Projet de « loi de santé » : Quand étatisation rime avec privatisation

Partager

La logique austéritaire et de privatisation se poursuit dans la santé. Le fait que les secteurs les plus réactionnaires, adeptes du « toujours plus », s’opposent au nouveau projet de loi gouvernemental ne rend pas celui-ci le moins du monde progressiste.

« A l’heure où la France a plus que jamais besoin d’entreprises de santé performantes au service du public, ce projet de loi porté par un logiciel idéologique dépassé, nous ramène 40 ans en arrière en faisant de l’hôpital public – dont on sait qu’il est bien malade – le pivot du système de soins français. » Par la voix de son président, Lamine Gharbi, la Fédération de l’hospitalisation privée [1] lève l’étendard de la révolte patronale contre le projet de loi dit « de santé », présenté le 8 septembre 2014 par Marisol Touraine. Pas en reste dans la surenchère, Roger Rua, président du SML (Syndicat des médecins libéraux) se lâche : « Cette loi est faite pour détruire l’exercice libéral. C’est plus qu’une étatisation, c’est une bolchevisation » !

Une convergence de forces réactionnaires, patrons de cliniques, syndicats de médecins libéraux, pharmaciens, se prépare contre ce projet de loi qui sera présenté au parlement début 2015. Ils annoncent leur volonté de mobiliser « leurs patients ». Les réactionnaires de tout poil se joindront à eux pour combattre les quelques mesures positives préconisées par le texte (tout spécialement ce qu’ils appellent les « salles de shoot »). Ce cocktail pas très ragoûtant de « pigeons » et de « manif pour tous » sera bien sûr soutenu par la droite et l’extrême droite.

L’image d’un gouvernement « de gauche » se battant pour une réforme « progressiste » du système de santé est ainsi confortée. Pourtant, dans la réalité, la loi Touraine accélère et organise, en prétendant l’encadrer, la privatisation du système de santé. Elle se situe dans la continuité de la loi Bachelot/Sarkozy de 2009 que Hollande s’est refusé à abroger. Elle est au service du pacte de responsabilité, avec ses 10 milliards d’euros de restrictions de crédits sur la santé. Mais pourquoi alors cette offensive réactionnaire contre elle ?

Une loi de « santé publique », vraiment ?

Cette loi prétend définir une politique nationale englobant prévention, organisation des soins, accès aux soins, participation des usagers, et mettre fin au « cloisonnement » des acteurs du système de santé. Mais les choses se gâtent quand il s’agit de passer des principes à la réalité. Il ne reste plus de la « grande politique de santé » annoncée que quelques mesures limitées, et surtout l’accompagnement par l’Etat de la privatisation du système de soins.

Le projet de loi insiste, avec raison, sur l’importance des « déterminants de santé » dans l’état sanitaire de la population et les inégalités de santé. Ce terme désigne toutes les conditions sociales et environnementales agissant sur la santé : conditions de travail, organisation du travail, licenciements et chômage, conditions de vie et de logement, risques environnementaux, alimentation…. Mais agir sur ces « déterminants » supposerait de s’attaquer aux intérêts privés pour lesquels la santé des travailleurs et de la population est un « surcoût » inacceptable ou une perte de débouchés lucratifs. Comment un gouvernement qui proclame chaque jour son amour de « l’entreprise », organise la « baisse du coût du travail » et veut supprimer sous couvert de « simplification » les « rigidités » que sont les normes sociales et environnementales, le pourrait-il ?

La montagne accouche d’une souris : amélioration de l’éducation sanitaire, contraception d’urgence dans les établissements scolaires, ou expérimentation des « salles de consommation supervisées » permettant de réduire les risques pour les consommateurs de drogues. Mesures qui malgré leurs limites doivent être soutenues contre la droite… mais aussi contre le gouvernement lui-même, toujours prêt à reculer face aux exigences patronales ou réactionnaires. Il faut également soutenir, contre la scandaleuse campagne des principaux syndicats de médecins libéraux, la généralisation du « tiers payant » [2] annoncée dans le texte, l’avance du prix de la consultation médicale restant un obstacle important à l’accès aux soins.

Dans les pas de la loi Bachelot

Tout cela ne saurait cacher l’essentiel : la loi Touraine crée avant tout de nouveaux instruments pour accélérer les restructurations hospitalières et réduire la place de l’hôpital public. Le gouvernement semble certes, dans les mots, donner satisfaction aux défenseurs du service public. Le texte rétablit la distinction abolie par Bachelot/Sarkozy entre « service public hospitalier » et établissements privés… mais pour aussitôt l’annuler dans les faits : « Le service public hospitalier peut également être assuré par les établissements de santé privés dès lors qu’ils exercent l’ensemble de leur activité dans les conditions énoncées à l’article L. 6112-2 ».

