Dictature du Capital, main basse sur les biens publics

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La lettre du 5 août de Trichet-Draghi (Banque centrale européenne / BCE) à Berlusconi, dont on ne connaissait jusqu’ici que quelques extraits, a été dévoilée intégralement le 30 septembre par le Corriere della Sera et traduite le même jour sur le site de Challenges/Le Nouvel Observateur. Le contenu comme la forme confirment s’il en était encore besoin que les instances suprêmes du capitalisme, “indépendantes” de tout contrôle démocratique, dictent leur politiques au gouvernement et même aux parlements. Et ce pour le plus grand profit de la classe possédante à qui les États doivent maintenant brader les derniers biens et services publics encore existants. Analyse et traduction du texte original...

Si les fuites sur la lettre Trichet-Draghi adressée à l’État italien avaient suscité en août quelques réactions d’indignation, il ne semble pas que la publication intégrale soit jusqu’ici relayée par les grands médias. D’aucuns minimiseront le scandale de sa forme et de son contenu au cas “particulier” de l’Italie, oubliant qu’une lettre similaire avait été envoyée à l’État espagnol, au secret mieux gardé, et que demain d’autres lettres peuvent être envoyées à d’autres États de l’Union européenne (UE). Pourtant, ce courrier révèle bien le caractère profondément antidémocratique des institutions capitalistes (FMI, BCE, UE...), la sauvagerie du système, l’incroyable rapacité des classes possédantes. Car le ticket Trichet-Draghi ne se contente pas de donner des “conseils”. Ce sont des ordres qui sont donnés jusqu’au parlement qui était sommé d’y obéir avant la fin septembre ! Et ces ordres sont : privatisation des biens et services publics, baisse des salaires du public et du privé, démolition du code du travail, baisse des retraites et restriction des droits à la retraite. C’est il est vrai le programme de tous les gouvernements bourgeois européens. Mais c’est une brutale accélération et aggravation de l’austérité qui leur est maintenant intimée, quitte à plonger toute l’économie dans une récession majeure. Contre la folie de classes possédantes ne visant qu’à la préservation immédiate des taux de profits, contre un système qui tant des points de vue social qu’écologique conduit l’humanité à la catastrophe, il est urgent de construire la riposte des salariés et des classes populaires. Le mouvement des Indignés montre qu’en Europe la résignation n’est pas le lot commun. En France, en dépit de l’inaction des directions syndicales et de l’approche des présidentielles de 2012, il faut aussi relever le défi. Ne les laissons plus nous détruire !


Cher Premier ministre,

Le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a discuté le 4 août de la situation de l’Italie sur les marchés obligataires. Le conseil des gouverneurs considère que les autorités italiennes doivent d’urgence adopter des mesures propres à restaurer la confiance des investisseurs.

Les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro avaient conclu lors du sommet du 21 juillet 2011 que « tous les pays de la zone euro réaffirment solennellement leur détermination inflexible à honorer pleinement leur signature souveraine, ainsi que tous leurs engagements à mettre en place des conditions fiscales durables et des réformes structurelles ». Le Conseil des gouverneurs considère que l’Italie doit d’urgence rétablir la qualité de sa signature souveraine, et réaffirmer son engagement pour une stabilité fiscale et des réformes structurelles.

Le gouvernement italien a décidé d’établir un budget équilibré en 2014 et, à cette fin, a récemment mis en place un paquet fiscal. Ce sont des engagements importants, mais ils ne sont pas suffisants.

