Voici le troisième épisode du témoignage d’un ancien militant du PCF en 1968 (aujourd’hui angevin au NPA !), alors étudiant parisien et déjà critique sur la ligne du parti. Cette fois, l’évocation porte sur la période du 13 au 29 mai...
Dans les années qui ont suivi la fondation du Parti communiste en décembre 1920, pour se différencier d’un Parti socialiste organisé sur la base de sections locales conçues pour les campagnes électorales, la « bolchévisation » consistait à orienter le maximum de militant-e-s vers des cellules d’entreprises.
Dans le 20e arrondissement, toutefois, en 1968, et malgré les efforts des directions, les trois quarts des cellules sont des cellules locales. C’est le cas de la mienne, qui intervient sur un petit quartier entre l’hôpital Tenon et l’usine Bull, soit une demi-douzaine de pâtés de maisons. C’est un petit creuset social et international. Il y a bien entendu des métallos : Guy et Gaby, sa femme, ainsi que Roger, qui a fait la grève générale de 1936. Il y a aussi Idir, un jeune algérien kabyle qui a combattu dans les rangs de l’ALN, a reçu des éclats d’obus dans le dos et a été gagné au communisme dans les prisons coloniales. Idir travaille dans une usine chimique de la banlieue. Un jour, il m’a demandé de l’accompagner pour l’aider à trouver un logement dans un hôtel meublé du quartier. La concierge, que je connaissais bien car elle m’achetait chaque semaine l’Humanité-dimanche, a refusé net : le propriétaire ne voulait pas d’Algériens… Il y a aussi Chakour, un communiste iranien du Parti Toudeh qui est interdit et persécuté par la dictature du Shah. Il travaille lui aussi en usine tout en préparant une thèse sur le régime de sécurité sociale de son pays. Nous sommes tous très soudés, il y a une vraie fraternité entre nous. Au comité de section, dont je fais partie, il y a un ancien dirigeant du Parti communiste algérien, André Moine, dont la femme a été affreusement torturée par les paras. Il y a aussi un ouvrier qui nous a raconté un soir qu’il devait tout au Parti, car c’était grâce à un militant qu’il avait appris à lire et à écrire. Il a une confiance totale dans le Parti.
Ce soir, c’est justement la réunion du comité de section. On est seulement quelques jours après le grand défilé du 13 mai (un million de manifestants). Les grèves commencent à faire tache d’huile, et le secrétaire de la cellule de Bull évoque l’idée de souder les grandes portes - métalliques - du siège, avenue Gambetta, pour obliger tout le monde à se mettre en grève… L’idée est totalement substitutiste, gauchiste on va dire, et il n’aura d’ailleurs nul besoin de la mettre en pratique…
Dès lors, le Parti adaptant son activité à la situation, j’enchaîne diffusions de tracts quasi-quotidiennes au métro Pelleport (jusqu’à ce qu’aucune rame ne circule plus), collages d’affiches, et même vente quotidienne de l’Humanité devant le Prisunic du quartier. En effet, le concours d’entrée à Normale Sup ayant été reporté sine die, je m’engage désormais totalement dans un activisme effréné. J’assiste quand même aussi à quelques réunions à la fac de Jussieu où des militant-e-s de l’UEC comme David Kaisergruber se lancent dans des projets détaillés de réforme de l’Université et des classes prépas, mais l’essentiel de mon militantisme se déroule dès lors dans le 20e. Les grandes manifs s’enchaînent, à l’appel désormais de la seule CGT et du Parti communiste, notamment les 24 et 29 mai. Le 24 mai, en fait, il y a deux itinéraires qui traversent Paris, l’un au sud de la Seine, l’autre au nord (le métro et les bus sont en grève). Je fais bien entendu le parcours nord, ce qui me fait traverser presque tout Paris à pied, aller et retour. Bien entendu, le soir, je suis épuisé. C’est pendant cette manif qu’on entend sur des transistors de Gaulle annoncer un référendum pour reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappe, et menacer en cas d’échec de se retirer. Tout le monde sort alors son mouchoir en scandant « Adieu de Gaulle, adieu ! ». Le général a raté son coup !
