En finir avec la marchandisation de l’université !

Partager

L’annonce par le premier ministre d’une augmentation considérable des droits d’inscription pour les étudiant.e.s extra-communautaires n’est pas seulement celle d’une mesure à connotation raciste dirigée contre les étudiant.e.s venu.e.s d’Afrique. Elle est un ballon d’essai pour le grand projet des conseillers d’E. Macron : l’augmentation généralisée de ces droits et l’endettement obligatoire des étudiant.e.s. Ainsi serait parachevée la destruction du service public universitaire. Mais le gouvernement n’a pas encore gagné. Les réactions négatives se sont multipliées, y compris parmi les présidents d’universités (comme à Angers, Nantes ou Le Mans), et bien sûr dans les syndicats. Dans le contexte né de la crise des gilets jaunes, une mobilisation étudiante et des personnels couplée avec la mobilisation lycéenne contre les réformes Blanquer pourrait bien avoir raison de ce projet odieux.

Le projet gouvernemental pour l’université est connu depuis longtemps. Les “Macron leaks” avait déjà mis au jour une note (jamais démentie) de l’ultra-libéral R. Gary-Bobo pour le staff de campagne du candidat E. Macron. Le cynisme absolu du rédacteur de cette note, professeur de l’ENSAE, était peut-être le plus choquant à la première lecture, puisqu’il prodiguait des conseils avisés pour détruire le service public tout en veillant à proclamer le contraire. Ainsi conseillait-il d’instaurer la “sélection mine de rien” (ce sera Parcoursup) ou d’augmenter les droits d’inscription en développant le “crédit aux étudiants”, ce qu’il nommait “le nerf de la guerre”. Mais, sans grande originalité, on y retrouvait le projet capitaliste pour les universités : établissements mis en concurrence, droits d’inscription se substituant au financement public, endettement étudiant quasi-obligatoire (Gary-Bobo prévoyant même une surtaxe pour les étudiant.e.s qui paieraient leurs droits avec leurs fonds propres, sans s’endetter auprès des banques), gestion managériale et précarisation de ses personnels, diminution du nombre d’étudiants faisant des études longues, etc. C’était programmer la mort d’un service public déjà sérieusement mis à mal depuis les lois LRU de 2007 (Sarkozy-Pécresse) et ESR de 2013 (Hollande-Fioraso) et la réduction en esclavage bancaire des futures générations étudiantes (à l’instar de ce qui s’est passé aux USA et en Grande Bretagne).

La décision annoncée par le premier fusible E. Philippe (et non par la ministre de l’enseignement supérieur elle-même) d’augmenter les frais de scolarité des étudiants extra-communautaires, qui passeraient de 170 à 2770€ en licence (x16,3), de 243 à 3770 en master (x15,5) et de 380 à 3770€ en doctorat (x9,9) ne peut être comprise qu’en fonction de ce projet. L’argumentation du premier ministre est en effet orwellienne jusqu’à l’absurde : ce serait en augmentant les frais que l’on ferait venir les étudiant.e.s internationaux, méfiants devant la gratuité des études en France ! Et l’on renforcerait la “francophonie” en donnant des cours en anglais. L’annonce d’un triplement des bourses pour faire passer la pilule amère est par ailleurs une sinistre plaisanterie : trois fois zéro font zéro. Les 21.000 bourses annoncées (qui seraient payées par les universités grâce aux droits d’inscription !) ne représenteraient que 4% des 500.000 étudiant.e.s étrangers que le gouvernement prétend vouloir faire venir en France (380.000 actuellement). En réalité, il s’agit pour le gouvernement de faire “le ménage” : virer les étudiant.e.s francophones d’Afrique et faire venir de “riches” Indiens, Chinois ou Saoudiens [1] supposés tous anglophones... C’est en petits commerces que le gouvernement veut transformer les universités. L’alliance du racisme et du mercantilisme !

