L’université d’Angers contre l’austérité

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Depuis 2007 et la loi LRU imposée par Sarkozy, depuis le passage des universités aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE) [2] qui était programmé dans cette loi, les universités se sont engluées dans une « autonomie » de gestion de l’austérité budgétaire qui conduit tout droit à l’asphyxie financière.

Au départ, les équipes présidentielles universitaires (élues grâce à un nouveau mode de scrutin particulièrement antidémocratique) ont cru aux promesses de fonds de la ministre Pécresse, voire de son éphémère successeur Wauquiez. Ainsi à Angers, le ci-devant président Martina pensa possible et souhaitable, pour pallier le manque criant de personnels, de développer considérablement l’emploi contractuel chez les BIATOSS, [3] notamment dans les services administratifs centraux pour y gérer... « l’autonomie » et le passage aux RCE ! Très rapidement pourtant, il est apparu que le ministère n’envisageait de répartir que très inégalement la prétendue manne financière pour le supérieur, et que les universités n’en toucherait qu’une trop faible partie. Si l’on retire par exemple le crédit impôt recherche (CIR), qui n’est qu’une subvention déguisée aux entreprises (surtout aux plus grosses), le budget recherche n’apparaît plus aussi fringant. [4] Surtout, les projets dits « d’excellence » (ou « ex » : equipex, labex, idex) soustraient une partie du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) à la répartition égalitaire du budget qu’on est en droit d’attendre d’un service public. Quelques sites sont abondés (prévisibles, le soi-disant « jury international » réuni à grand frais pour décider à qui attribuer les « ex » n’a fait qu’avaliser des choix déjà établis de longue date) au détriment des autres (par exemple des universités du « Grand Ouest »), et à l’intérieur même de ces sites (Paris, Strasbourg, Grenoble...), la répartition inégalitaire est également de mise. De même, le « Grand emprunt » décidé en pleine crise de la dette, consiste à attribuer à quelques sites (les mêmes que précédemment) les intérêts des sommes empruntées avant d’être placées (et seulement les intérêts, même si le ministère, à l’époque, a fait sa communication sur les sommes elles-mêmes). En général, les nouvelles charges accompagnant la mise en place de la soi-disant « autonomie » n’ont pas été compensées dans le budget, tandis que les masses salariales versées aux universités et leurs évolutions dans le temps ont été systématiquement sous-évaluées par le ministère. Aujourd’hui, le mirage s’est dissipé. La plupart des universités sont en grande difficulté budgétaire (y compris celles prétendument favorisées, comme à Strasbourg).

Celle d’Angers n’échappe surtout pas à cette règle. Avant les vacances, le président nouvellement élu avait un temps envisagé un plan social pour 45 contractuels. Devant la vive réaction de l’intersyndicale FO-FSU-UNSA, le nombre fut réduit à 22. Finalement, grâce aux réussites aux concours de la fonction publique et aux promotions, seuls quelques-uns de ces contractuels restent sur le carreau. Mais les difficultés financières ne cessent de s’accroître. Recettes surestimées (au moins 2M€) et dépenses sous-estimées (au moins 1M€) [5] vont conduire à une division par deux d’un « fonds de roulement » qui ne couvrait déjà plus que deux semaines de fonctionnement. Les budgets des différentes facultés ont été réduits de 10 à 20%. Des heures de vacation ne sont pas payées ou avec retard ; des enseignements sont supprimés ou deviennent « virtuels » (comme en bureautique en faculté de lettres) ; des formations à effectifs réduits n’ouvrent pas et risquent d’être fermées définitivement ; des règles de numerus clausus commencent à voir le jour à cause de capacités d’accueil insuffisantes (première année de psycho) ; les groupes de TD et TP sont surchargés au-delà des seuils réglementaires de façon à en limiter le nombre. [6]

Et pourtant… Le changement c’est maintenant ! N’y a-t-il pas une nouvelle ministre de « gôche » ? Certes, Geneviève Fioraso était avant sa nomination davantage connue dans son université comme promoteur des logiques managériales et de la recherche de financements privés que comme résistante aux réformes libérales successives qui ont délité l’ESR. [7] Mais n’organise-t-elle pas en cette rentrée des « Assises » de l’ESR où l’on débat « démocratiquement » de l’avenir des universités ? N’est-ce pas là un changement de méthode annonciateur d’un avenir radieux ?

