Capitalisme : d’où viennent les profits ?

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Selon le discours des journalistes économiques libéraux : investissement+prise de risque=profit La marchandise est présentée comme le centre de gravité de la vie humaine, faisant naître les profits et dotée d’une vie propre (« fétichisme de la marchandise »).

Pourtant la transformation des choses et finalement des êtres vivants en marchandises est un processus spécifique au capitalisme, qui n’a pas toujours existé et dont rien ne prouve qu’il continuera éternellement à exister…

Analyse de Marx : fondée sur les études des économistes « classiques » (principalement Adam Smith [1723-1790] et David Ricardo [1770-1823]), elle se développe en considérant le capitalisme à travers son fonctionnement global, ses contradictions à la fois motrices et destructrices.

Les concepts de Marx ne supportent pas les définitions fermées (et pas le catéchisme à la mode stalinienne d’antan !). Ils doivent être appréhendés par des déterminations successives, s’enrichissant l’une l’autre.


I MARCHANDISE

a) Valeur d’usage

Cette notion est d’abord qualitative. La valeur d’usage d’un objet est son utilité relativement à l’activité humaine (une fourchette pour manger, un lit pour dormir…). Point commun aux valeurs d’usage : elles sont le produit du travail humain.

b) Valeur d’échange

Cette notion est purement quantitative et renvoie à une échelle de troc ou monétaire. Aristote : 5 lits=1 maison ou 5 lits = tant d’argent. Pourtant il est « impossible que des choses différentes soient commensurables » Þ pour Aristote, c’est le « résultat du « besoin pratique » Marx : Aristote ne conçoit pas le travail comme source de valeur (ce qui renvoie à l’idéologie d’un « homme libre » dans une société esclavagiste). La valeur d’échange est le travail « socialement nécessaire ». Reste à déterminer la façon dont on peut compter ce travail…

c) Fétichisme de la marchandise

La forme « argent » (A) de la marchandise (M) dissimule un rapport social contenu dans cette marchandise. Ce n’est que dans les limites de l’échange que s’affirment les caractères sociaux des travaux privés.

d) Prix et valeur

Un écart est évidemment possible entre la valeur d’échange et le prix : « la règle ne fait loi que par le jeu aveugle des irrégularités qui en moyenne se compensent, se paralysent et se détruisent mutuellement ».


II PRODUCTION DU CAPITAL

a) Formule générale

-  Marchandise : M->A->M vendre pour acheter ;
-  Capital : A->M->A’ acheter pour vendre.

b) Formation de la plus-value

La vente en vue de l’achat, à l’instar d’un paysan vendant ses légumes pour pouvoir acheter des outils, est intéressante en ce qu’elle permet d’échanger des valeurs d’usage en excès (donc des valeurs d’échange) contre des marchandises dont on a besoin (donc des valeurs d’usage). C’est un échange d’équivalents.

En revanche, acheter pour vendre n’a d’intérêt que s’il existe une plus-value : pl=A’-A>0.

L’échange reste pourtant, globalement, fondé sur celui d’équivalents. La simple circulation des marchandises ne peut être une source de valeur. Il y a donc eu transformation de M en M’ (non équivalent) entre les opérations A->M et M’->A’. Cette transformation a eu lieu au cours du procès de production.

c) Procès de production

Les achats de marchandises par le capitaliste relèvent de plusieurs postes de dépenses :

Le capital constant (C) est consacré à l’achat de marchandises non humaines. C se décompose en :
-  capital fixe (CF) : les bâtiments et machines qui s’usent en transmettant leur valeur sur un certain laps de temps [coût d’amortissement]
-  capital circulant (CC) : les consommables nécessaires à la production (matières premières, énergie…)

Le capital variable (V) est consacré aux salaires (directs ou indirects). À quoi correspond le salaire ? À l’achat par le capitaliste de la « force de travail » du salarié. Cet achat est :
-  possible si la force de travail peut être vendue comme une marchandise. L’acheteur et le vendeur traitent en tant que personnes juridiquement égales, mais le travailleur fait l’avance de sa force de travail au capitaliste puisque son salaire n’est versé qu’après que le travail a été accompli ;
-  limité dans le temps (sinon le vendeur serait un esclave, et lui-même une marchandise) ;
-  effectif si le vendeur ne dispose pas d’autres ressources pour survivre. Il faut donc qu’existe une classe de « travailleurs libres », ce qui ne survient que dans certaines circonstances historiques. D’autre part, les moyens de subsistance que le travailleur récupère grâce à son salaire doivent couvrir à la fois des nécessités physiologiques et sociales.

La consommation de la force de travail permet la production des marchandises et de la plus-value.

d) Origine de la plus-value

Considérant le procès de production (P) au centre du cycle capitaliste A->M->P->M’-> A’, et considérant que les échanges A->M ou M’-> A’ sont des échanges de valeurs d’échange égales, on a A’>A si et seulement si M’>M. C’est donc au niveau de P que la plus-value est produite.

