Un hommage angevin militant à Christine Renon

Partager

En hommage à Christine Renon, plus de 150 enseignant.e.s se sont rassemblé.e.s devant la DSDEN d’Angers, à la cité administrative, jeudi 3 octobre à 17h30. Il y avait là des militant.e.s de la FSU, de FO et de Solidaires mais aussi des enseignant.e.s non syndiqué.e.s venu.e.s marquer leur tristesse et leur colère après un suicide qui met clairement en cause les conditions de travail imposées à la profession.

Une prise de parole a été assurée par le secrétaire départemental de la FSU, dénonçant la dégradation des conditions de travail et les injonctions permanentes et contradictoires auxquelles sont soumis.e.s les enseignant.e.s par l’administration. Une militante a lu la lettre terrible que Christine Renon a laissée avant de suicider dans son école maternelle, sur son lieu de travail. Une minute de silence suivie d’une minute d’applaudissements ont conclu la manifestation.

-  

D’aucuns ont regretté qu’il n’y ait pas eu plus de monde. La FSU nationale n’avait pas lancé d’appel général à la grève et les initiatives en France ont été à l’initiative des sections départementales de la fédération et des autres syndicats. Mais si à Angers la mobilisation ne fut peut-être pas à la hauteur espérée, ce ne fut évidemment pas le cas en Seine Saint-Denis où Christine Renon exerçait : 200 écoles fermées et 60 % de grévistes, plusieurs milliers de manifestants devant la direction départementale. Un peu partout en France, des rassemblements ont eu lieu. Par centaines, des enseignant.e.s se sont rassemblé.e.s devant les rectorats à Grenoble et à Toulouse, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Marseille... Et partout dans le pays, la colère monte pour demander que l’éducation nationale soit reconnue responsable des suicides qui se multiplient, pour marquer un coup d’arrêt à la politique mortifère du ministre Blanquer et du gouvernement Macron. C’est ce que reflète le succès de la pétition « Suicide de notre collègue Christine RENON, directrice à Pantin : plus jamais ça ! » : plus de 100.000 signatures (et ce n’est pas fini !)

-  

Le ministre Blanquer et son administration ne reculent devant aucune infamie pour se dédouaner. Ce matin du 3 octobre, jour de l’enterrement de Christine Renon et de grève contre les conditions de travail et les pressions multiples et incessantes de l’administration, ils essayent de faire relayer par les médias le deuil de ses parents pour expliquer son geste tragique. Le frère de Christine a fait lire une lettre aux manifestants : « Je demande de ne pas salir son nom. Non Christine n’était pas fragile. Non Christine n’était pas dépressive. Ils nous l’ont détruite. »

Ce sont bien les réformes destructrices du service public, les directives incessantes, la multiplication des tâches inutiles et souvent contradictoires avec l’intérêt des élèves et la pédagogie, la déprofessionalisation des enseignants auxquels on demande d’appliquer des méthodes normées, inadaptées, désuètes, c’est une médecine du travail inexistante pour une profession très exposée qui sont responsables des suicides (un médecin seulement en Maine-et-Loire !). Le jour même où Christine Renon mettait fin à ses jours, Frédéric Boulé, professeur de SVT de Valbone dans l’académie de Nice, se suicidait 5 jours après une visite à la médecine préventive. Même si un chiffre est déshumanisant dans ce contexte, le taux de suicides deux fois et demi plus important chez les enseignants que chez l’ensemble des salarié.e.s rend compte de la difficulté et de la souffrance de ce métier.

Ces suicides sont maintenant portés devant les CHSCT de Seine-Saint-Denis et de Nice et une alerte sociale a été posée devant le CHSCT ministériel. La mobilisation doit obtenir la responsabilité de l’institution ainsi que la reconnaissance des suicides comme accidents du travail.

Le mantra de ce gouvernement « faire mieux avec moins » est responsable de l’épuisement au travail comme la signature « Christine Renon, directrice épuisée » le signifie. « Faire mieux avec moins » cela veut dire que les enseignants ne font pas bien. Cela veut dire qu’ils doivent prendre en charge plus de tâches en étant moins nombreux. Ainsi les élèves en difficultés scolaires sont pris en charge par des personnels de moins en moins nombreux, de plus en plus polyvalents et, pour certains, de plus en plus précaires. Les missions d’orientation des élèves sont enlevées aux professionnels pour être confiées aux enseignants. L’anglais doit être enseigné par tous les professeurs d’école, qu’ils l’aient appris ou non. Les évaluations normées et antipédagogiques en maternelle, en CP, en CE1, en 6ème et en seconde n’ont aucun intérêt ni pour les élèves, ni pour les enseignants. Elles servent seulement à alimenter la machine statistique du ministère, à rendre les professeur-es responsable de la dégradation des conditions d’enseignement. Blanquer va même plus loin. Il veut imposer la méthode de lecture du b-a-ba en contrepartie des dédoublements de CP et CE1, niant l’expertise des professeurs-es d’écoles et l’adaptation de leurs méthodes aux situations très diverses des écoles. Sans compter que c’est, en Seine-Saint-Denis, un des départements qui connaît le plus de difficultés, où le ministère n’a cessé de diminuer le taux d’encadrement, que ces dédoublements n’ont pas tous pu se mettre en place faute de recrutements.