En réalité, ces « Assises » censées donner une nouvelle direction à l’université sont une mascarade et une insulte au statut d’intellectuel qui est celui des universitaires. Avant même qu’elles ne commencent vraiment, G. Fioraso avait déjà révélé à la presse que la loi LRU ne serait pas abrogée. Les « thématiques » des Assises étant choisies par ses promoteurs de façon à éviter les sujets les plus brûlants (comme l’explosion de la précarité ou le déficit budgétaire), les « débats » étant « organisés » par en haut et de façon confidentielle pendant une période de deux à trois semaines seulement dans les établissements, les synthèses de « débats » étant faites par les responsables nommés, locaux et nationaux, de l’organisation des Assises (qui pour la plupart ont trempé dans l’application des réformes libérales), il n’y a rien à en attendre d’autre que la continuation de l’ancienne politique (celle de Sarkozy-Pécresse, et aussi celle d’Allègre et de son très libéral « processus de Bologne » initié en 1998 sous le gouvernement Jospin).

Est-ce à cause de cela que les personnels, et notamment les enseignants-chercheurs, se sont pour la plupart désintéressés des « Assises », par exemple à Angers ? Sans doute, mais aussi parce que les enseignants-chercheurs ne se sont pas encore remis de la défaite de 2009. Cette année-là, ils s’étaient comme jamais auparavant mobilisés contre deux réformes. Contre la soi-disant « masterisation » des formations d’enseignants, qui conduisait en réalité à leur appauvrissement, [8] et contre la mise en œuvre de la réforme de leur statut contenue dans la loi LRU. [9] Si le décret statutaire a pu être amendé et que ses aspects les plus brutaux ont été lissés, les deux réformes ont néanmoins été adoptées. Ajoutées à la démoralisation qui a suivi et à une certaine pénétration subséquente des idées libérales, les illusions que nombre d’universitaires partagent sur le nouveau gouvernement de « gôche » rendent difficile leur remobilisation immédiate pour une université qui tournerait le dos à la marchandisation de l’éducation et de la recherche et deviendrait un véritable service public du monde de la connaissance, gratuit et ouvert à toutes et tous.

C’est dans ce contexte que se comprend l’ébauche de mouvement étudiant qui se manifeste à Angers. Deux assemblées générales successives de 300 étudiant(e)s de l’UFR de Lettres les 26 septembre et 2 octobre ont abouti à la mise en place d’un comité de mobilisation et, le jeudi 4 octobre, d’un appel à grève et manifestation. Cette dernière a mobilisé plus de 80 personnes, depuis la place du Ralliement jusqu’à la Faculté de droit. [10] C’est qu’à l’UFR de Lettres l’austérité est des plus sensibles pour les étudiants et que les deux syndicats étudiants UNEF et SUD y sont bien implantés. Mais l’austérité s’applique partout et le Conseil d’Administration de l’université lui-même en est réduit à envoyer une motion-supplique au ministère. Par delà cette mobilisation pour l’instant isolée nationalement et minoritaire dans l’université, se pose donc la question des perspectives d’élargissement aux niveaux local et national et de la mobilisation parallèle des personnels BIATOSS, enseignants et chercheurs. Celle-ci sera difficile en raison du passif de 2009 mais pas impossible, tant les menaces s’accumulent au dessus de la tête de ces salarié(e)s. Elle est en tout cas indispensable.

Petite goutte d’eau qui peut-être fera déborder le vase, le mouvement actuel des étudiants angevins est donc une leçon à suivre avec attention dans les prochains jours.

4 octobre 2012, par NPA 49

[1] baptisées fallacieusement « autonomie », les RCE ont permis à l’État de faire un transfert global de la masse salariales des personnels aux établissements et de transformer les présidents d’universités en managers. Le budget de chaque université a ainsi été artificiellement gonflé. Un des buts de l’opération, évident depuis le départ, était d’assurer la « fongibilité asysmétrique » entre masse salariale et budget de fonctionnement, c’est à dire de permettre aux présidents d’université d’utiliser de la masse salariale pour assurer le fonctionnement (l’inverse étant interdit).

