1er MAI : J’AI LA MÉMOIRE QUI FLANCHE…
On a entendu beaucoup de bêtises sur le 1er mai depuis quelques jours. La polémique est partie de l’annonce par Sarkozy d’un grand rassemblement à Paris autour du « vrai travail » (ah bon, il y aurait un « faux travail » ?), histoire de marcher sur les plates-bandes des Le Pen qui manifestent aussi ce jour-là. La CFDT s’est empressée de dénoncer – sans les nommer clairement – les « responsables politiques » qui veulent « détourner l’objet du 1er mai », étant sous-entendu que ce dernier relèverait du domaine exclusif des syndicats (ce que la CFDT appelle « l’autonomie des syndicats » par rapport aux partis politiques). Quant à François Hollande, répliquant à Sarkozy, il aurait déclaré qu’il ne voulait pas opposer ceux qui ont du travail à ceux qui n’en ont pas (on est bien d’accord sur ce point avec lui !), à l’occasion de ce qu’il a nommé comme étant la « fête du travail » instituée par les syndicats à la fin du 19e siècle !
LE 1er MAI COMME JOURNÉE INTERNATIONALE N’EST PAS D’ORIGINE PUREMENT SYNDICALE
En effet, c’est un Congrès socialiste international (marxiste en l’occurrence) qui a réuni à Paris des syndicats mais aussi des partis ouvriers et qui a décidé en 1889 à la fois de fonder la IIème Internationale (dont l’Internationale socialiste actuelle est d’ailleurs l’héritière directe), mais aussi de lancer des grèves chaque année le 1er mai pour obtenir la réduction à 8 heures de la journée de travail (à l’époque on travaillait couramment 10 h, 12 h, voire plus, selon les pays).
Dans la tradition de la Première internationale, l’action pour une société débarrassée de toute forme d’exploitation et d’oppression unissait donc à l’origine les organisations syndicales et politiques. Ce n’est que plus tard, notamment à partir du moment où la CGT syndicaliste révolutionnaire voulut prendre ses distances d’avec le mouvement socialiste jugé trop « électoraliste », trop réformiste, que les deux structures s’éloignèrent l’une de l’autre. Par la suite également, les syndicats proches de la social-démocratie se dotèrent en 1919 d’une structuration internationale distincte ayant son siège à Amsterdam (la Fédération Syndicale Internationale), tandis que parallèlement, les partisans de l’Internationale communiste créaient l’Internationale syndicale rouge (1921-1937) qui siégea à Moscou.
À L’ORIGINE, LE 1er MAI SYNDICAL N’EST PAS UNE « FÊTE DU TRAVAIL », MAIS UNE JOURNÉE DE GRÈVE, PARFOIS RÉPRIMÉE DANS LE SANG PAR LE PATRONAT ET L’ÉTAT
Quand la IIe Internationale décida en 1889 d’organiser des rassemblements autour du 1er mai, il s’agissait de journées de lutte qui s’inspiraient du 1er mai 1886 aux États-Unis. C’est en effet pour lutter contre la montée du chômage et les bas salaires qui en résultaient, que l’American Federation of Labour décida en 1884 qu’à partir du 1er mai 1886 ses syndicats n’accepteraient pas de journées de travail dépassant les 8 heures et organiseraient des actions de grève ce jour-là. L’historien socialiste Gabriel Deville pense que le choix de la date du 1er mai correspondait au « Moving-day » en vigueur dans plusieurs États de la côte Est des Etats-Unis : c’était en effet à l’époque le point de départ de toutes sortes de contrats, ainsi que des baux de location. [1]
Le 1er mai 1886, il y eut environ 5000 grèves et 340 000 grévistes aux Etats-Unis. Par la grève, de nombreuses corporations et 250 000 salariés obtinrent ainsi la journée de 8 heures, d’autres seulement des augmentations de salaire. Même sans atteindre les 8 heures, la journée de travail diminua pour 1 million d’autres salariés. Ce résultat fut cependant entaché de sang par la répression dont furent victimes les manifestants de Milwaukee (9 morts le 1er mai) et surtout de Chicago, foyer révolutionnaire et quartier général du mouvement anarchiste. En effet, dans cette ville ouvrière, la grève et les manifestations durèrent au-delà du 1er mai, entre autres du fait du lock-out des grévistes du 1er mai par le patronat, notamment chez McCormick. C’est d’ailleurs devant cette usine que le 3 mai, les Pinkerton (la police patronale privée) et la police officielle tirèrent dans la masse des manifestants rassemblés, faisant 6 morts et une cinquantaine de blessés. En réaction, des groupes anarchistes appelèrent alors à prendre les armes, et une bombe lancée sur les policiers dans les échauffourées qui suivirent une manifestation de protestation fit 8 morts parmi eux. La ville fut alors mise en état de siège, et en représailles à l’explosion de la bombe, 4 des principaux militants ouvriers de la ville (Parsons, Spies, Engel et Fischer) furent condamnés sans preuves et pendus en 1887 (ce sont les « martyrs de Chicago »).