Pour les étudiant.e.s d’outre-méditerranée, dont la venue en France est déjà d’un coût considérable (d’autant plus qu’une caution d’environ 8000 euros est exigée pour chaque étudiant.e !), nul doute que l’annonce est une catastrophe. Les réactions des étudiant.e.s sénégalais ou maghrébins relatées dans la presse sont sans équivoque. Même du point de vue des gestionnaires d’établissements, le doute est grand quant au caractère économiquement bénéfique de la hausse des droits selon l’origine nationale. Si le bureau de la Conférence des présidents d’université (CPU), tenu par les macronistes, a applaudi à sa manière pavlovienne, ce n’est pas le cas de beaucoup de présidents et de conseils d’Université. [2] En réalité, la hausse sera une catastrophe si elle est appliquée. La chute inévitable du nombre d’étudiant.e.s en master et doctorat fragilisera les formations et les laboratoires de la plupart des petites et moyennes universités. Il est difficile de croire que le gouvernement ne s’en rend pas compte (et probablement le souhaite-t-il). Sa décision n’est donc qu’une mesure préparatoire au chamboulement général. Car voilà qu’un rapport de la Cour des comptes daté de novembre et opportunément demandé par LREM préconise l’augmentation des droits pour l’ensemble des étudiant.e.s, certes dans une proportion prétendument plus “raisonnable” que pour les étrangers, tandis que des grouillots “universitaires” écrivent des tribunes dans la presse pour la prôner -sans rire- au nom de la justice sociale ! La recette est simple : les droits d’inscription doivent servir à financer les universités à la place de l’État et de l’impôt. C’est ce qu’explique un mail ministériel du 24 novembre aux présidents et directeurs d’établissements : il s’agit “d’augmenter significativement les ressources propres des universités et des écoles”. En commençant par les “extra-communautaires” avant de passer aux “communautaires”...

De premières mobilisations ont lieu contre la hausse dans plusieurs universités. Dans le contexte de crise politique et sociale actuel, il est d’autant plus important que les syndicats de personnels, étudiants et lycéens construisent partout une riposte à la hausse des droits d’inscription selon l’origine nationale. Il est vital de mettre en évidence qu’elle n’est que le prélude à une hausse pour toutes et tous (au nom de “l’équité” ?). Refusons l’université concurrentielle et marchande des capitalistes et exigeons le retour d’un service public maillant le territoire et ouvert à toutes et tous dans un monde sans frontières !

===================

Annexes :
-  voir le documentaire « Étudiants, l’Avenir à crédit » de Jean-Robert Viallet (diffusé sur Arte au printemps 2017) ;
-  lire les travaux du chercheur belgo-luxembourgeois Nico Hirtt sur la marchandisation de l’éducation ;
-  aller sur la page du collectif Acides (Approches Critiques et Interdisciplinaires des Dynamiques de l’Enseignement Supérieur) ou lire son essai “Arrêtons les frais !” dans la collection Raisons d’agir.
-  signer la pétition « Non à l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant.e.s étranger.e.s ! » (près de 300.000 signatures au 3 décembre 2018)

3 décembre 2018, par NPA 49

[1] ... et même Saoudiennes : des conventions d’accueil d’étudiants et étudiantes d’Arabie Saoudite sélectionnés par la  “Royal Commission for Al‐Ula” sont proposées par Campus France à certaines Universités Françaises. Au nom de soi-disant “spécificités culturelles”, les étudiantes vont être accompagnées par des “chaperons” tout au long de leurs cursus en France (en Arabie Saoudite, c’est au "chaperon" que revient le droit d’autoriser -ou non- les femmes à sortir, étudier, travailler, voyager…). Le texte souligne que l’Université doit assurer des cours de français à ces chaperons, ce qui est de facto une reconnaissance de leur rôle particulier.

[2] L’Auref (Association des universités de recherche et de formation) qui est un regroupement d’universités petites et moyennes au sein de la CPU a condamné la hausse, essentiellement pour des raisons gestionnaires. Le président d’Angers a signé son communiqué. Au Mans, à Nantes et à Poitiers, les présidents ont également désapprouvé la hausse. Parmi leurs arguments, les présidents regrettent le manque de “concertation”. Celle-ci n’aurait pas rendue la hausse plus acceptable mais son absence est significative de l’autoritarisme du gouvernement, allant jusqu’au mépris des structures et des lois. Ainsi la hausse est est-elle déjà annoncée sur Campus-France alors qu’aucun arrêté qui la définirait légalement n’a été pris et publié !