Ce n’est pas dans le capital constant qu’il faut chercher l’origine de la plus-value : le prix de celui-ci est simplement intégré dans le prix des marchandises. C’est donc la consommation de force de travail qui peut générer cette plus-value.

La plus-value vient simplement de ce que V ne correspond à sa valeur sociale réelle. L’échange moyens de subsistance « force de travail n’est pas équivalent (cela est rendu possible par le fait que le capitaliste a la propriété des moyens de production alors que le travailleur ne l’a pas). Le travailleur, en plus du « travail nécessaire » à sa subsistance est contraint à un « surtravail » qui produit la plus-value. Le taux de plus-value tau=pl/V est donc la mesure directe du taux d’exploitation du travailleur.

e) Quantification du surtravail

Le travailleur vend sa force de travail pour un temps donné. Au cours de ce temps, une partie est consacrée au travail nécessaire, l’autre au surtravail. Rapporté à un « temps social » du travail, le surtravail est la mesure du temps de vie aliéné par le travailleur au profit du capitaliste.

f) Plus-value relative et plus-value absolue

Le capitaliste cherche à augmenter sa plus-value. En ne considérant que le capital variable, il a deux moyens d’y parvenir :
-   allonger la durée du travail journalier : C’est la plus-value absolue.
-   diminuer le temps de travail nécessaire : C’est la plus value relative, permise par la hausse de la productivité ou une baisse des coûts des moyens de subsistance.


III CIRCULATION ET REPRODUCTION ÉLARGIE DU CAPITAL

Le livre I traite de la marchandise de façon abstraite, comme d’une donnée « objective ». Le livre II s’intéresse à la circulation et à « l’imbrication des différents capitaux les uns dans les autres », c’est à dire au « marché ».

En effet, il ne suffit pas d’arracher un surtravail au travailleur pour produire une plus-value, il faut aussi la réaliser en vendant la marchandise. La circulation des marchandises établit un lien social entre la production et la réalisation de la valeur.

C’est par la circulation que la valeur moyenne qu’est le temps de travail socialement nécessaire est déterminée, et c’est par là que la configuration cyclique du capitalisme s’établit.


IV LE PROFIT

Le livre III est resté à l’état fragmentaire. Or, c’est ce livre qui devait traiter de la « production capitaliste dans sa totalité ». Et pour ce faire, Marx l’a conçu autour du véritable moteur du capitalisme : le profit.

a) Le taux de profit

Le taux de profit renvoie à la définition classique d’un rendement :

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Taux de profit

Pour que ce rendement soit le plus élevé possible, il faut que le taux de plus value t=pl/V soit le plus élevé possible et/ou que le rapport k=C/V soit le plus faible possible.

Le taux de profit est donc fonction de deux variables pas tout à fait indépendantes : le taux d’exploitation (taux de plus-value) et la « composition organique du capital », c’est à dire le rapport k entre le capital fixe C (machines et matières premières) et le capital variable V (les salaires).

b) Influence du capital constant sur le taux de profit

À capital variable fixé, le capital constant doit être le plus bas possible pour obtenir un bon taux de profit. Pourtant, le profit a pu croître considérablement au cours de toutes les révolutions industrielles alors même que celles-ci ont nécessité des machines (capital fixe), des matières premières et de l’énergie (capital circulant).

€ capital circulant (CC)

Il est d’autant plus faible que le cours des matières premières est le plus bas possible. Le colonialisme et le néocolonialisme sont de puissants moyens pour parvenir à cette fin. L’absence de considération pour la santé des travailleurs et de la population face aux pollutions engendrées à court et long termes par l’extraction, le transport et l’utilisation de ces matières premières contribuent également à en baisser le coût.

Il est notable que le cours des matières premières influe considérablement sur la gestion des stocks (par exemple dans un conjoncture de cours durablement à la baisse, le capitaliste réduit ses stocks au maximum ; dans une conjoncture à la hausse, il va au contraire constituer des réserves) et donc l’organisation du capitalisme à grande échelle.

€ capital fixe (CF)

La recherche d’un taux de profit plus élevé pousse chaque capitaliste à acheter des machines plus efficaces afin de réaliser une plus-value relative plus importante et d’augmenter ainsi le taux de plus-value. Les machines moins efficaces achetées dans le passé sont ainsi dépréciées, en plus de leur usure propre.

Cela induit une tendance capitaliste à vouloir consommer les machines le plus vite possible afin d’en acheter de nouvelles : extension du travail la nuit ou le week-end, intensification du travail, faible durée de vie des machines…

c) Péréquation du taux de profit

En situation « moyenne » (ni pénurie, ni surproduction), le prix est donné par la valeur d’échange moyenne. Les capitalistes les plus productifs réalisent donc un « surprofit » au détriment des moins productifs. Par suite, le capital s’évade des secteurs les moins productifs et s’investit dans ceux qui offrent le taux de profit le plus élevé.

