Témoignage : mon 3 mai 68…

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Un ancien militant parisien du PCF en 1968 (aujourd’hui angevin au NPA !) livre son témoignage sur la cruciale journée du 3 mai 1968, telle qu’un étudiant parisien, déjà critique sur la ligne du parti, a pu la vivre. 1er épisode !

Mon 3 mai 68…

Avant-hier mercredi, c’était le 1er mai. En fait, premier 1er mai autorisé à Paris depuis 1954. Très grosse manif dominée par le couple CGT-PCF, soutenue aussi par le PSU. J’y ai découvert un gros cortège de l’UJCML, l’Union des Jeunesses Communistes marxistes-léninistes, le groupe maoïste le plus nombreux du moment (un de mes camarades de bagne -je veux dire de khâgne - en fait partie, c’est le fils de l’ambassadeur de France en Tunisie, futur ministre des Affaires étrangères de Giscard). Leur slogan : « A bas / le régime gaulliste / antipopulaire / de chômage et de misère », n’est pas pour me choquer (ce qui me rebute, c’est leur référence assumée au stalinisme, même relooké), et qui change du refrain cégétiste, certes irrévérencieux mais totalement économiste : « Des sous Charlot [Charles de Gaulle], des sous ». Le lendemain, retour à la routine des cours dans une salle à moitié pourrie du vieux lycée Henri-IV, en plein Quartier latin. Pour moi, le rythme c’est lever à 6 h 30, café tassé, pastille de vitascorbol, course jusqu’au métro Pelleport (dans le 20e), puis cavalcade dans les couloirs d’Arts-et-Métiers pour attraper la correspondance du métro sur pneu, course à Châtelet pour monter in extremis sur la plate-forme du 47 (merci au contrôleur qui nous laisse - mon copain Jean et moi - monter à l’arrache au feu rouge en ôtant la chaîne de sécurité) qui nous dépose place Maubert, puis ascension à pied de la montagne Sainte-Geneviève pour arriver pas même essoufflés à l’heure au bahut…

Ce vendredi 3 mai après les cours, je fais le même trajet en sens inverse, comme toujours le soir sans trop de stress, et je monte aux nouvelles au local de la section du Parti (je suis militant du PC depuis mes 15 ans, en 1964). A peine entré dans le bureau du secrétaire (politique) d’arrondissement, qui est aussi député du 20e depuis les législatives de mars 1967, j’entends la secrétaire (technique - c’est elle qui tape les stencils des nombreux tracts édités par notre section) s’exclamer : « Enfin des jeunes qui n’ont pas peur de s’affronter aux flics ! ». C’est une républicaine espagnole réfugiée en France, je ne saurais dire quand, mais visiblement, bien qu’elle soit fonctionnaire du PC, elle a gardé un vieux fond anar…

Et effectivement, au Quartier latin, des étudiant-e-s lambda ont réagi spontanément à l’arrestation dans l’après-midi des militants qui occupaient la Sorbonne. Face aux lancers de grenades lacrymogènes, ils/elles ont dépavé les rues comme avant eux les révolutionnaires de 1830, 1848 ou 1871. Pour l’heure, cependant, la ligne juste du Parti, c’est la dénonciation certes du régime gaulliste qui représente les intérêts du grand Capital, des monopoles, mais aussi, dans une sorte de symétrie, les « gauchistes » provocateurs (trotskystes, anarchistes et maoïstes), et en particulier « l’anarchiste allemand Cohn-Bendit » auquel Georges Marchais, notre bien-aimé secrétaire général, fait justement ce matin les honneurs de la « une » de l’Humanité, l’organe central du Parti.

Lundi matin, à la reprise des cours au lycée, surprise ! Au tableau, juste en-dessous de la devise latine Age quod agis (Fais [bien] ce que tu fais - ça n’est pas pour me déplaire), est délicatement scotché une panoplie de CRS : casque, bouclier, matraque, uniforme et je ne sais plus quoi encore… Selon la rumeur d’H-IV, c’est une prise de guerre du vendredi soir, réalisée par les internes les plus radicaux (les maos). Je souris encore à cette évocation - c’est le dernier souvenir que j’ai emporté de ma classe prépa avant la grève générale - mais ceci est une autre histoire…

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Liens vers les autres épisodes de ce feuilleton !
-  Épisode n°4
-  Épisode n°3
-  Épisode n°2
-  Épisode n°1

Voir également les entretiens avec des militant.e.s de mai 68 mis en ligne sur le site national du NPA : https://npa2009.org/mai68

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3 mai 2018, par NPA 49