Les enjeux d’une rentrée des écoles le 11 mai

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Les sondages montrent à l’envi que personne n’a été trompé sur les réelles motivations du monarque E. Macron pour décréter une reprise des écoles le 11 mai. Il s’agit bel et bien de pousser les parents à retourner travailler dans les entreprises et à reprendre les activités “comme avant”. Or, malgré les promesses, rien n’est vraiment prévu pour assurer la sécurité des adultes et des enfants. Il est nécessaire de faire reculer le gouvernement, comme cela a pu se faire au Québec. Nos vies valent plus que leurs profits !

Les écoles et l’ensemble des établissements scolaires sont fermés depuis le 16 mars. À cette date, Macron déclarait qu’il s’agissait de gagner du temps face à la propagation de l’épidémie car les enfants sont ceux qui propagent le plus rapidement le virus.

Le 13 avril, le même Macron annonce que le début du déconfinement commencera par la réouverture des écoles, collèges et lycées. Avant même de pouvoir sortir faire du sport quand on veut, avant même de pouvoir assister aux obsèques des proches, sans même parler d’aller au musée ou au ciné, avant tout ça, rouvrir les établissements scolaires...

Pourquoi veulent-ils la reprise de l’école rapidement ?

Quelle est la logique ? Tout le monde voit bien qu’on risque moins à se balader dans un parc qu’à s’enfermer dans une salle de classe avec 30 élèves !

Une partie de ce qui a guidé la logique du gouvernement semble être la même qui guide toute leur action, celle qui fait que nous nous retrouvons plongés dans une crise sociale et sanitaire aussi grave aujourd’hui : maintenir leurs profits à tout prix !

Leur préoccupation est de trouver les moyens de « relancer l’économie » au plus vite, ce qui signifie en réalité de relancer la machine à faire des profits. Et pour cela, le rouage essentiel est le fait que les salarié.e.s retournent se faire exploiter. Si les salarié.e.s doivent garder les enfants à la maison parce qu’il n’y a pas d’école, c’est un gros problème pour Macron et le patronat.

Voilà le fond de l’affaire et sans doute la raison de cette réouverture précipitée. Ils ne s’en cachent même pas. Le rôle qu’ils attribuent à l’école est tout simplement d’être la garderie du Medef… ça explique pas mal de choses d’ailleurs sur leur politique pour l’éducation faite de coup de rabot et de pénurie budgétaire.

Les tentatives de justification de cette reprise précipitée

Comme ils voient que cette annonce est loin de faire l’unanimité dans l’ensemble de la population et même au sein de la classe politique, ils essaient de donner deux justifications.

1/ Une soudaine préoccupation sociale, sans le social qui va avec !

D’abord E. Macron nous dit qu’il rouvre les établissements scolaires parce que maintenant il s’intéresse vraiment aux inégalités scolaires et aux enfants des classes populaires et comme ils sont les premières victimes du confinement, aussi il rouvre les écoles pour eux ! Les profs avaient un slogan dans les manifestations pour décrire Blanquer : « mensonge, mépris, austérité ». La phrase qu’a prononcée Macron est un concentré de tout ça : « mensonge, mépris, austérité ». Il sait très bien de quoi sont avant tout victimes les enfants des quartiers populaires, les enfants des pauvres : de leurs politiques ! Oui, dans les écoles, collèges et lycées, il y a des enfants qui ne mangent pas tous les jours à leur faim, qui n’ont pas accès aux soins, qui n’ont aucun avenir dans cette société parce qu’ils passeront par tous les rouages de la sélection scolaires et sociales qui les broieront. C’est la réalité à laquelle sont confronté.e.s de nombreux collègues enseignant.e.s mais cette situation n’est pas liée au Coronavirus ni au confinement, mais à la politique de ce gouvernement et de tous les précédents.

Il peut se garder son pseudo discours social et ses larmes de crocodile. S’il veut faire quelque chose d’utile pour une fois, pour lutter contre les inégalités scolaires, pour les enfants des classes populaires, il n’a qu’à arrêter de fermer des classes par exemple... Parce qu’en ce moment même, pendant le confinement, la machine austéritaire ne s’arrête pas ! Les différentes directions académiques viennent d’annoncer les fermetures de classes qui auront lieu à la rentrée de septembre. Et partout c’est une boucherie, ils procèdent notamment à des fermetures de classe en éducation prioritaire. Blanquer a annoncé pour la rentrée prochaine que toutes les classes de grande section aurait des effectifs à 24 élèves par classe maximum, mais il prend cette mesure à moyens constants, sans créer de postes. Résultat : c’est le jeu des vases communiquant, tu ouvres des classes en grande section et tu fermes des centaines d’autres classes, y compris en éducation prioritaire où les effectifs vont augmenter...

