L’écosocialisme, qu’est-ce que c’est ?

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Dans un court exposé, un camarade du NPA49 sur la notion d’écosocialisme (écologie et socialisme) d’un point de vue historique (sa place dans le mouvement ouvrier d’hier et d’aujourd’hui) et en tant que réponse à la crise écologique et sociale actuelle. Face à un capitalisme destructeur, où la recherche du profit conduit inéluctablement à un productivisme aveugle et spoliateur de la nature et des humains, l’écosocialisme doit devenir l’alternative nécessaire et souhaitable par toute l’humanité.

1. – L’écologie, un des deux piliers, trop longtemps oublié, du mouvement révolutionnaire

Le mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle et surtout celui du XXe siècle, notamment sous l’influence du stalinisme, a adopté très majoritairement une vision productiviste du développement humain : la science, la technologie, la production industrielle et l’agriculture industrialisée, seraient intrinsèquement des outils de libération humains ; le capitalisme en fait certes des outils d’oppression, d’aliénation, mais il suffirait de collectiviser la propriété des moyens de production et d’échange et de les mettre au service de l’humanité pour que ces forces productives révèlent leur potentiel émancipateur.

Pourtant, Marx est loin d’avoir toujours manifesté un tel optimisme. S’il a souvent glorifié le rôle du capitalisme industriel dans la destruction de l’ancienne société féodale, il en a aussi décelé les effets ravageurs à la fois sur les travailleurs et sur la nature. Sous l’influence des travaux du chimiste Justus Liebig sur l’épuisement des sols qu’induisent conjointement l’agriculture intensive et la concentration des populations dans les villes (consécutive à un « exode rural » qui fut le plus souvent une déportation), il conclut avec force dans le livre I du Capital (4e section, chapitre 15-10) : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. » Et dans les ébauches du livre III, dans le chapitre sur le prix de la terre (6e section, Ch. 46 de l’édition d’Engels), il affiche une préoccupation clairement écologiste : « Ni une nation, ni toutes les nations couvrant le globe ne sont propriétaires de la terre ; elles n’en ont que la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l’avoir améliorée en boni patres familias. »

De même Engels, souvent présenté comme productiviste et scientiste, n’a pas été insensible à la question des échanges entre humains et environnement naturel. Dans l’article intitulé « Le Rôle du travail dans la transformation du singe en homme » publié dans Dialectique de la Nature, il met en garde contre les effets indésirables qui accompagnent parfois les apparentes « victoires humaines sur la nature » : « nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger comme quelqu’un qui est en dehors de la nature, mais nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, nous sommes dans son sein et toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nos avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »

Cette préoccupation d’Engels, amateur éclairé des sciences de la nature, n’est pas un hasard. Les problématiques écologiques ont en effet été soulevées au milieu du XIXe siècle par de nombreux scientifiques (Liebig, Thomson, Wallace…) sensibles aux transformations à long terme de conditions de vie bousculées par l’activité humaine et à l’irréversibilité de ces transformations. Le concept même d’écologie a été inventé en 1866 par le darwiniste matérialiste Ernst Haeckel. Pour celui-ci, l’écologie est « la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence ». [1] Néanmoins, ce sont des priorités uniquement « sociales » au premier degré qui vont rapidement dominer le mouvement ouvrier après Marx et Engels. L’invention des engrais chimiques éloignera le spectre de l’épuisement des sols et de la famine dès la fin du siècle. Par ailleurs, les aspects réactionnaires, voire anti-humanistes, de certains courants écologistes (à commencer par le racisme d’époque de biologistes tels que Haeckel, que les nazis mettront en avant tout en mettant sous le boisseau la plupart de ses travaux) et l’utilisation du scientisme productiviste comme béquille idéologique de la social-démocratie et des régimes staliniens vont durablement éloigner le mouvement ouvrier, y compris ses courants révolutionnaires, de toute préoccupation écologiste. Dans les années 1930, la figure de Walter Benjamin fait exception (cf. sa thèse XI sur le concept d’histoire) mais il reste une exception...

2- La crise écologique actuelle, conséquence de la spoliation des richesses de la planète

Les crises écologiques ont été nombreuses depuis que l’humanité s’est constituée, d’origine humaine ou non. Cependant, la crise actuelle a une dimension nouvelle : elle est planétaire et non plus seulement locale. Dans les pays pauvres, mais aussi dans les plus riches, elle met la vie en danger des millions d’hommes, voire l’humanité toute entière.