La mobilisation partie de l’émotion du suicide de Christine Renon et de l’épuisement des directrices et des directeurs d’école, atteint tou-tes les professeurs-es du premier et du second degré, tous les départements. Cette politique mortifère doit être arrêtée. Blanquer, loin d’entendre la colère due à son mépris, a décidé de mettre en place un « comité de suivi des conditions de travail des directeurs d’école ». Il compte sur l’émotion du suicide de Christine Renon pour imposer une nouvelle fois une des dispositions les plus décriées de sa loi.

Non, Blanquer doit revenir sur toute sa politique. Plus largement c’est la politique mortifère du gouvernement dans tous les services publics, à la SNCF, dans les hôpitaux, aux impôts, aux finances qui doit être stoppée. Des appels intersyndicaux à la grève seraient importants pour maintenir un haut niveau de mobilisation et permettre ce changement de politique.

_________________________

Sur Christine Renon, lire :
-  Cas d’École - L’histoire de Christine, Morceaux de vie d’enseignants ordinaires par Remedium (une BD qui résume efficacement la tragédie de Christine Renon et ses causes).
-  La Lettre de Christine Renon :

Monsieur l’Inspecteur, Mesdames et Messieurs les Directeurs,

Aujourd’hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée.

Les soucis depuis bien avant la rentrée se sont accumulés, c’est le sort de tous les directeurs malheureusement.

Il n’y a que les Inspecteurs/trices générals qui annoncent en réunion la voix légère que les directeurs ont de très lourdes responsabilités et qu’il vaut mieux être à leur place qu’à la nôtre, mais comment pensent-ils à améliorer nos conditions d’exercice ?

Encore du travail avec le RGPD, et encore je ne vais pas me plaindre, cette année, j’ai retrouvé une décharge complète.

La succession d’Inspecteurs qui passe à Pantin ne se rend pas compte à quel point tout le monde est épuisé par ces rythmes. Personne ne s’interroge sur les gens qui partent ! Sur le temps que travaillent les directeurs !

A la rentrée, les personnels non nommés qui se présentent dans les écoles sans que les Inspections locales soient au courant, la course aux enseignants faite par l’inspecteur et moi-même pour mon école le samedi après-midi pour le lundi, j’imagine que pour les autres cela a été pareil, le risque écarté le vendredi de fermeture de classe (A la maternelle Méhul il y a eu trois fois des changements de structures après la rentrée) tout cela concourt au stress des directeurs.

Les remontées de tableau de structure !!!! mais à quoi sert onde ? Faut-il donner de l’argent des coopératives pour que les inspecteurs aient une clé OTP !

Le travail des directeurs est épuisant, car il y a toujours des petits soucis à régler, ce qui occupe tout notre temps de travail et bien au-delà du temps rémunéré, et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l’on a fait.

Pour ma part, j’ai toujours fait pour le mieux pour les élèves, les enseignants, les parents, j’ai essayé de me rendre disponible au maximum pour chacun, toujours répondu positivement à un service que l’on me demandait.

Je dois dire que l’accumulation de faits mineurs dont le plus grave de mon point de vue s’est passé à l’extérieur de l’école, la réception des parents concernés, les concertations avec la psychologue scolaire, les entrevues ou échanges avec l’inspecteur m’ont plus qu’éprouvée !

En rien l’école n’est responsable de cela, mes collègues et moi-même faisons de notre mieux pour la sécurité des enfants.

Mais les Directeurs sont seuls ! Seuls pour apprécier les situations, seuls pour traiter la situation car les parents ne veulent pas des réponses différées, tout se passe dans la violence de l’immédiateté. Ils sont particulièrement exposés et on leur en demande de plus en plus sans jamais les protéger.

La semaine après la rentrée, ils sont déjà épuisés.

Le nombre de personnel dans des collèges qui reçoivent le même nombre d’élèves que nos écoles montre le degré de l’exposition et du stress dans les situations tendues quand on est seul.