Aucune fermeture de classe pour la rentrée prochaine serait le minimum de la décence. Ça serait par exemple le signal qu’ils ont compris les leçons de cette crise sanitaire et sociale : quand tu saignes à blanc les services publics, au moment où tu as besoin d’utiliser ces services publics, ils ne fonctionnent plus…. Non, ils ne tirent aucune leçon parce que la seule chose qui guide leur action, ce sont leurs profits à courts termes.

2/ Un recours sélectif à des arguments “scientifiques”

Depuis quelques jours, pour justifier la réouverture, ils tentent de trouver une justification scientifique : les enfants ne seraient pas vecteur de contamination. L’interprétation ministérielle et médiatique d’une étude scientifique (parmi des centaines !) publiée le 11 avril et citée pour les besoins de la cause semble pour le moins contestable [1]. Une autre étude publiée le 23 avril par l’institut Pasteur sur la propagation du COVID-19 dans un lycée de l’Oise indique clairement que le virus a circulé chez les lycéen.ne.s, les enseignant.e.s et leurs familles. Ainsi, le Japon, qui avait fait le choix de rouvrir les écoles le 6 avril, a dû se raviser 10 plus tard face à la résurgence des cas de malades. Le Portugal, l’Italie, le Québec, l’État de New York ou l’Espagne ne vont rouvrir leurs écoles qu’en septembre. Le Conseil scientifique du gouvernement, dans un avis du 20 avril, propose lui-même « de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre » (p.16) [2]. Quant à la très peu révolutionnaire Académie de médecine, elle recommande dans un communiqué du 23 avril des conditions de sécurité que le gouvernement n’a justement pas annoncé vouloir appliquer !

Quel est le sentiment des enseignant.e.s et de l’ensemble des personnels de l’éducation ?

Le sentiment est d’ailleurs partagé par une grande partie des parents d’élèves : c’est une hérésie. Impossible de rouvrir parce que la réouverture des établissements scolaires dans ces conditions, c’est-à-dire sans aucun plan, va immanquablement relancer l’épidémie. Les enseignant.e.s ont bien sûr l’impression d’être une nouvelle profession envoyée au front sans arme : après les soignant.e.s, les salarié.e.s du commerce, du nettoyage, des transports… au tour des enseignant.e.s !

Mais au-delà d’une simple peur pour eux-mêmes, les enseignant.e.s n’ont pas du tout envie de contribuer à l’arrivée d’une 2ème vague de contamination que les hôpitaux ne pourraient pas plus absorber que la première, et qui provoquerait donc autant de décès, voire plus. Ils n’ont pas envie de mettre leurs élèves en danger, ni leurs familles.

Il est évident que le confinement et la fermeture des établissements scolaires posent de nombreux problèmes : problèmes de subsistance pour une partie de la population qui se retrouve sans revenu, aggravation des violences intra-familiales, aggravation des inégalités scolaires... D’ailleurs, les enseignant.e.s ont dénoncé depuis le début des injonctions de Blanquer sur la « continuité pédagogique » les dangers de ces dispositifs. Enseigner, ce n’est pas envoyer du contenu, des savoirs à des élèves, c’est bien différent.

Les enseignant.e.s sont bien conscients de tout cela, mais rouvrir les établissements scolaires le 11 mai sans aucun plan, c’est mettre en jeu leur santé, celle de leurs élèves et de l’ensemble de la population. Il ne faut pas rouvrir le 11 mai et si le gouvernement maintient sa position, ça se fera sans eux.

Une réouverture précipitée, sans plan, avec peu de cohésion au sein du gouvernement

Blanquer a précisé le « plan de réouverture » dans une improvisation qui semblait totale. Sans rien annoncer sur la mise à disposition de matériel de protection (masques, gants, gel hydroalcoolique…), il annonce la reprise par classe d’âge : les GS, CP et CM2, et les REP + : comme ce secteur est déjà en effectifs allégés, ils vont pouvoir tester si le virus se propage sur les enfants...

Comment peut-on faire confiance à des gens qui jouent avec nos vies avec autant de légèreté ?

Les enseignants sont les mieux placés pour affirmer que les « gestes barrières » sont impossible à mettre en place à l’école. Les classes sont chargées, les locaux sont vétustes… et les enfants sont des enfants.

Comment agir ?

Il est possible de faire reculer le gouvernement. Il tangue déjà. Le Monde vient de publier un article affirmant que Blanquer avait fait ses annonces sans l’aval de Matignon. Et Macron annonce maintenant que les parents pourront choisir ou non d’envoyer leurs enfants à l’école. Il faut faire augmenter la pression.