Elle a de multiples aspects, à des échelles différentes :
-  épuisement à terme rapproché des ressources d’énergie libre fossile (carbonées et fissiles) et de ressources minérales stratégiques (terres rares) ;
-  modifications de la composition de l’atmosphère entraînant une augmentation brusque de l’effet de serre et, partant, un bouleversement du climat et des mutations écologiques brutales (hausse du niveau des océans, extinction de masse d’espèces animales et végétales, multiplication d’espèces invasives…) ;
-  pollution de l’eau, déforestation, dégradation et empoisonnement des sols liés au développement de l’industrie chimique et de l’agriculture intensive ;
-  catastrophes chimiques comme à Bhopal, en Inde (1984), ou à Tianjin, en Chine (2015), et catastrophes nucléaires comme à Tchernobyl (1986) ou à Fukushima (2011) ; en France, on relève notamment les marées noires de l’Amoco Cadiz (1978) et de l’Erika (1999) et l’explosion de l’usine AZF (2001) ;
-  scandales sanitaires comme ceux de la vache folle (1996…), des OGM, de l’utilisation de prothèses mammaires toxiques, du Médiator, etc.

Sous ces différents aspects, cette crise apparaît comme la conséquence d’une même logique, celle d’une économie capitaliste dont le moteur est la recherche du profit, qui tend à tout privatiser et à tout transformer en marchandise. Cette économie de la classe dirigeante ne connaît que le court terme, celui de la fébrilité des marchés, alors que la nature évolue sur le long terme de la vie végétale et animale. La course incessante au profit pousse à un productivisme aveugle qui se développe sans se soucier de l’avenir des populations et encore moins de l’environnement. Ce n’est pas nouveau, mais à l’heure de la mondialisation, l’ampleur des dommages est telle qu’elle fait craindre des transformations irréparables.

3. La renaissance de l’écosocialisme en tant que nécessité

Or, il n’y aura pas d’émancipation du prolétariat et plus largement de l’humanité si leurs conditions d’existence mêmes sont remises en cause. Les mobilisations paysannes dans maints pays du Tiers-Monde et des pays riches contre la mainmise des multinationales sur les semences et les engrais et contre les grands projets industriels ou agro-industriels sont une illustration de cette prise de conscience. Celles des victimes civiles d’une chimie et d’une physique nucléaire au service du productivisme capitaliste en sont une autre. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la question écologique ait fini par resurgir dans le mouvement révolutionnaire et jusque dans tout le mouvement ouvrier, quoiqu’avec difficulté. [2]

Cette résurgence de l’écologie socialiste, ou écosocialisme, est d’autant plus nécessaire que le mouvement écologiste qui s’est développé depuis plusieurs décennies reste dans sa majorité éloigné des préoccupations sociales et ne remet pas en cause le système capitaliste. « Rouges » et « Verts » luttent sur des terrains différents et n’ont que rarement des points de rencontre. Certains courants écologistes fondamentalistes, notamment la « deep ecology », développent même un anti-humanisme des plus repoussant. Au contraire, la première des préoccupations écosocialistes reste l’émancipation humaine dans la perspective d’un co-développement avec la nature et d’unifier les luttes dans cet objectif. Et cela passe par l’abolition du capitalisme et de sa logique comptable et mercantile.

4. Quelles tâches écosocialistes ?

Le lobbying comme le « capitalisme vert » que défendent peu ou prou les courants les plus droitiers du courant écologiste mènent à une impasse, comme l’a montré la conférence COP21 de décembre 2015 à Paris. L’augmentation catastrophique du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère devrait conduire à des mesures immédiates et drastiques. Or ce qui ressort de la conférence n’est que promesses des différents États d’améliorer progressivement la part des énergies renouvelables dans leurs productions d’électricité. Outre le fait que ces promesses n’engagent que ceux qui y croient, le fait même que le secteur des transports maritimes et aériens ait été exclu de l’accord montre que le noyau dur du capitalisme contemporain, la circulation mondialisée des marchandises, n’est pas remis en cause. Or le secteur des transports est responsable pour un tiers des émissions de gaz à effet de serre. De plus, le seul secteur de la production électrique ne couvre que 12% de l’énergie libre consommée au niveau mondial. Enfin, au nom du « développement » économique et de la « croissance », rien n’est prévu pour diminuer la consommation d’énergies fossiles carbonées. Quant aux projets « capitalistes verts » de champs d’éoliennes ou de panneaux solaires en réseau ou, bien pire encore, de relance du nucléaire, ils reproduisent les schémas productivistes gigantesques et le plus souvent destructeurs de l’environnement qui ont conduit à la situation actuelle.