C’est une honte qu’il y ait des directeurs non déchargés.

La perspective d’appeler une famille pour leur dire que leur enfant (alors qu’on est sûr qu’il ne l’a pas fait) est soupçonné d’avoir mis le doigt dans l’anus d’un autre (ils ont 3 ans tous les 2) dans la classe, l’école ou le centre ! IMPOSSIBLE ! je ne peux pas le faire, c’est la goutte d’eau qui ce matin m’a anéanti, mais franchement, j’étais déjà très éprouvée.

La perspective aussi de devoir organiser des APC avec les horaires que l’on a. Franchement, prendre les enfants sur le temps méridien, cela peut les faire progresser ? Au pire ils ont faim, au mieux ils digèrent !

Les prendre après, les prendre avant ? En quoi les rythmes de l’enfant à Pantin sont-ils raisonnables ? Presque les même qu’avant avec le mercredi en plus.

Pourquoi notre ministre n’impose-t-il pas aux villes les même horaires ?

Et que pense-t-il des horaires de Pantin ?

La perspective de devoir faire le tableau des réunions,

La perspective de devoir faire les élections de parents d’élèves,

La perspective de devoir faire les plans de sécurité,

La perspective d’aller expliquer aux nouveaux le carnet de suivi des apprentissages premiers, alors que l’État nous a laissé faire tout seuls ce « truc », car selon les circonscriptions, départements, personne n’a le même, certains ont un livret qu’ils tamponnent ce qui a le mérite d’être pratique et moins chronophage, d’autres collent des vignettes, écrivent, prennent des photos… ceci prend un temps monstrueux aux enseignants. Certains s’en sortent mieux avec l’application sur tablette sur Apple, bien sûr tout équipement est sur les deniers personnels des enseignants.

La perspective de devoir faire avec la nouvelle direction du centre de loisirs qui nous envoient des animateurs à 12 heures 10 pour enquêter sur la probabilité que l’enseignante ait appelé la famille d’un enfant qui est tombé et qui dénie une fois qu’elle a la réponse, et le lendemain pareil à midi pour un autre enfant alors qu’il n’est pas inscrit au centre de loisirs !! cela augure des relations futures !

La perspective de devoir attendre pour voir mon médecin pour la toux qui m’empêche de dormir depuis plusieurs jours.

La perspective de dire encore en conseil d’école que les enseignants sont les seuls à qui l’employeur (l’État qu’il s’agisse de l’Education Nationale ou de la collectivité locale) ne fournit pas leur outil de travail, et même avec leurs outils personnels, ils ont du mal à travailler, franchement 2 heures de pause méridienne et pas d’ordinateur pour 11 classes, la clé USB, pour le service informatique de la ville de Pantin est un danger digne de déclencher une guerre !

La perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200 % notre journée

Je dois dire aussi que je n’ai pas confiance au soutien et à la protection que devrait nous apporter notre institution, d’ailleurs, il n’y a aucun maillon de prévu, les inspecteurs de circonscription ont probablement encore plus de travail que les directeurs, et la cellule de crise quelle blague ! L’idée est de ne pas faire de vague et de sacrifier les naufragés dans la tempête ! Pourvu que la presse ne s’en mêle pas ! J’ai vu mon amie XXXXX se relever difficilement de ce manque de soutien.

En l’occurrence, je ne vois pas de quoi la presse se mêlerait ! Personne dans l’école n’a rien à se reprocher, j’ai des collègues formidables qui font très bien leur travail, les enfants sont en sécurité dans un cadre rassurant.

Je laisse à la cellule de l’éducation nationale le soin de gérer au mieux le mal être qui va suivre suite au choix du lieu de ma fin de vie, et je suis particulièrement désolée pour XXXXX qui se remet à peine du décès de ses parents.

Et pour finir, je me demande si je ne ferais pas une petite déprime !!! je n’ai pas l’habitude, j’en ai jamais fait, mais j’ai une boule dans la gorge depuis ce matin et envie de pleurer et je suis tellement fatiguée !

Je remercie les parents d’élèves élus qui ont toujours été là, Je remercie les parents en général.

Je remercie mes collègues directeurs.

Je remercie mes collègues pour leur travail avec leur classe, particulièrement à XXXXX, XXXXX, XXXXX et bravo les nouveaux arrivants !

Je remercie les enfants qui ont fréquenté et qui fréquentent l’école.

Je remercie aussi les nombreux animateurs avec qui nous échangeons des bonjours cordiaux.

Je remercie l’Institution de ne pas salir mon nom,

Christine Renon

Directrice épuisée

3 octobre 2019, par NPA 49

Documents joints