Le 29, l’ambiance est plus tendue : le slogan dominant de la manif, lancé par les militants communistes qui reprennent le titre de l’Huma du matin, c’est « gouvernement populaire ». Au bout de 15 jours de généralisation des grèves, la question du pouvoir d’État est en effet posée. Dans plusieurs villes de province en effet, des comités centraux de grève intersyndicaux gèrent la répartition des approvisionnements, et notamment d’essence, comme à Nantes. De plus, de nombreuses préfectures sont en grève, et les préfets sont court-circuités. Dans ce contexte, le Parti ne veut pas être écarté d’une solution de gauche à la crise politique. La veille, Mitterrand s’est porté candidat au pouvoir, et on sait par la presse qu’il prépare en tandem avec Pierre Mendès-France, qui appartient à l’aile la plus droitière du PSU, une formule de gouvernement sans les communistes ou en ne leur accordant qu’une représentation purement symbolique alors que le PC représente plus de 20 % des électeurs. Certes, en militant discipliné, j’avais fait la campagne de Mitterrand en décembre 1965, mais je connaissais déjà à l’époque le passé du personnage, le fait qu’il avait reçu la francisque de Pétain, son rôle comme ministre de l’Intérieur pendant la guerre d’Algérie, son refus de gracier le militant anticolonialiste Fernand Yveton, etc. D’ailleurs, dans la manif, certains crient « gouvernement populaire, oui, Mitterrand non ! ».
En fait, beaucoup d’entre nous espèrent secrètement une révolution sur les décombres de l’appareil d’État bourgeois. Certes, une grève générale ne mène pas forcément à la révolution, c’est le constat qu’on a pu faire après celle de 1936, qui a vu le Front populaire se déliter et la même Chambre des députés élue en 1936 voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Mais on sait aussi qu’il n’y a pas de vraie révolution sociale possible sans un puissant mouvement populaire, donc sans grève générale. Or il y a maintenant près de dix millions de grévistes, cinq fois plus qu’en juin 36, et le drapeau rouge flotte sur un grand nombre d’usines.
(à suivre)
Liens vers les épisodes du feuilleton !
- Épisode n°4
- Épisode n°3
- Épisode n°2
- Épisode n°1
- du vendredi 24 au dimanche 26 mars : mobilisation dans le Poitou pour la défense de l’eau à l’appel de Bassines Non Merci et des Soulèvements de la Terre. Le 24 : arrivée de tracteurs de toute la France et, le soir, Forum international sur la défense de l’eau avec des délégations de différents pays et continents. Le 25 à 10h : manifestation « Fin de chantier » et, le soir, concerts, banquets et festivités à Melle (79500). Le 26 : assemblées, tables rondes, cantines, balades naturalistes, concerts…
- samedi 25 mars de 16h00 à minuit : Fête de Lutte Ouvrière, Salle Aragon, 1 rue Joseph Bara, Trélazé (arrêt Malaquais du bus n°2).
- mardi 28 mars : grève contre la “réforme” des retraites à l’appel de l’Intersyndicale. Manifestations à 10h à Cholet (pl. Travot) et Segré (pl. du port) ; à 14h à Angers (pl. Leclerc) et Saumur (pl. Bilange).
- mercredi 29 mars à 19h : concert de solidarité avec les grévistes, salle Emstal aux Ponts-de-Cé, organisé par LFI.
- samedi 1er avril à partir de 14h30 : “Huit heures pour la Palestine” au centre Marcelle Menet à Angers.
- dimanche 2 avril après-midi : “Un autre monde est nécessaire”, initiative du Cercle 49 dans la grande salle du centre Jacques Tati de Belle-Beille (Angers). Projection du film Rosmerta.
- Voir aussi Alter49.org, l’agenda alternatif 49, et Le Cercle 49.
En août 1940, Léon Trotsky, devenu l’ennemi juré de Staline, est assassiné à Mexico par l’Espagnol Ramón Mercader. Dans un documentaire à la mécanique de thriller, « Trotsky, un homme à abattre », Marie Brunet-Debaines (réalisatrice de “L’Ombre de Staline” (2013), “Antoine de Saint-Exupéry, le dernier romantique” (2016), “John Huston, une âme libre”, etc.) revient sur cette incroyable opération commanditée directement par Staline. Elle entraîne le spectateur dans un véritable thriller historique, nourri d’images tournées dans le Mexico d’aujourd’hui, d’archives choisies et de scènes de fiction. Son film diffusé sur Arte.tv - qui par ailleurs ne prétend pas développer une analyse politique approfondie - s’appuie sur une solide documentation, puisée, entre autres, dans les souvenirs publiés par Jean van Heijenoort, secrétaire et traducteur de Trotsky de 1932 à 1939. Cette enquête haletante éclaire aussi les dernières années, intimes et politiques, de l’un des artisans majeurs de la révolution bolchevik, qui paya de sa vie son opposition à Staline.
