« L’emploi », prétexte à surexploitation et au productivisme destructeur ?

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Ces dernières semaines, les “créations d’emploi” reviennent comme un leitmotiv dans la presse locale. La mairie et le Courrier de l’Ouest les voient “par centaines” à Angers. Le journal a même bu la potion magique d’E. Macron et, le 22 septembre, “trouvé du travail en traversant la rue”. Le lendemain, il découvre autour de Nantes des “projets en pagaille” supposés générateurs d’emplois. À y regarder de plus près pourtant, faut-il se réjouir ? Combien d’emplois seront-ils détruits par ces “créations” ? De quels types d’emplois s’agira-t-il ? Pour quels salaires et quelles conditions de travail ? Quel projet de société les accompagne ? Et, face à l’urgence écologique posée par le dérèglement climatique, faut-il encore encourager un productivisme destructeur de l’environnement ?

La plupart des projets annoncés relèvent du secteur des services.

À Angers et en Maine-et-Loire, les plus gros “gisements d’emploi” (pour parler dans la langue technocratique) viendraient de :
-  Verisure, une filiale de Securitas direct = 500 temps pleins ou partiels d’ici à 2024 (ce qui laisse un peu de marge...) partagés entre un centre de vidéosurveillance et un centre d’appel ;
-  Action, enseigne de hard discount = 530 emplois à terme et à partir de 2020 dans une plate-forme logistique à St-Sylvain-d’Anjou.

Quant à ceux de Nantes et de sa région, ils présentent comme un lien de parenté avec les précédents :
-  Amazon = 1700 emplois dans une future plate-forme logistique de 12 ha à Grandchamp-des-Fontaine à l’horizon 2023 ;
-  Lidl = 340 emplois annoncés à partir de 2020 dans une nouvelle plate-forme de 5 ha ;
-  Legendre (groupe rennais) = bâtiments de 3ha à Derval et de 2,4 ha à Cheviré ;
-  Goodman = parc logistique de 19 ha

Cela traduit la main-mise tentaculaire des multinationales sur les services, avec à la clé la disparition de centaines d’emplois de proximité et d’hectares de terres cultivables, jamais comptabilisée dans les annonces satisfaites de M. Béchu et autres élus de la région (les instituts de statistiques étant d’ailleurs rarement sollicités pour une telle comptabilité !)

De plus, ces “emplois” seront (s’ils sont effectifs un jour) le plus souvent précaires et mal rétribués, et les conditions de travail particulièrement répétitives et pénibles. Presque la même chose peut être dite des vingt emplois dans la restauration que Le Courrier de l’Ouest a cru, dans son édition du samedi 22 septembre, trouver en traversant le Bd Foch : CDI de 24h, travail le soir et le dimanche et “du sourire et de la motivation” pour un SMIC hôtelier (9,88€ brut/heure) et des relations de travail qui ne sont pas toujours à la hauteur.

Par ailleurs, non seulement les emplois annoncés par C. Béchu ne satisferont pas les exigences minimales pour une vie digne des salarié.e.s, mais ils seront même nuisibles d’un point de vue sociétal. La vidéosurveillance ou la livraison à domicile généralisée participent par exemple d’une société de surveillance où les relations humaines sont désocialisées et les individus laissés à eux-mêmes, au risque de pathologies sociales de plus en plus développées (dépressions, violences privées, délinquance, etc.) qui rendent la vie en commun de plus en plus difficile.

Enfin, il faut une sacrée dose de schizophrénie pour d’un côté, la main sur le cœur, déclarer lutter contre le dérèglement climatique [1], et de l’autre favoriser le développement de plate-formes logistiques qui, non contentes de dévorer des terres agricoles, nécessitent de nouveaux aménagements routiers et renforcent la circulation de marchandises par camions. Les grands groupes avides de profit et leurs domestiques prétendent chercher à créer des emplois et se pavanent en bienfaiteurs du genre humain. Ils en sont plutôt les fossoyeurs. Il est d’ailleurs caractéristique que quasiment tous les emplois annoncés soient de service. Les emplois productifs sont quant à eux délocalisés dans des pays où les normes sociales et environnementales sont inexistantes !

« L’emploi » est trop souvent le prétexte fallacieux des technocrates pour justifier les coups tordus contre les acquis sociaux et l’environnement ou pour satisfaire à tout prix leurs fantasmes d’une croissance infinie dans le monde fini qui est le nôtre. Une autre manière, bien plus efficace, de créer de l’emploi serait de le partager grâce à une réduction massive du temps de travail sur la base d’une toute autre répartition des richesses aux échelles nationale et internationale. Enfin, pour vraiment lutter contre la catastrophe écologique qui se profile, il faudrait réduire la consommation d’énergie et de marchandises, éliminer les secteurs parasitaires tels que la publicité ou l’armée (avec réemploi des salarié.e.s dans d’autres secteurs), relocaliser les productions agricoles et industrielles de façon à réduire les distances de transport, établir un contrôle de la population sur les conditions sociales et écologiques qui président à ces productions.

Cela passe évidemment par une sortie du capitalisme !

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Pour aller plus loin, lire sur le site national du NPA l’article de Michel Husson :
-  Quel modèle non productiviste ?

24 septembre 2018, par NPA 49

[1] et parader bien raide sur une bicyclette aux côtés d’E. Philippe à l’occasion de l’annonce à Angers du dérisoire « plan vélo » (voir l’article du site sur ce sujet)