Il n’en reste pas moins que seule la généralisation de la grève aurait pu faire fléchir Sarkozy et sa clique au service du grand patronat. Une paralysie complète de l’économie aurait en effet coûté très cher à ce dernier et l’aurait certainement amené à peser sur le gouvernement pour qu’il arrête (temporairement) les frais, de même que - dans un contexte très différent - la grève générale de 1936 avait poussé le patronat de l’époque à faire pression sur Blum pour qu’il organise rapidement les négociations qui ont abouti aux Accords Matignon (ceux-ci nous ont donné à l’époque les premiers congés payés, la semaine de 40 heures, les délégués du personnes, les conventions collectives, etc.).

Certains syndicalistes affirment aussi que la gauche anticapitaliste aurait dû afficher davantage son unité pour contrebalancer le manque de confiance de la partie la plus combative des grévistes dans la gauche parlementaire et ouvrir ainsi une alternative politique. Dans l’absolu, ce point de vue est justifié, mais il faut bien voir que l’unité, si elle est souhaitable, doit se faire sur des bases solides. Or, comment présenter un front uni avec le PCF et le PG qui se mettent à la remorque des positions minimalistes de l’intersyndicale, apportent un soutien acritique à l’alignement de journées d’action dont la fonction est limitée à l’expression de la protestation, et restent totalement silencieux sur la seule perspective capable d’être victorieuse, la grève générale. De plus, à l’instar du référendum prôné entre autres par Mélenchon, placer l’enjeu de la lutte sur le terrain d’une hypothétique victoire électorale n’était pas vraiment une bonne idée au moment où, vers la mi-octobre, la montée du mouvement laissait entrevoir la possibilité d’une entrée dans la grève générale. Cela rappelle furieusement la tactique du PCF en 1968, qui au lendemain du discours de de Gaulle annonçant la tenue d’élections anticipées, a bradé la grève générale et poussé à la reprise… pour un misérable plat de lentilles (il a alors perdu plus de la moitié de ses députés !).

Bien sûr, une grève générale ne se décrète pas (ni en 1936, ni en 1968, les grandes confédérations n’y ont appelé, d’ailleurs), mais elle doit se préparer et surtout reposer sur la mise en mouvement démocratique des couches les plus larges de salarié-e-s, au travers d’assemblées générales de grévistes, de comités de grève associant syndiqué-e-s et non-syndiqué-e-s et de leur coordination.

Ces formes d’auto-organisation des salarié-e-s en lutte sont d’ailleurs (ré)apparues au cours du mouvement, y compris à Angers où les secteurs en grève reconductible se sont réunis chaque jour autour des cheminots en lutte, à partir du 12 octobre. Inutile de dire que l’organisation et la coordination des secteurs en lutte aurait dû être le fait des Unions départementales de syndicats (c’est précisément pour cela que celles-ci avaient été créées par la CGT au début du 20ème siècle), mais ce n’est pas non plus un hasard si elles ne se sont pas engagés dans cette voie (à l’exception notable, localement, de Solidaires, de la FSU et de l’Union locale CGT d’Angers). C’est ce regroupement des militants les plus déterminés qui a permis de travailler à mobiliser largement les salarié-e-s des nombreuses entreprises des différentes zones industrielles pour les grandes manifestations, ce qui était la condition préalable au passage à une étape supérieure. C’est aussi dans des actions prolongées de ce type que s’est manifestée une véritable conscience de classe anticapitaliste, mêlant massivement dans l’action travailleurs du public et du privé pour la première fois depuis 1968, travailleurs précaires et à statut, par delà les appartenances syndicales et politiques de chacun. C’est ce qui nous permet d’être optimistes pour la suite des événements malgré l’échec (provisoire) du mouvement.

FD

2 décembre 2010, par NPA 49