Désormais, aux États-Unis, et malgré une répression féroce, le 1er mai devint le point de repère des actions en faveur de la journée de 8 heures, que, par exemple, une grande partie des Mineurs finit par obtenir en 1898.
C’est explicitement en référence à ces luttes menées outre-Atlantique que le congrès socialiste international de 1889 choisit donc la date du 1er mai. En France, les premières manifestations du 1er mai eurent donc lieu dès 1890 et furent elles aussi durement réprimées, à la mesure de la peur de la bourgeoisie.
Notons aussi au passage que c’est quelques jours seulement avant le 1er mai 1919 (le premier de l’après-guerre et le plus puissant avant les grands 1ers mai de 1936 et 1937) que le Parlement français vota la loi des 8 heures, et ce n’est pas une pure coïncidence.
LE 1er MAI « FÊTE DU TRAVAIL », UNE INVENTION... FASCISTE
Ce titre peut sembler outrancier, car dès 1890 certains socialistes eux-mêmes ont évoqué l’aspect de « fête du travail » à l’occasion des grèves du 1er mai. Mais en fait, pour eux, c’était la lutte qui primait, l’aspect festif n’étant que le résultat secondaire quoique non négligeable d’une grève qui libérait momentanément l’ouvrier de l’emprise patronale. De ce point de vue, la grève générale de 1936 en France fut elle aussi vécue par des centaines de milliers d’ouvriers, comme une immense fête, une sorte de libération momentanée de l’esclavage salarié, ainsi qu’en témoigna à l’époque Simone Weil. Il n’en reste pas moins que ce sont bien les groupements d’extrême-droite fascistes des années 20 et 30 qui commencèrent à institutionnaliser le 1er mai et à le réduire à une simple « fête du travail » aux allures de collaboration de classe, associant patronat et salariat. En effet, plutôt que d’avoir à réprimer chaque année grèves et manifestations ouvrières, au 20e siècle, les régimes autoritaires tentèrent une « récupération-effacement » du 1er mai en le transformant en une fête légale, officiellement chômée, et où donc les grèves revendicatives tant redoutées ne seraient plus de mise. Notons au passage que c’est aussi à cette époque qu’en URSS, avec la bureaucratisation du régime issu de la révolution d’Octobre, le 1er mai fut réduit à un défilé civil et militaire, célébrant notamment le culte de Staline dans les années 30.
Mais c’est surtout dans les régimes de dictature de droite et d’extrême-droite que le dévoiement du 1er mai fut le plus poussé. Ainsi, en Italie, pour prendre le contre-pied du 1er mai, Mussolini (au pouvoir à partir d’octobre 1922) créa une « Fête Nationale et du Travail » le 21 avril. Cela n’empêcha pas des manifestations ouvrières le 1er mai 1923, mais la répression s’intensifia alors. Plus efficace que le régime fasciste italien dans sa lutte contre le mouvement ouvrier organisé, et dans la continuité de sa démagogie nationale-socialiste, Hitler, arrivé au pouvoir en janvier 1933, fit immédiatement du 1er mai une « Journée nationale du Travail », avec parade obligatoire sous les étendards nazis. Curieusement, dans un premier temps, les syndicats social-démocrates allemands, s’aveuglant sur le sens de cette mesure, donnèrent comme consigne à leurs membres d’y participer… Plus lucides, les communistes préconisèrent le boycottage dans leurs tracts clandestins.