Si nous défendons évidemment toute mesure qui permette de préserver notre environnement, même dans le cadre maintenu du capitalisme, nous devons aussi combattre ce qui remet gravement en cause notre projet social égalitaire. L’éventuelle mise en place d’écotaxes, par exemple, doit être subordonné à ce projet : ce sont les capitalistes pollueurs qui doivent être visés et non les travailleurs consommateurs. Les principales mesures transitoires que nous (et notamment Michael Löwy) mettons en avant relèvent de cinq pôles :

a) la défense de notre environnement et de notre santé

Pollutions, contaminations et empoisonnements de l’air, de l’eau et de la terre résultent pour l’essentiel aujourd’hui des logiques capitalistes à l’œuvre. Les luttes contre la pollution industrielle ou agro-industrielle, les grands projets inutiles ou les mobilisations autour des scandales sanitaires sont des éléments majeurs pour une prise de conscience plus globale et des revendications de contrôle et de limitation de la production par la population. C’est particulièrement critique dans le secteur de la santé de plus en plus livré aux logiques marchandes, où nous défendons l’idée d’un grand service public sous le contrôle de la population (et non de l’État).

b) les transports et l’habitat

L’urbanisme et « l’automobilisme » délirants qu’a promu l’économie capitaliste doivent être remis en cause. Dans ce cadre, la promotion de transports publics collectifs étendus et gratuits est une pièce majeure de notre argumentaire, à la fois sociale et écologique. Cela doit s’accompagner d’un renouveau de l’habitat (isolation thermique) et d’un urbanisme privilégiant la proximité entre lieux de vie et de travail. Il faut aussi défendre les « circuits courts » ou les plus courts possibles et l’organisation écologiste rationnelle (et non plus marchande) de la circulation des personnes et des valeurs d’usage. Cela passe par une remise en cause de l’idée selon laquelle toute régulation économique doit être faite en fonction de la valeur d’échange (du coût financier). La réduction de la consommation d’énergie (dans les transports et dans l’habitat en particulier) et le souci de sa « renouvelabilité » doivent être au cœur des logiques sociales.

c) la réduction du temps de travail contraint

Réponse au chômage et remise en cause du productivisme et de la consommation sans frein, la réduction du temps de travail contraint est une revendication unifiante. Encore faut-il que le temps libre dégagé ne retombe pas dans les griffes des capitalistes des secteurs touristiques et culturels et favorise au contraire une démocratie et une culture vivantes.

d) la solidarité active avec les pays dépendants

La mainmise des grandes firmes capitalistes occidentales ou chinoises sur les pays du sud n’a pas diminué avec la mondialisation libérale, bien au contraire. L’expropriation des terres et la destruction des sociétés traditionnelles se généralisent en même temps que la dette des États contraint ceux-ci aux ajustements structurels dictés par le FMI et la Banque Mondiale. Les conséquences sociales et écologiques en sont dramatiques : élimination des cultures vivrières, exode rural massif et chômage dans les villes, spoliation des ressources naturelles exportées vers les pays « riches », souvent accompagnée de pollutions majeures.

En guise de conclusion provisoire

Cependant, les obstacles restent nombreux, et ceux qui existent dans notre propre camp social ne sont pas les moindres. Ils ne se résument d’ailleurs nullement aux seules réticences des salarié.e.s des branches industrielles, agro-industrielles ou militaro-industrielles qui peuvent être mises en cause. La conscience de classe est à reconstruire mais aussi, sur l’écologie, à construire. Ce travail de conscientisation passe par l’élaboration d’un projet de société écosocialiste bâti sur le long terme, intégrant le co-développement de l’humanité et de la nature, et qui paraisse à une échelle de masse comme étant possible, en plus que d’être nécessaire…

15 janvier 2016, par NPA 49

[1] Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, Bd. 2, S. 286., Berlin, Reimer,‎ 1866

[2] Dans un article du début des années 2000, Michael Löwy dresse un tableau de cette renaissance : « L’écosocialisme s’est développé – à partir des recherches de quelques pionniers russes de la fin du 19ème et début du 20ème siècle (Serge Podolinsky, Vladimir Vernadsky) – surtout au cours des vingt-cinq dernières années, grâce aux travaux de penseurs de la taille de Manuel Sacristan, Raymond Williams, Rudolf Bahro (dans ses premiers écrits) et André Gorz (ibid.), ainsi que des précieuses contributions de James O’Connor, Barry Commoner, Ted Benton, Juan Martinez Allier, Francisco Fernandez Buey, Jorge Riechman, Jean-Paul Déléage, Jutta Dittfurth, Thomas Ebermann, Rainer Trampert, Erhard Eppler, Elmar Altvater, Frieder Otto Wolf, et beaucoup d’autres, qui s’expriment dans un réseau de revues telles que Capitalism, Nature and Socialism, Ecologie Politique, etc. » On peut y ajouter le nom de John B. Foster, auteur de Marx écologiste (Ed. Amsterdam, 2011)