Une lutte en profondeur contre la marchandisation de l’éducation

Partager

Une vague sans précédent soulève depuis le début de l’année l’autrefois paisible corporation des enseignants-chercheurs. Deux contre-réformes en sont à l’origine : le projet de décret modifiant leur statut et la réforme dite de “mastérisation” des formations d’enseignants du primaire et du secondaire. Il faut y ajouter l’électrochoc qu’ont constitué la suppression inédite d’un millier de postes dans le supérieur et la recherche en 2009 et de sérieuses restrictions budgétaires. Le démantèlement du CNRS et des grands organismes de recherche décidé par Sarkozy le 22 janvier dans un discours méprisant et méprisable a fini de mettre le feu aux poudres.

-  Décret (anti) statutaire : la fin des enseignants-chercheurs ?

En 1984, le décret Payan annualisait et alourdissait de 28% leurs charges d’enseignement. Il avait alors suscité une forte mobilisation. Mais le projet de décret Pécresse, qui donnerait aux Présidents d’université le pouvoir de “moduler” ces mêmes charges jusqu’à les doubler, est bien plus grave. Ce n’est plus seulement un nouvel alourdissement du service d’enseignement et un moyen économique de pallier des pénuries de postes. C’est la porte ouverte à l’éradication de la recherche dans les disciplines fondamentales ou appliquées en fonction des politiques (contraintes par les budgets et la mise en concurrence) des universités “autonomes”, au nom de critères “bibliométriques” arbitraires. C’est l’arrêt de mort de la relative indépendance des enseignants-chercheurs et l’institutionnalisation d’un clientélisme dont souffrait déjà l’université avant 1968. C’est enfin ce qui rend rapidement possible des “collèges universitaires” où l’enseignement, limité à la licence, serait déconnecté de la recherche (les derniers projets de transferts de professeurs agrégés vers les universités vont dans le même sens). Conséquence directe d’une loi LRU à laquelle les personnels avaient paru dans un premier temps se résigner, le projet de décret statutaire agit sur eux comme un révélateur des objectifs des réformes qui se succèdent à intervalles rapprochés depuis 20 ans, et en particulier des deux dernières, le LMD d’Allègre et la LRU de Pécresse : soumission de l’enseignement supérieur et de la recherche aux exigences à court terme du marché (fin des diplômes nationaux, recherche soumise à la logique finalisée des contrats) et transfert aux établissements de la conflictualité sociale dont la gestion relevait auparavant de l’État (droits d’inscription, salaires, emploi et précarité). Exceptée l’attitude ambiguë de deux petits syndicats (UNSA et SGEN-CFDT), le refus du projet de décret statutaire est net et sans bavure . A droite, l’Autonome et Qualité de la science française étonnent par leur virulence. Majoritairement conservatrices, les facultés de droit elles-mêmes se sont mobilisées, ce qui rend presque cocasse la position du ministère. Mais c’est le SNESUP, Sauvons la Recherche (SLR), Sauvons l’Université (SLU) et maintenant la Coordination nationale des universités qui forment l’épine dorsale d’une mobilisation soutenue par une écrasante majorité d’universitaires. La Conférence des présidents d’université (CPU) pourtant complice de la rédaction du projet et vieille supportrice de la modulation des services a été contrainte de se démarquer provisoirement de Pécresse, sous peine d’être définitivement discréditée et de placer ses adhérents en opposition frontale avec les personnels et leurs propres Conseils d’administration (CA)...

-  Mastérisation : la fin des concours ?

