La centrale de Chinon pointée du doigt par l’ASN

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Le jour même où le Courrier de l’Ouest publie en première page un article tonitruant « Chinon dompte le risque nucléaire », [2] l’autorité de sûreté nucléaire dénonce dans son Rapport annuel 2010 une « insuffisante rigueur d’exploitation » et des « lacunes importantes » en matière de sécurité des interventions des personnels à Chinon. La conjonction d’un article de presse visant à rassurer la population et d’un rapport accablant venant d’une instance peu suspecte d’opposition au nucléaire pourrait faire sourire si la situation à Fukushima n’était aussi tragique.

Le rapport annuel 2010 sur la sûreté nucléaire en France épingle durement les centrales EDF de Saint-Alban, Chooz, Nogent et... Chinon (entre Saumur et Tours). Cela ne signifie évidemment pas que l’ASN remette en cause le nucléaire. Mais Fukushima paraît avoir sérieusement corrigé le discours d’André-Claude Lacoste. Devant les parlementaires, le président de l’ASN a avoué n’être pas nourri « de certitudes tranquilles » et a présenté comme une « position constante de l’ASN » que « personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident nucléaire en France ». Le doute semble donc gagner les élites qui vantaient jusqu’à présent la « sûreté » des installations nucléaires françaises. À une évocation par la sénatrice verte Marie-Christine Blandin des 20.000 sous-traitants intervenant dans les centrales françaises aux côtés des 20.000 employés d’EDF, M. Lacoste s’est même déclaré « prêt à étudier tous les renseignements, même de source anonyme » pour « réduire les zones d’ombre » [3].

On retiendra surtout l’aveu qu’une catastrophe nucléaire n’est pas impossible en France. Hélas, l’absence de réel débat démocratique dans le pays empêche encore de poser la question qui suit logiquement : peut-on prendre le risque d’une catastrophe nucléaire ? Tchernobyl et Fukushima y répondent pourtant assez facilement : c’est non ! Paradoxalement, c’est aussi la conclusion qu’un esprit critique peut tirer de la lecture de l’article sur Chinon, centrale située à la frontière du Maine-et-Loire, paru le 30 mars dans le Courrier de l’Ouest. Le titre rassurant de la première page a été cité plus haut. Le corps de l’article en page intérieure est heureusement un peu plus nuancé. Certes, un encart tente de prouver un peu scolairement que Chinon « diffère » des centrale japonaises. Faisant état des préoccupations de sécurité des personnels, il reconnaît néanmoins que « la sûreté nucléaire est un combat quotidien ». Les propos rapportés des responsables de la centrale se veulent humbles et modestes. Cependant la conclusion du directeur affirmant que Chinon « est sûre au niveau des règles de sûreté » sonne comme un demi-aveu : la sûreté est relative. Or, le risque est absolu. L’éventuel durcissement des règles à l’infini ne peut pas garantir qu’un accident imprévu ne surviendra jamais, alors que cet accident est potentiellement insupportable. Chinon est un bon exemple de centrale française construite dans une zone jusqu’ici faiblement séismique [4]. Mais qui -à part Claude Allègre- peut garantir qu’un séisme plus important que celui de 2006 ne pourra jamais y survenir ? Et nul besoin de se plonger dans la littérature de science-fiction pour savoir que les principaux accidents nucléaires dans l’histoire n’ont pas été correctement anticipés (sinon, il n’y aurait pas eu d’accidents !)

Il faut convoquer d’urgence un débat démocratique sur l’énergie ayant pour perspective la sortie rapide et planifiée du nucléaire. Car le danger nucléaire n’est pas seulement le fait d’une course au profit de compagnies privées, comme au Japon, ou d’une course aux économies d’entreprises publiques, comme en France (le recours de sous-traitants en fait d’ailleurs un modèle toujours plus capitaliste). Le socialisme triompherait que la question du risque nucléaire serait toujours posée. Aucune organisation sociale ne peut garantir une sûreté nucléaire totale. Ce dont la société humaine a besoin, c’est d’énergies renouvelables et d’économies d’énergie. C’est là qu’il faut développer les efforts de la recherche, pas dans la technologie obsolète de l’énergie nucléaire !


Extraits significatifs relatifs à la centrale de Chinon

du Rapport annuel 2010 de l’ASN

-  Deux événements significatifs pour la radioprotection à la centrale nucléaire de Chinon

Le 23 avril 2010, lors d’un contrôle de propreté réalisé en fond de piscine du bâtiment combustible, un intervenant a été irradié à la main en ramassant puis en manipulant une pièce métallique activée (voir encadré point 6⏐1⏐5).

Le 4 août 2010, lors d’un contrôle de propreté réalisé dans la boîte à eau d’un générateur de vapeur, un objet générant des niveaux élevés de radiations a été ramassé par un intervenant puis manipulé successivement par trois autres afin de l’évacuer de la zone.

Ces événements ont été respectivement classés aux niveaux 2 et 1 de l’échelle INES.