[2] baptisées fallacieusement « autonomie », les RCE ont permis à l’État de faire un transfert global de la masse salariales des personnels aux établissements et de transformer les présidents d’universités en managers. Le budget de chaque université a ainsi été artificiellement gonflé. Un des buts de l’opération, évident depuis le départ, était d’assurer la « fongibilité asysmétrique » entre masse salariale et budget de fonctionnement, c’est à dire de permettre aux présidents d’université d’utiliser de la masse salariale pour assurer le fonctionnement (l’inverse étant interdit).

[3] À Angers, le nombre de contractuels chez les bibliothécaires, ingénieurs, administratifs et ouvriers est passé de 7% en 2007 à plus de 40% des effectifs en 2010. En l’absence de création de postes de fonctionnaires, le développement de l’emploi précaire est apparu comme un pis-aller.

[4] Ce CIR vaut deux fois le budget du CNRS, salaires inclus !

[5] Parmi les dépenses largement sous-estimées, il y a celles liées au fonctionnement du nouveau bâtiment IRIS de la faculté de médecine.

[6] In fine, on sent bien qu’une des « solutions » ultimes à la pénurie “locale” serait l’augmentation “locale” des droits d’inscription. C’était bien sûr un des objectifs majeurs de la droite en votant la loi LRU (même si elle proclamait le contraire). Car il est plus facile de transformer les étudiants en « clients » d’une entreprise « université » particulière en induisant par la contrainte budgétaire une hausse décentralisée et désynchronisée des droits que d’augmenter ceux-ci brutalement partout ; Devaquet, en 1986, et le gouvernement libéral québécois, il y a quelques mois, ont ainsi suscité à leurs dépens de grands mouvements étudiants de résistance. Certes, l’État français a jusqu’ici été politiquement contraint de maintenir un barème centralisé des droits d’inscription. Mais cette règle nationale est déjà contournée pour les « diplômes d’université » non nationaux. La conférence des présidents d’universités (CPU) songe même à une généralisation des « prêts étudiants » afin de pouvoir justifier la hausse des droits tout en arguant de la « justice sociale » ! (Sur la question de la hausse des droits d’inscription dans le monde globalisé, on lira avec intérêt l’article d’Isabelle Bruno dans le Monde Diplomatique du mois de septembre 2012.) Une autre des « solutions », encore plus aléatoire, est de quémander des subsides auprès des entreprises. Le prix n’en est pourtant pas anodin : c’est le renoncement à l’enseignement purement universitaire au profit d’apprentissages étroitement appliqués, aux thématiques fermées imposées par les patrons, aux dépens de la formation généraliste dont auront besoin tout au long de leur vie les futur(e)s salarié(e)s que sont la grande majorité des étudiant(e)s…

[7] G. Fioraso est également un suppôt actif du lobby pro-nucléaire, ce qui ne gâte rien !

[8] Ce que certains syndicats du premier et second degré n’avaient pas su comprendre à l’époque, alors même que cette réforme était initiée par un gouvernement de combat de la droite la plus dure. Les effets catastrophiques de cette réforme se sont rapidement fait sentir et ont induit partout un effondrement des vocations.

[9] En particulier la « modulation » des services d’enseignement, présentée initialement comme un bâton-carotte devant servir à renforcer l’implication des universitaires dans leurs travaux de recherche, mais qui visait déjà à permettre aux universités d’alourdir les services d’enseignement en cas de pénurie budgétaire sans payer la moindre heure complémentaire.

[10] Une nouvelle mobilisation est prévue lundi 8 octobre à 10h devant l’amphi 450 de médecine à l’occasion de la prétendue AG de synthèse des « Assises » au niveau angevin. Ajout du 8/10 : cette AG n’a réuni que l’équipe présidentielle et une poignée d’enseignants-chercheurs. Les étudiants mobilisés de Lettres, venus à une trentaine, étaient incomparablement plus nombreux !