Après l’intégration, menée tambour battant, des IUFM à certaines universités (une par académie), la mastérisation express de la formation des enseignants devait constituer un nouvel angle d’attaque des concours de la fonction publique. Déjà le gouvernement rêvait d’une armée de précaires (ayant ou non un master à Bac+5) venant, au bon vouloir de principaux ou proviseurs tout-puissants, remplir les trous laissés dans les établissements scolaires par un recrutement de fonctionnaires toujours plus limité. En retardant le concours d’un an et en prévoyant d’envoyer ses lauréats directement devant les classes sans année de formation professionnelle , il programmait l’économie d’une année de salaire des enseignants (soit 750 millions d’euros, pour une moyenne de 25.000 postes de stagiaires les cinq dernières années) et d’une annuité-retraite. Cette catastrophe pour les étudiants les moins fortunés devait être misérablement compensée par une bourse annuelle de... 1500 euros en 5e année (et 3000 euros pour le stage en responsabilité). Cependant, l’objectif de la réforme était d’abord de généraliser la logique LMD : obliger les universités à créer des masters sans cadrage ministériel, en concurrence les uns avec les autres, en contradiction flagrante avec le caractère national des concours. C’était donc le concours qui était finalement en ligne de mire. Fortement aiguillonnée par Darcos, Pécresse a d’abord exigé que les universités lui renvoient des projets (maquettes) de master en décembre, dans un délai ridiculement court, sans qu’elles disposent d’informations sérieuses sur les contenus des concours réformés. Or, notamment en sciences humaines et sociales, c’est un véritable bouleversement de la nature des épreuves qui s’annonce. Et bricoler une 5e année quand on ne dispose au préalable que d’une préparation au concours (4e année) nécessite toute de même un peu d’imagination ! Les présidents d’université eux-mêmes ont dû monter au créneau pour demander un moratoire. Le ministère l’accorda jusqu’à mi-février. Las, venu des universités normandes, renforcé par le mouvement contre le décret statutaire et la mobilisation naissante des étudiants, un vent de boycott des masters s’est levé et juste un peu plus de 10% des établissements ont rendu leurs copie, si bien que la date limite de dépôt vient d’être repoussée à la fin mars ! La revendication d’un moratoire jusqu’à l’an prochain, porté notamment par la FSU, se révèle aujourd’hui insuffisante : c’est l’abandon pur et simple de cette contre-réforme qui est d’actualité.

-  La mobilisation : un révélateur des intentions ministérielles

Le mouvement, à condition de rester massif, peut durablement s’installer dans le paysage social. L’extension de la grève a été très rapide chez les enseignants-chercheurs, même si elle est restée inégale et n’a pas encore touché les BIATOSS (personnels techniques et administratifs). Depuis le 22 janvier, une coordination nationale s’est mise en place qui regroupe régulièrement des délégués de la plupart des universités et a progressivement radicalisé ses mots d’ordre jusqu’à demander l’abrogation de la LRU. Des manifestations hebdomadaires ont été organisées dans tout le pays ; ainsi le 10 février, avec environ 80.000 personnes, alors que les étudiants commençaient à peine à se mobiliser. Dans les médias, des enseignants-chercheurs ont enfin pu exprimer un autre point de vue que celui de la CPU et du ministère. Le discours enjôleur de la ministre a été démasqué comme de la pure falsification (notamment sur les prétendues augmentations des sommes allouées aux universités, qui ne résultent que d’un jeu sur les lignes budgétaires). Déstabilisée, la ministre a commencé par nommer une médiatrice pour amender le projet de décret statutaire. Le 25 février, Fillon en a concédé une réécriture complète, mais sans en préciser le contenu, ni revenir sur la modulation des services. Le gouvernement n’entend d’ailleurs pas (encore) céder sur l’essentiel : la LRU, le démantèlement des grands organismes de recherche, la mastérisation, la précarisation des personnels et le remodelage de la carte universitaire (avec une dizaine de pôles d’élite). La fausse candeur de Pécresse présentant les suppressions de postes comme anodines dans la mesure où elles sont concentrées sur les catégories C des BIATOSS montre bien que l’objectif est d’externaliser (recours à des firmes privées ou à l’intérim) ce qui n’est pas au cœur des missions enseignement-recherche et de contractualiser le reste au maximum sous forme de CDD ou CDI de droit public (nettement moins avantageux que dans le privé !). Et c’est pour cela que la lutte doit continuer !

Les AG étudiantes et enseignantes et les manifestations qui se sont tenues cette semaine, notamment à Angers, confirment l’élargissement progressif de la lutte. Au delà du décret sur le statut des enseignants-chercheurs et de la réforme de la mastérisation des formations d’enseignants, c’est la LRU et toute la politique de marchandisation de l’éducation et de la recherche qui est maintenant clairement en cause.

27 février 2009