L’écologie sera anticapitaliste ou ne sera pas !

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À en croire les discours gouvernementaux, complaisamment relayés par certains médias, la surtaxation des carburants qui a été le déclencheur du mouvement des gilets jaunes serait une “taxe écologique”. Si l’on fait l’effort de ne pas s’en tenir aux discours d’enfumage, le caractère productiviste de la politique gouvernementale et son mépris de l’écologie ne font pourtant aucun doute. Il est donc problématique qu’au sein du mouvement écologiste des militant.e.s ne se démarquent pas davantage de cette instrumentalisation de l’écologie qui ruine celle-ci auprès de larges couches de la population. Retour à ce propos sur l’interview de François Veillerette au Courrier de l’Ouest du 19/11/2018...

Depuis l’arrivée au pouvoir d’E. Macron (et avant aussi !), aucune politique d’urgence n’a été développée pour le développement des transports en commun, contre la spéculation immobilière qui chasse les plus pauvres toujours plus loin des centres-villes et contre l’extension tentaculaire des mégapoles. Au contraire, les services publics (hôpitaux, maternités, postes...) et commerces de proximité disparaissent, les premiers au nom d’économies comptables, les seconds broyés par les multinationales de la distribution et des services pour lesquelles le gouvernement déroule le tapis rouge. Au contraire, loin de tenter de réduire la circulation automobile, l’État français continue à développer les infrastructures routières, comme à Kolbsheim près de Strasbourg, quitte à matraquer la population locale. Quant aux armes pour lesquelles l’État français se fait voyageur de commerce auprès de toutes les dictatures sanguinaires du Proche Orient et d’Afrique, elles ne contribuent pas non plus à la lutte contre le réchauffement climatique...

La solution du “véhicule propre” que des propagandistes zélés mettent en avant n’en est pas une. Les véhicules électriques, par exemple, ont un bilan carbone comparable à celui des véhicules thermiques : l’extraction des terres rares et la fabrication des batteries et bobines de moteurs en Chine se fait grâce à l’énergie des centrales à charbon, l’électricité pour charger les batteries vient pour l’essentiel de centrales thermiques et nucléaires, et le potentiel recyclage des batteries usagées est également producteur d’un CO2 qui ne connaît pas les frontières ! [1] En réalité, cette injonction au “véhicule propre” -qui s’attaque d’abord aux plus pauvres- vise surtout à relancer la vente d’automobiles, alors qu’il faudrait réduire drastiquement le parc de ces véhicules (tout en assurant la reconversion des usines et le maintien des salarié.e.s dans l’emploi).

En ce qui concerne l’agriculture, la mauvaise volonté du gouvernement est à peine cachée par celle de quelques rares interdictions de pesticides sous la pression de scandales sanitaires (comme celui du métam-sodium en Maine-et-Loire). Alors que L’État refuse de verser les subventions aux agriculteurs bio en temps et en heure, les leaders du syndicat patronal FNSEA continuent de de se draper de l’impératif de la concurrence et du profit pour justifier l’empoisonnement des sols et de l’eau.

Mais le plus exaspérant dans les prétentions “écologistes” des discours gouvernementaux, c’est qu’il servent de prétexte à une politique anti-sociale qui, en retour, ruine le combat des écologistes auprès de larges couches de la population. C’est pourquoi, de même que le mouvement social doit s’approprier l’écologie (et il y a encore beaucoup de travail !), le mouvement écologiste se doit d’être extrêmement critique envers les discours gouvernementaux qui instrumentalisent l’écologie.

À cet égard, malgré toute la sympathie que nous lui portons ainsi qu’au mouvement des coquelicots (auquel les militant.e.s du NPA participent), l’interview de François Veillerette au Courrier de l’Ouest parue le lundi 19 novembre nous semble un mauvais exemple. Il est vrai que cette interview a été réalisée avant le 17 novembre des gilets jaunes. Cependant, on pouvait déjà percevoir que ce mouvement n’était pas précisément celui des possesseurs de “grosses voitures” et “sans difficulté financière” (sic). Certains gilets jaunes ont au contraire été renversés par des possesseurs de grosses cylindrées, et ce n’est peut-être pas un hasard... De plus, il ne suffira pas d’affecter la fiscalité sur le carburant à des “réelles dépenses en termes de transition énergétique” (ce que le gouvernement ne fera qu’à la marge) pour répondre à l’urgence de la lutte contre le changement climatique. La fiscalité, pour être efficace, doit d’abord être juste, donc progressive, ce que ne sont pas les taxes sur le litre d’essence. L’impôt progressif sur les revenus, le rétablissement de l’ISF et des vignettes sur les grosses cylindrées seraient bien plus acceptables socialement... Au lieu de cela, le gouvernement agite le chiffon écologique pour mener une politique anti-sociale. Les écologistes n’ont pas à se ranger derrière cette pseudo-écologie punitive qui déconsidère l’écologie auprès des nombreuses personnes qui n’ont pas encore conscience de l’urgence de l’écologie.

Quant aux solutions, elles ne peuvent se limiter au choix individuels, même si ceux-ci sont éminemment respectables. Tout le monde ne peut pas “prendre le train” car beaucoup de gares ont été fermées, ni pouvoir disposer d’un “poêle de masse au bois à très haut rendement”, surtout en habitat collectif. Reconnaissons à François Veillerette qu’il préconise aussi des “bons d’essence” pour les “bas revenus” et un développement des transports en commun (il aurait pu ajouter : “gratuits”). Mais c’est toute la logique du système capitaliste productiviste, fondé sur la quête individuelle du profit, qu’il faut aujourd’hui remettre en cause. Les libéraux aiment répéter ad nauseam que tout finit pas se réguler grâce à la “main invisible” du marché. Les taxes carbones ont un temps été agitées par ces marionnettistes pour, soi-disant, créer un cycle vertueux. Le bilan est là : les taxes carbones n’ont servi qu’à la spéculation et, de toutes façons, il ne peut y avoir de régulation a posteriori quand les effets sont (dramatiquement) irréversibles. La recherche forcenée du profit comme moteur de la société ne peut conduire l’humanité qu’à la double catastrophe sociale et écologique.

C’est pourquoi il faut tenir les deux bouts : la lutte pour l’égalité sociale (à leur manière balbutiante, les gilets jaunes y participent), qui est une lutte pour une véritable démocratie et donc pour une véritable prise de conscience sociale des enjeux politiques, et la lutte pour un codéveloppement des sociétés humaines et de la nature. Les écologistes et le mouvement social doivent marcher de conserve et non plus tomber dans les pièges de la division que le pouvoir des nantis, notre ennemi commun, est si habile à tendre.

La fin du capitalisme et une nouvelle organisation écosocialiste des rapports entre humains et avec la nature sont plus que jamais à l’ordre du jour.

19 novembre 2018, par NPA 49

[1] On lira à ce propos un article instructif dans le numéro de novembre de la revue Pour la Science, le n°493.