De Karachi à Bettencourt & C°...

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Grâce à Médiapart [2], le site internet lancé par Edwy Plenel après qu’il eut été chassé de la rédaction du Monde, il ne se passe pas de jours sans de nouvelles révélations sur les eaux glacées du calcul égoïste dans laquelle baignent à la fois les dirigeants de l’UMP, en particulier Nicolas Sarkozy et Éric Woerth, et les représentants les plus éminents de la haute bourgeoisie.

Au moment où le gouvernement, via l’augmentation organisée du chômage et de la précarité, la baisse des salaires et le remise en cause des retraites, veut faire payer la crise aux salariés tout en prétendant demander un « effort partagé », ces « affaires » font désordre… Le malaise est si grand depuis plusieurs semaines que certains prennent peur. Une crise de régime combinée avec la mobilisation des salariés ne va-t-elle pas remettre en cause la réforme des retraites menée sur les fonts baptismaux par É. Woerth, ministre du travail et ex-ministre du budget, encore et toujours trésorier de l’UMP ? C’est pourquoi M. Rocard (PS) choisit la journée de mobilisation du 24 juin pour juger la réforme Woerth « courageuse » et attaquer le droit à la retraite à 60 ans, pourtant officiellement défendu par son parti [3] [4]. C’est ainsi que J.-M. Colombani, ancien dirigeant du Monde, accuse à mots couverts Edwy Plenel, celui qu’il avait viré du Monde, de faire le jeu de l’extrême droite [5].

Sur la défensive, tentant par ailleurs de verrouiller encore plus les médias (en en chassant les dissidents au profit de fidèles serviteurs), F. Fillon et N. Sarkozy ont déjà sacrifié deux secrétaires d’État, C. Blanc et A. Joyandet, convaincus d’utilisation personnelle des deniers publics (cigares à 12.000€, utilisations d’un jet privé à 116.500€, et d’un permis de construire illégal près de Saint Tropez…) Mais les morceaux de choix sont encore là.

É. Woerth, l’actuel ministre du travail, est le plus menacé. L’homme qui allait jusqu’en Suisse récolter l’argent des riches pour la campagne présidentielle de N. Sarkozy semble, en tant que ministre du budget, avoir été d’une complaisance exceptionnelle envers les fraudes fiscales avérées de L. Bettencourt. Et cela pourrait bien n’être que la partie émergée de l’iceberg. L’absence de véritable contrôle fiscal de la propriétaire de L’Oréal est certes bien plus ancienne que le ministère du budget d’É. Woerth et de son successeur (le dernier contrôle remonterait à 1995 !) ou que la présence de Mme Woerth dans la société gérant la fortune de la dite propriétaire. Mais la cerise sur le gâteau que constitue le bouclier fiscal (30 millions d’euros versés par le fisc à L. Bettencourt en 2008) dessille les yeux les plus endormis. Les dons à l’UMP ou au micro-parti fictif d’É. Woerth, qu’ils soient « légaux » ou « en liquide » sous enveloppe de papier kraft [6], apparaissent en pleine lumière pour ce qu’ils sont : des contre-dons en échange de cadeaux et boucliers fiscaux bien plus somptueux faits aux super-riches grâce à l’argent de l’État.

N. Sarkozy, pourtant touché lui aussi par les révélations sur les « dons » - notamment en liquide - de L. Bettencourt, a jusqu’ici réussi tant bien que mal à échapper au maelström. C’est d’autant plus révélateur de la retenue des médias à son égard qu’il est également impliqué dans l’affaire de Karachi. Hormis Médiapart, la presse se penche très peu sur cette affaire de « rétrocommissions » pour des ventes d’armes au Pakistan qui, en 1994 sous la houlette de l’actuel président, auraient subventionné la campagne électorale d’E. Balladur [7]. Et ce, alors qu’un rapport de la police luxembourgeoise met directement en cause N. Sarkozy comme responsable du financement illicite de cette campagne grâce aux ventes d’armes – via une société écran luxembourgeoise [8]...

La lutte politique est certes affaire de débats d’idées, et non de polémiques visant des personnes. Mais le capitalisme n’est pas qu’un concept abstrait. Sélectionnant les individus et partis de pouvoir, il les transforme en exécutants zélés, acharnés à creuser toujours plus les inégalités ou à détruire de façon irréversible les vies humaines et leur environnement. La dénonciation des marionnettes Woerth-Sarkozy s’impose donc tout autant que celle du grand argentier du système UMP, le capitalisme français.

Il est malheureusement certain que l’extrême droite va tenter de se refaire une santé sur les affaires en cours. Mais elle ne pourra y réussir si le mouvement social sait engager, notamment contre la réforme des retraites, une vigoureuse et prolongée contre-offensive. Et si une véritable alternative au capitalisme se fait jour en France, en Europe, et partout ailleurs. Ce sera aussi l’enjeu des mobilisations de l’été et de la rentrée.

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6 juillet 2010, par NPA 49

[1] http://www.mediapart.fr/. Ce site d’informations sans publicité est consultable sur abonnement (9€/mois).

[2] http://www.mediapart.fr/. Ce site d’informations sans publicité est consultable sur abonnement (9€/mois).

[3] Interview de Michel Rocard par France soir, jeudi 24 juin 2010.

[4] M. Rocard a récidivé le 4 juillet en cosignant avec Simone Veil une tribune sur l’affaire Bettencourt dans le Monde, intitulée « Halte au feu ! » et appelant en quelque sorte à faire silence sur les turpitudes du pouvoir au nom de l’intérêt supérieur de la République. Traduire : de l’intérêt supérieur du grand patronat !

[5] « La Rumeur du Monde », France Culture, samedi 3 juillet 2010, 12h45-13h30.

[6] « L’ex-comptable des Bettencourt accuse : des enveloppes d’argent à Woerth et à Sarkozy », F. Arfi et F. Lhomme, Médiapart, 6 juillet 2010.

[7] Lorsque J. Chirac fut élu président, il bloqua le versement des pots de vin promis en retour aux négociateurs pakistanais. Cela aurait conduit les services secrets pakistanais à organiser en représailles un attentat qui, en 2002, coûta la vie à onze ingénieurs français.

[8] « Karachi : la police luxembourgeoise met en cause Nicolas Sarkozy », F. Arfi et F. Lhomme, Médiapart, 2 juin 2010.