À la suite de chaque événement, l’ASN a réalisé une inspection sur site : les inspecteurs ont constaté que ces irradiations accidentelles sont notamment dues à une analyse insuffisante des risques, ainsi qu’à l’absence de connaissance de la conduite à tenir en cas de présence d’objets indésirables détectés lors de contrôles de propreté.

(...) les différents constats effectués par les inspecteurs de l’ASN, notamment lors des inspections réalisées à la suite des événements survenus en avril et août 2010 sur le site de Chinon, rappellent que la qualité et la prise en compte des analyses de risques et des études d’optimisation de la dose sont des éléments fondamentaux de la démarche de prévention et qu’EDF doit encore s’améliorer sur ces aspects.

-  Événement significatif pour la radioprotection survenu le 23 avril 2010 dans le bâtiment combustible du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Chinon

Le 23 avril 2010, vers 11h00, un agent d’une entreprise prestataire d’EDF réalise une visite de propreté au fond de la piscine de transfert du bâtiment combustible du réacteur 4. Cette visite est un préalable à la mise en eau de la piscine de transfert avant toute manutention du combustible. Elle permet de s’assurer qu’aucun corps étranger n’est susceptible d’être entraîné lors du rechargement, vers le cœur du réacteur. Cette personne est équipée d’une tenue étanche et porte des gants en vinyle. Elle est accompagnée au fond de la piscine d’un agent effectuant le contrôle technique de l’activité (qui porte les mêmes équipements de protection individuels). Lors de la visite, un objet métallique est découvert au fond de la piscine. L’agent qui effectue la vérification de propreté le prend avec une main, puis avec l’autre pour l’observer. Alerté par le déclenchement de l’alarme sonore de son dosimètre opérationnel, il jette l’objet dans un seau utilisé pour descendre les outils depuis le haut de la piscine. A noter que le dosimètre de l’agent qui réalise le contrôle technique ne se déclenche pas. Ce seau est remonté au bord de la piscine par une troisième personne dont le dosimètre s’active à son tour. Le chantier est alors évacué et les intervenants sortent de la zone contrôlée. L’agent qui a touché l’objet avec les mains a été pris en charge par le médecin du travail du site et présente à l’heure actuelle un bilan clinique normal. L’ASN a réalisé le 3 mai 2010 une inspection réactive dans la centrale et a mis en évidence les difficultés du site de Chinon à établir un relevé des faits précis ainsi qu’un manque de pilotage de l’analyse post-accidentelle. Plusieurs dysfonctionnements organisationnels ont été relevés et trois constats d’écart notables ont été notifiés à l’exploitant. L’ASN a confirmé le classement de cet événement au niveau 2 de l’échelle internationale de gravité (INES), qui en compte 7, car un travailleur a été irradié à la main, la dose reçue étant supérieure à la limite règlementaire annuelle associée.

-  CHINON

L’ASN considère que les performances en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection du site de Chinon sont en retrait et que les performances du site en matière d’environnement rejoignent globalement l’appréciation générale des performances que l’ASN porte sur EDF. L’ASN juge insuffisante la rigueur d’exploitation, à nouveau caractérisée en 2010 par un nombre conséquent d’événements significatifs. L’analyse de ces écarts met en évidence des faiblesses aussi bien dans la conduite des réacteurs que dans le lignage des circuits. L’ASN estime que le site doit progresser en matière de connaissance des règles générales d’exploitation et de respect des procédures. Dans le domaine de la radioprotection, les deux événements significatifs d’exposition anormale de travailleurs aux rayonnements ionisants survenus en 2010 ont révélé des lacunes importantes dans la préparation des interventions. L’ASN considère que la prise en compte du risque de manipulation de corps irradiants et les modalités de cartographie préalable doivent être nettement améliorées.

-  La radioprotection

L’ASN attend d’EDF un renforcement de sa politique en matière de radioprotection, avec notamment une meilleure sensibilisation des intervenants à la culture de radioprotection et des progrès en matière de maîtrise de la contamination à la source. Elle veillera au respect de ces différents aspects dans les dossiers qu’elle sera amenée à instruire, et lors des inspections sur site. En particulier, l’ASN réalisera une inspection de grande envergure sur les 4 sites du Val de Loire (Belleville, Dampierre, Saint-Laurent-des-Eaux et Chinon), en vue de dresser un bilan approfondi des actions en matière de radioprotection et de s’assurer que le retour d’expérience tiré des événements de Chinon en 2010 a bien été pris en compte.

31 mars 2011

[1] Reportage de Nicolas Thellier, Courrier de l’Ouest du 30 mars 2011

[2] Reportage de Nicolas Thellier, Courrier de l’Ouest du 30 mars 2011

[3] Article de Fabrice Nodé-Langlois et Yves Miserey, Le Figaro, 31 mars 2010

[4] Un séisme de magnitude 4 d’épicentre situé à peu près sous la centrale de Chinon s’est produit le 5 novembre 2006