Dans les circonstances actuelles, nous considérons les mesures suivantes comme indispensables :

1. Nous estimons qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures d’envergure pour stimuler une croissance potentielle. Quelques décisions récentes prises par le gouvernement vont dans ce sens ; d’autres sont en cours de discussion avec les partenaires sociaux. Cependant, il faut faire davantage et il est crucial d’avancer avec détermination. Des défis clés consistent à accroître la compétition, particulièrement dans les services, pour améliorer la qualité des services publics et pour mettre en place une régulation et des systèmes fiscaux mieux adaptés au soutien de la compétitivité des entreprises et à l’efficacité du marché du travail.

a) Une stratégie de réforme globale, profonde et crédible, incluant la libéralisation totale des services publics locaux et des services professionnels est nécessaire. Cela devrait être appliqué en particulier à l’offre de services locaux, via des privatisations de grande ampleur.

b) Il est aussi nécessaire de réformer davantage le mécanisme collectif de négociation salariale permettant des accords d’entreprises, afin d’adapter les salaires et conditions de travail aux besoins spécifiques des firmes et d’améliorer leur pertinence vis-à-vis d’autres niveaux de négociations. L’accord du 28 juin entre les principaux syndicats et les associations patronales industrielles va dans ce sens.

c) Une révision en profondeur des règles régissant le recrutement et le licenciement des salariés devrait être adoptée, conjointement à la création d’un système d’assurance-chômage et d’une série de politiques actives du marché du travail capables de faciliter la réallocation des ressources vers les entreprises et les secteurs les plus compétitifs.

2. Le gouvernement doit prendre des mesures immédiates et courageuses pour garantir la pérennité des finances publiques.

a) Des mesures fiscales correctives supplémentaires sont nécessaires. Nous considérons qu’il est essentiel que les autorités italiennes avancent l’application des mesures adoptées en juillet 2011 d’au moins un an. Le but devrait être d’atteindre un déficit budgétaire meilleur que prévu en 2011, un emprunt net de 1% en 2012 et un budget équilibré en 2013, principalement via une réduction des dépenses.

Il est possible d’intervenir davantage dans le système de retraites, en rendant plus contraignants les critères d’éligibilité aux pensions d’ancienneté et en alignant rapidement l’âge de la retraite des femmes ayant travaillé dans le secteur privé sur celui appliqué aux employées du public, permettant ainsi de faire des économies dès 2012. Le gouvernement devrait également envisager de réduire de façon significative le coût des emplois publics, en durcissant les règles de renouvellement du personnel et, si nécessaire, en baissant les salaires.

b) Un mécanisme de réduction automatique du déficit devrait être mise en place, stipulant que tout dérapage par rapport aux objectifs sera automatiquement compensé par des coupes horizontales dans les dépenses discrétionnaires.

c) Les emprunts, y compris la dette commerciale et les dépenses des autorités régionales et locales devraient être placées sous contrôle strict, conformément aux principes de la réforme en cours des relations fiscales intergouvernementales.

Au vu de la gravité de la situation actuelle des marchés financiers, nous considérons qu’il est crucial que toutes les mesures énumérées dans les sections 1 et 2 ci-dessus soient adoptées aussi vite que possible par décret-lois, suivies d’une ratification du Parlement d’ici fin septembre 2011. Une réforme constitutionnelle visant à durcir la législation fiscale serait également appropriée.

3. Nous encourageons aussi le gouvernement à prendre immédiatement des mesures pour assurer une vaste réforme de l’administration publique afin d’améliorer l’efficacité administrative et la bienveillance à l’égard des entreprises. Dans les services publics, l’utilisation d’indicateurs de performance devrait être systématique (en particulier dans la santé, l’éducation et le système judiciaire). Il est nécessaire de s’engager fermement en faveur de l’abolition ou de la consolidation de certains niveaux administratifs intermédiaires (comme les provinces). Les actions visant à réaliser des économies d’échelle dans les services publics locaux devraient être renforcées.

Nous espérons que le gouvernement prendra toutes les mesures appropriées.

Mario Draghi, Jean-Claude Trichet (futur et actuel directeurs de la Banque centrale européenne)

Texte et traduction Coralie Schaub et Sabine Syfuss-Arnaud, journalistes au service étranger de Challenges


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Le Moloch du “Metropolis” de Fritz Lang
1er octobre 2011, par NPA 49