LES 1ers MAI EN FRANCE, SOUS L’OCCUPATION ET DEPUIS LA LIBÉRATION
En France, c’est bien entendu sous l’Occupation nazie et le régime du Maréchal Pétain que le 1er mai devint officiellement une « Fête du Travail et de la Concorde sociale », par la loi du 12 avril 1941. Le gouvernement de Vichy, issu de la défaite, avait en effet cherché dès l’été 1940 à intégrer à l’État la partie la plus conservatrice de l’appareil syndical, notamment en la personne de René Belin, ex-secrétaire et n° 2 de la CGT. Farouchement anticommuniste, [2] Belin fut ainsi le ministre du Travail de Pétain de 1940 à 1942. Notons au passage que seules les Confédérations CGT et CFTC furent supprimées par Vichy, et que leurs structures départementales non seulement ne disparurent pas sous l’Occupation, contrairement à ce qu’on pense généralement, mais qu’ elles participèrent de fait à la Collaboration, avant d’être épurées à la Libération. [3]
Précisément, en France, la fin de l’Occupation posa le problème de ce 1er mai : fallait-il supprimer cette « fête du Travail » chômée pour rétablir le but originel (une journée de lutte), ou bien la conserver, pour garder une journée de congé ? Dans un premier temps, c’est la première option qui fut choisie par le gouvernement provisoire dirigé par de Gaulle, et où siégeaient des ministres socialistes et communistes. Ainsi, le 1er mai 1945 ne fut pas décrété fête officielle, et, après quelques tergiversations, la direction de la CGT finit par appeler à faire grève et à manifester, malgré les impératifs patriotiques (la guerre n’était pas encore terminée en Europe) et ceux de la reconstruction.
En revanche, une loi du… 28 avril 1946 fit du 1er mai de cette même année une journée chômée, et l’année suivante, en 1947, pour éviter d’avoir à voter tous les ans sur le même sujet, le Parlement adopta une nouvelle loi décidant définitivement que « la journée du 1er mai sera chômée ». Maurice Dommanget fait remarquer au passage, à juste titre, qu’aucun des six articles de cette loi ne fait mention d’une quelconque « fête du travail »… même si l’idée y était bien et que d’ailleurs la mention « fête du travail » figure toujours depuis sur le calendrier des Postes à la date du 1er mai.
De toutes ces péripéties, il ressort en tous les cas que l’officialisation du 1er mai en a largement désamorcé la portée transformatrice, voire révolutionnaire, des origines. C’est dans ce cadre-là que se déroulent désormais nos manifestations. À nous d’en retrouver l’élan originel et la clarté des perspectives : à la fois la revendication des réformes sociales d’urgence et l’affirmation de la solidarité internationale des travailleurs. À l’heure où le Capital financier nomme directement les chefs de gouvernement de plusieurs pays d’Europe, ce message est encore davantage d’actualité aujourd’hui qu’à la fin du 19e siècle.
[1] Maurice DOMMANGET, Histoire du 1er mai, Éditions de la Tête de Feuilles, 1972, page 41.
[2] Contrairement à ce qu’insinue un article du Figaro du 25 avril, qui présente sans vergogne Belin comme un militant communiste !
[3] Voir les ouvrages de Jean-Pierre LE CROM, Syndicats nous voilà !, Éditions de l’Atelier, 1995, et de Marc BERGÈRE, Une société en épuration, Presses Universitaires de Rennes, 2004.
- du vendredi 24 au dimanche 26 mars : mobilisation dans le Poitou pour la défense de l’eau à l’appel de Bassines Non Merci et des Soulèvements de la Terre. Le 24 : arrivée de tracteurs de toute la France et, le soir, Forum international sur la défense de l’eau avec des délégations de différents pays et continents. Le 25 à 10h : manifestation « Fin de chantier » et, le soir, concerts, banquets et festivités à Melle (79500). Le 26 : assemblées, tables rondes, cantines, balades naturalistes, concerts…
- samedi 25 mars de 16h00 à minuit : Fête de Lutte Ouvrière, Salle Aragon, 1 rue Joseph Bara, Trélazé (arrêt Malaquais du bus n°2).
- mardi 28 mars : grève contre la “réforme” des retraites à l’appel de l’Intersyndicale. Manifestations à 10h à Cholet (pl. Travot) et Segré (pl. du port) ; à 14h à Angers (pl. Leclerc) et Saumur (pl. Bilange).
- mercredi 29 mars à 19h : concert de solidarité avec les grévistes, salle Emstal aux Ponts-de-Cé, organisé par LFI.
- samedi 1er avril à partir de 14h30 : “Huit heures pour la Palestine” au centre Marcelle Menet à Angers.
- dimanche 2 avril après-midi : “Un autre monde est nécessaire”, initiative du Cercle 49 dans la grande salle du centre Jacques Tati de Belle-Beille (Angers). Projection du film Rosmerta.
- Voir aussi Alter49.org, l’agenda alternatif 49, et Le Cercle 49.