Le CHSCT ministériel (comité hygiène, sécurité et conditions de travail) qui s’est réuni a fait des préconisations sur les conditions de reprise, ainsi qu’une intersyndicale de l’éducation très large (FSU, UNSA, CGT, SUD, CFDT, SNALC et FAEN, soutenues par la FCPE, l’UNL, la FIDL et le MNL) qui a adressé une lettre à Blanquer qui exprime clairement leurs conditions pour toute reprise :
-  La mise en place d’une politique massive de tests qui devra correspondre aux préconisations du conseil scientifique et de l’OMS ;
-  La désinfection des écoles, services et établissements scolaires qui ont été fréquentés pendant la période de confinement avec des dotations en matériel spécifique (équipements, masques…) et une protection adaptée ;
-  La fourniture des matériels de protection (gel hydroalcoolique, gants et masques chirurgicaux ou FFP2) en quantité suffisante pour les agentEs et les élèves adaptés à la situation de travail de chacun ;
-  Les personnels dont la santé ou la pathologie le nécessite doivent bénéficier des mesures d’éloignement du travail et avoir un suivi médical tel que prévu par le décret 82 453 modifié ;
-  Les élèves dont la santé ou la pathologie le nécessite, et celles et ceux dont les parents souffrent de grandes pathologies, doivent pouvoir être exemptés du retour en présentiel ;
-  Des garanties concernant la limitation des effectifs par groupes dès le retour des élèves (retour qui ne peut être simultané de celui des adultes), pour permettre la distanciation sociale exigée par ailleurs, et ce pour l’ensemble des niveaux et tous les lieux fréquentés par les élèves et personnels (cantine scolaire, internats, couloirs etc.).

Blanquer ne fait même pas mention du matériel de protection qui sera mis à disposition, preuve qu’il ne compte pas du tout en mettre à disposition. Même les soignant.e.s n’en ont pas en nombre suffisant, alors comment d’ici 15 jours, il pourrait y en avoir à disposition pour tous les personnels de l’éducation, pour tous les soignant.e.s et pour tous les salarié.e.s qu’ils veulent renvoyer au travail salarié ?

Dans une stratégie de déconfinement sérieuse, la réouverture des établissements scolaires devrait intervenir en dernier, comme l’ont dit la plupart des médecins. Il faudrait d’ailleurs déconnecter le temps du déconfinement du temps de réouverture des écoles et de la reprise du travail pour les salarié.e.s.

La mobilisation des enseignant.e.s peut passer par des AG dématérialisées, des campagnes sur les réseaux sociaux, des prises de positions syndicales, les pressions des fédérations de parents d’élèves… Un certain nombre de maires de communes commencent à dire qu’ils n’ouvriront pas les écoles de leur ville dans ces conditions. Eux-mêmes engagent leur responsabilité et la santé de leurs employé.e.s communaux qui seront également en première ligne.

Au Québec, la pression populaire a fait reculer le gouvernement. Au Japon, c’est la reprise de l’épidémie qui a fait retro pédaler le gouvernement.

Si le gouvernement force la réouverture des établissements scolaires le 11 mai, Les personnels de l’éducation doivent pouvoir exercer leur droit de retrait. Des préavis de grève couvriraient également celles et ceux qui souhaiteraient s’en saisir pour se protéger et exprimer leur désaccord.

En vérité c’est une grande partie de salariéEs qui seront concernés par cette reprise du travail sans pouvoir assurer leur sécurité. Le 11 mai devrait être une journée générale du droit de retrait pour exprimer clairement que « nos vies valent plus que leurs profits ».

24 avril 2020, par NPA 49

[1] Publiée le 11 avril dans la revue Clinical Infectious Diseases de la Infectious Diseases Society of America, l’étude constate simplement qu’un enfant de 9 ans porteur du virus n’avait pas contaminé son entourage et en infère la possibilité que les enfants soient moins contaminants (“The fact that an infected child did not transmit the disease despite close interactions within schools suggests potential different transmission dynamics in children.”) De là à conclure une loi générale selon laquelle les enfants en général ne contamineraient pas leur entourage, voilà un pas que le ministre O. Véran a aussitôt franchi ! À sa suite, les médias “main stream” n’hésitent pas à ranger l’ensemble des scientifiques derrière cette étude unique et pour le moins partielle. Ainsi 20 minutes : “Finalement, les enfants ne seraient pas de grands vecteurs de transmission du Covid-19 (titre) [...] les enfants étaient décrits comme un public largement vecteur de transmission, ce ne serait donc pas le cas, rassurent les scientifiques.”

[2] Ce Conseil scientifique a depuis, dans une note du 24 avril, « pris acte » de la décision gouvernementale et donné dans ce cadre des recommandations exigeantes que l’État français ne suivra évidemment pas...