Le 17 septembre 2022, l’ONG socialiste ukrainienne Sotsialny Rukh (SR – Mouvement Social) tenait sa conférence nationale à Kyiv. Catherine Samary revient (ICI) sur cette conférence nationale dans une longue analyse publiée sur le site de la 4e Internationale. Loin de se contenter d’un simple compte-rendu factuel et ponctuel, Catherine Samary entend éclairer ce qu’est le profil spécifique de cette jeune gauche, à partir de sa pratique militante au cœur de la société ukrainienne et en rupture avec les grandes interprétations contradictoires dominantes de « l’Euro-Maidan » (2013-2014) qui divisent la gauche et sont exploitées par Poutine.
Figure marquante de la Quatrième internationale et de mai 68, porte parole pendant trois décennies de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), député européen, Alain Krivine, c’est l’histoire d’une trajectoire qui a croisé les grands événements de l’Histoire du XXe siècle. Sans jamais renoncer à son idéal révolutionnaire de jeunesse, il n’a cessé de se battre, jusqu’à la création du NPA. À travers les récits de ses anciens camarades tels que Edwy Plenel, Michel Field, Romain Goupil, mais aussi Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Ariane Chemin, se dessine dans un documentaire de Jeanne Lefèvre, “Alain Krivine : une vie en rouge”, le portrait d’un éternel militant, qui a toujours su s’adapter aux changements du monde. On peut cependant regretter l’absence dans le film de maints combats de la LCR et d’Alain, qu’ils soient internationalistes (soutiens à la Charte 77 en Tchécoslovaquie, au premier Solidarnosc en Pologne, lutte contre les guerres en Palestine, au Liban ou en Irak, etc.) ou sociétaux (féminisme ou lutte des sans-papiers à peine évoquées, écologie, etc.). À voir sur LCP et sur Dailymotion !
Alors que les effets du désastre climatique deviennent chaque jour plus évidents, qu’une gigantesque crise multiforme se précise, la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine trouve les gauches européennes divisées, souvent paralysées, presque toujours désorientées. Ainsi Alain Bihr et Yannis Thanassekos ont-ils publié un texte des plus discutable sur le site de la revue Contretemps, sous le titre « La guerre en Ukraine, le récit dominant et la gauche anti-impérialiste ». Des camarades ont souhaité y répondre dans la même revue pour exprimer d’importants désaccords et affirmer la nécessité de soutenir le peuple ukrainien face à l’agression impérialiste de la Russie de Poutine. Ce texte, intitulé ironiquement « Une gauche enrôlée dans une croisade antirusse sous la bannière étoilée ? », est signé par Sébastien Abbet, Daniel Bonnard, Geneviève de Rham, Alain Gonthier, Denys Gorbach, Robert Lochhead, Elisa Moros, Hanna Perekhoda, Philipp Schmid, Giuseppe Sergi, Daniel Tanuro, Jean Vogel et Christian Zeller.
Élaboré collectivement par des militant.e.s des cinq continents de la Commission écologie de la IVe Internationale pour analyser la crise climatique et environnementale du capitalisme et proposer une alternative écosocialiste, le dernier numéro (n°661) de la revue Inprecor constitue un document programmatique essentiel, de la taille d’un livre. Intitulé “La Destruction capitaliste de l’environnement et l’alternative écosocialiste”, ce manifeste de l’écosocialisme revient successivement sur l’accélération de la destruction de l’environnement et ses conséquences dramatiques pour l’humanité et la nature, la crise écologique en tant que résultat d’un capitalisme intrinsèquement productiviste, l’alternative écosocialiste à construire autour de revendications transitoires radicales, les débats en cours, l’issue révolutionnaire nécessaire. À lire absolument. On peut le commander à la librairie La Brèche ou le demander aux militant.e.s du NPA49.