En août 1940, Léon Trotsky, devenu l’ennemi juré de Staline, est assassiné à Mexico par l’Espagnol Ramón Mercader. Dans un documentaire à la mécanique de thriller, « Trotsky, un homme à abattre », Marie Brunet-Debaines (réalisatrice de “L’Ombre de Staline” (2013), “Antoine de Saint-Exupéry, le dernier romantique” (2016), “John Huston, une âme libre”, etc.) revient sur cette incroyable opération commanditée directement par Staline. Elle entraîne le spectateur dans un véritable thriller historique, nourri d’images tournées dans le Mexico d’aujourd’hui, d’archives choisies et de scènes de fiction. Son film diffusé sur Arte.tv - qui par ailleurs ne prétend pas développer une analyse politique approfondie - s’appuie sur une solide documentation, puisée, entre autres, dans les souvenirs publiés par Jean van Heijenoort, secrétaire et traducteur de Trotsky de 1932 à 1939. Cette enquête haletante éclaire aussi les dernières années, intimes et politiques, de l’un des artisans majeurs de la révolution bolchevik, qui paya de sa vie son opposition à Staline.
Le 17 septembre 2022, l’ONG socialiste ukrainienne Sotsialny Rukh (SR – Mouvement Social) tenait sa conférence nationale à Kyiv. Catherine Samary revient (ICI) sur cette conférence nationale dans une longue analyse publiée sur le site de la 4e Internationale. Loin de se contenter d’un simple compte-rendu factuel et ponctuel, Catherine Samary entend éclairer ce qu’est le profil spécifique de cette jeune gauche, à partir de sa pratique militante au cœur de la société ukrainienne et en rupture avec les grandes interprétations contradictoires dominantes de « l’Euro-Maidan » (2013-2014) qui divisent la gauche et sont exploitées par Poutine.
Figure marquante de la Quatrième internationale et de mai 68, porte parole pendant trois décennies de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), député européen, Alain Krivine, c’est l’histoire d’une trajectoire qui a croisé les grands événements de l’Histoire du XXe siècle. Sans jamais renoncer à son idéal révolutionnaire de jeunesse, il n’a cessé de se battre, jusqu’à la création du NPA. À travers les récits de ses anciens camarades tels que Edwy Plenel, Michel Field, Romain Goupil, mais aussi Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Ariane Chemin, se dessine dans un documentaire de Jeanne Lefèvre, “Alain Krivine : une vie en rouge”, le portrait d’un éternel militant, qui a toujours su s’adapter aux changements du monde. On peut cependant regretter l’absence dans le film de maints combats de la LCR et d’Alain, qu’ils soient internationalistes (soutiens à la Charte 77 en Tchécoslovaquie, au premier Solidarnosc en Pologne, lutte contre les guerres en Palestine, au Liban ou en Irak, etc.) ou sociétaux (féminisme ou lutte des sans-papiers à peine évoquées, écologie, etc.). À voir sur LCP et sur Dailymotion !
Alors que les effets du désastre climatique deviennent chaque jour plus évidents, qu’une gigantesque crise multiforme se précise, la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine trouve les gauches européennes divisées, souvent paralysées, presque toujours désorientées. Ainsi Alain Bihr et Yannis Thanassekos ont-ils publié un texte des plus discutable sur le site de la revue Contretemps, sous le titre « La guerre en Ukraine, le récit dominant et la gauche anti-impérialiste ». Des camarades ont souhaité y répondre dans la même revue pour exprimer d’importants désaccords et affirmer la nécessité de soutenir le peuple ukrainien face à l’agression impérialiste de la Russie de Poutine. Ce texte, intitulé ironiquement « Une gauche enrôlée dans une croisade antirusse sous la bannière étoilée ? », est signé par Sébastien Abbet, Daniel Bonnard, Geneviève de Rham, Alain Gonthier, Denys Gorbach, Robert Lochhead, Elisa Moros, Hanna Perekhoda, Philipp Schmid, Giuseppe Sergi, Daniel Tanuro, Jean Vogel et Christian Zeller.
Élaboré collectivement par des militant.e.s des cinq continents de la Commission écologie de la IVe Internationale pour analyser la crise climatique et environnementale du capitalisme et proposer une alternative écosocialiste, le dernier numéro (n°661) de la revue Inprecor constitue un document programmatique essentiel, de la taille d’un livre. Intitulé “La Destruction capitaliste de l’environnement et l’alternative écosocialiste”, ce manifeste de l’écosocialisme revient successivement sur l’accélération de la destruction de l’environnement et ses conséquences dramatiques pour l’humanité et la nature, la crise écologique en tant que résultat d’un capitalisme intrinsèquement productiviste, l’alternative écosocialiste à construire autour de revendications transitoires radicales, les débats en cours, l’issue révolutionnaire nécessaire. À lire absolument. On peut le commander à la librairie La Brèche ou le demander aux militant.e.s du NPA49.