C’est que les choix de Hollande, austérité oblige, sont les mêmes que ceux de Sarkozy : réduire la place l’hôpital public en confiant ses missions à des opérateurs privés (cliniques, praticiens libéraux, etc.). Pour cela la loi crée deux nouveaux outils : le « Service territorial de santé au public » (STSP) et le « Groupement hospitalier de territoire » (GHT).

Le « territoire », espace de la privatisation

Selon le projet de loi, le STSP « repose sur une coordination de l’ensemble des acteurs de santé, afin d’offrir une prise en charge adaptée à toute personne devant recourir au système de santé ». Personne ne contestera la nécessité de coordonner l’intervention de l’ensemble des professionnels, dans l’intérêt du patient, d’autant plus dans le cas des pathologies chroniques et des soins aux personnes âgées, qui nécessitent une continuité et un suivi dans la durée. Mais le morcellement du soin entre de multiples acteurs publics et privés a été instauré par la division historique entre hôpital public et médecine de ville confiée essentiellement aux praticiens libéraux. Il est aujourd’hui dramatiquement aggravé par la réduction du financement de l’hôpital public qui remet en cause la place de celui-ci comme pivot du dispositif de soins (comme en témoignent les fermetures d’hôpitaux et de maternités de proximité).

Le STSP cherche à mettre en place, sous le contrôle des ARS (Agences régionales de santé), un bricolage de substitution à la disparition du service public. Bricolage par ailleurs payant pour le patient (comme les maisons médicales libérales). L’Etat, par son « bras armé », les ARS, est contraint d’organiser la coordination des intervenants et des « programmes » spécifiques pour pallier les besoins et limiter les « déserts sanitaires ». D’où quelques exigences vis-à-vis des cliniques commerciales et des médecins libéraux, et leur rébellion contre « l’étatisation »...

Le sort réservé à la psychiatrie publique éclaire de manière vive le sens de la « territorialisation ». Elle assurait jusqu’à présent les soins dans et hors l’hôpital. La loi Touraine codifie la disparition des soins (gratuits) dans la cité, pour les confier dans le cadre du SPST à des acteurs privés libéraux, commerciaux ou associatifs.

Enfin pour restructurer et rentabiliser l’hôpital, la loi Bachelot HPST avait créé les « communautés hospitalières de territoire », en laissant toutefois aux établissements la liberté (relative) d’y adhérer. Le projet de loi lui substitue le « groupement hospitalier de territoire », plus contraignant puisque les établissements (sauf dérogation de l’ARS) seront obligés d’en être membres sous peine de se voir retirer une partie de leurs financements, ou même leurs autorisations de fonctionner.

Pourquoi patrons et médecins libéraux se mobilisent-ils contre ce projet ?

Les patrons de l’hospitalisation privée appliquent la stratégie du « toujours plus » de Gattaz et du Medef : le minimum d’exigences quant aux missions de service public, c’est encore trop. Face à un gouvernement prêt à toutes les concessions, ils veulent s’affranchir de toutes les « contraintes » pouvant limiter les profits versés à leurs actionnaires.

Quant aux médecins libéraux, espérant revenir au temps de la médecine libérale d’autrefois, ils risquent de se retrouver dans la position de l’arroseur arrosé. Avec le retrait de la sécurité sociale des soins de ville, loin de retrouver la liberté d’exercer, ils tomberont sous la coupe des « réseaux de soins » concurrentiels des assureurs privés en cours de constitution. Ils seront alors soumis à leurs exigences commerciales draconiennes qui leur feront regretter « l’heureuse époque » des « diktats » de la sécurité sociale.

Construire une alternative de classe

Il est donc nécessaire, dans un même mouvement, de combattre le projet gouvernemental et l’offensive d’un patronat, de syndicats libéraux et d’une droite qui en veulent toujours plus. A l’image des « marées blanches » dans l’Etat espagnol, c’est au rassemblement de toutes celles et ceux qui veulent défendre et étendre le « bien commun » constitué par l’hôpital public et la sécurité sociale qu’il faut œuvrer. Dans ce front, trouveront leur place les salariés des hôpitaux, mais aussi du secteur privé, de l’action sociale, les syndicats interprofessionnels, les associations d’usagers et comités de défense des Hôpitaux, les partis politiques, ainsi que la minorité des praticiens libéraux [3] attachés davantage à la défense d’un système non marchand, au service des patients, qu’à d’illusoires intérêts corporatistes. La construction, encore à ses débuts, de la « Convergence des hôpitaux contre l’Hostérité » va dans cette direction.

Jean-Claude Laumonier

18 décembre 2014, par NPA 49

[1] Fédération patronale adhérente au Medef qui regroupe les cliniques privées commerciales. La FHP représente 1200 cliniques qui emploient 140 000 salariés et où exercent 40 000 médecins.

[2] Le « tiers payant » permet au patient de ne pas avancer le prix de la consultation au médecin, qui est directement réglé par la sécurité sociale.

[3] Notamment avec le Syndicat de la médecine générale.