Cette évolution vers un taux de profit « maximum » unique est tempérée en cas de pénurie car les prix sont alors fixés par les secteurs les moins productifs, mais elle est accélérée en cas de surproduction.

d) Baisse tendancielle du taux de profit

La recherche de « surprofits » pour mieux résister à la concurrence pousse le capitaliste à l’achat de capital fixe : de nouvelles machines augmentant la plus-value relative et le taux d’exploitation des travailleurs. Les autres capitalistes faisant la même chose, dans le même objectif, la concurrence induit une baisse des prix.

La question est alors de savoir qui va payer cette baisse : le capitaliste (diminution ou perte de la plus-value relative précédemment acquise) ou les salariés (diminution des salaires) ?

Quelle que soit l’issue du conflit, l’augmentation de ce que Marx a nommé la « composition organique du capital », c’est à dire le rapport k=C/V, est une conséquence quasi-inévitable (C ayant augmenté, V ayant pu diminuer). La recherche du profit conduit ainsi paradoxalement à une baisse du taux de profit !

Toutefois Marx évoque des « influences contraires » qui peuvent contenir cette baisse.

L’augmentation du taux de plus-value t peut être obtenue (en fonction de la lutte des classes) par :
-   la baisse des salaires et du capital variable V (ce qui aujourd’hui peut être une baisse des salaires directs comme des salaires indirects : santé, retraites…) ;
-   l’intensification du travail (augmentation de la plus-value relative et/ou absolue). La diminution des prix des éléments du capital constant C est davantage cruciale.
-   La réalisation de surprofits peut parfois être réalisée grâce à des machines rustiques sur lesquelles travaille une main d’œuvre mal formée à très bas coût (plus-value absolue).
-   Une révolution technologique est susceptible de réduire les coûts à grande échelle, à condition de toucher l’essentiel de l’appareil productif.
-   L’extension du capital dans des zones géographiques nouvelles (mondialisation) lui permet d’écouler davantage sa production, de créer une situation artificielle de pénurie qui aligne les prix des marchandises sur leur coût dans les secteurs les moins productifs et génère des surprofits dans le reste de l’appareil productif.

La loi de la chute du taux de profit n’est donc donnée que comme une loi « tendancielle », un principe d’évolution vers un état le plus probable. Cette évolution peut être contrecarrée si le système parvient à s’étendre, mais devient inéluctable s’il ne peut plus dépasser ses limites technologiques ou géographiques.

e) Contradictions et crises

Le taux de profit étant le moteur du capitalisme, sa diminution est une menace pour son développement. Or :
-   la baisse des salaires favorise la surproduction, la baisse des prix et une baisse du taux moyen de profit ;
-   l’intensification de l’exploitation ou l’utilisation d’une main d’œuvre à bas coût se heurte aux résistances humaines et est très fragile en raison des conditions sociales et politiques qu’elle génère ;
-   la révolution technologique ne se décrète pas. De surcroît, en privatisant toujours plus les connaissances à leur profit individuel (brevets), les capitalistes mettent eux-mêmes des obstacles aux progrès scientifiques et technologiques qui pourraient naître de la mise en commun des connaissances ;
-   l’extension géographique du capital a des limites qui sont en dernière instance celles de la planète, mais qui sont aussi fonction de facteurs politiques et sociaux (ainsi, le système soviétique ne pouvait être un réel « marché » pour la production capitaliste ; l’Afrique ne l’est guère davantage) ;
-   l’exploitation effrénée des ressources de matières premières ou d’énergies fossiles conduit à leur raréfaction et donc à la hausse tendancielle des coûts des matières premières et de l’énergie (leur valeur est en effet fixée par le coût des exploitations les moins rentables, celles que le capital est contraint d’ouvrir pour étancher sa soif en matières premières et en énergie).

Ainsi, le développement même des forces productives mine le taux de profit. Les crises apparaissent dans ces conditions comme des « solutions momentanées et violentes des contradictions existantes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé ».

CONCLUSION

La production capitaliste peut être caractérisée par :
-   la concentration des moyens de production entre des mains peu nombreuses ;
-   l’organisation du travail des prolétaires en tant que travail social (coopération, division du travail, union du travail et des sciences…)
-   la création d’un marché mondial.

La recherche du profit individuel du capitaliste conduit, du fait de la concurrence, à celle de surprofits générés par une plus grande productivité et/ou une plus grande exploitation des salariés. Des contradictions croissent en retour : capital constant, surproduction ou résistances ouvrières font chuter le taux de profit moyen du capital. Des réajustements brutaux et coûteux sont alors nécessaires : les crises.

Le système capitaliste est par nature instable et ne peut survivre en vase clos. Son expansionnisme trouve pourtant ses limites ultimes dans les résistances incompressibles des humains, leur instinct de survie, et dans les capacités naturelles de la planète… Son avenir est donc hypothéqué. L’avenir tout court l’est également si aucune solution de rechange ne lui est trouvée. Socialisme ou barbarie ?

1er juin 2009