Nucléaire : à propos du soi-disant « risque zéro »

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-  Alors que la catastrophe de Fukushima continue à prendre une ampleur toujours plus terrifiante, les pro-nucléaires tentent d’argumenter sur l’impossibilité de sortir du nucléaire et sur la nécessité de continuer à en prendre le risque après renforcement des conditions de sécurité et leur contrôle à un niveau international. Or ce risque est insupportable comme le montre justement Fukushima. Quant au le soi-disant « risque (quasi) zéro » de l’industrie nucléaire, c’est une manipulation du langage. Analyse.
-  Voir aussi sur le site national du NPA : Nucléaire  : une énergie marginale et en déclin (24/03/2011)

« Il n’y a pas de risque zéro » disent comme pour s’excuser les partisans de l’énergie nucléaire depuis le début de la catastrophe de Fukushima. Ainsi, continuant à traiter la question de l’accident nucléaire d’un point de vue purement technique, voyant dans le renforcement de la sécurité à un niveau international le remède qui permet de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, les auteurs d’une tribune publiée par Le Monde le 17 mars n’hésitent-ils pas à reconnaître qu’« il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire » [1] sans en tirer le moins du monde la conclusion que la raison commande de ne pas prendre ce risque...

Pour mieux débattre, il importe avant tout de clarifier la signification du mot “risque”, car il est en la matière utilisé de façon aberrante, en particulier par les médias. La confusion entre les concepts de “probabilité du risque” et de “risque” lui-même est à la base de l’expression “risque zéro”. Parce que tel ou tel accident dont les antinucléaires dénoncent la possibilité serait -selon certains experts- très peu probable, les partisans de l’industrie nucléaire en concluent que le risque serait proche du “risque zéro”. C’est là un artifice sémantique. En réalité, les accidents nucléaires constituent un risque énorme, insupportable pour l’humanité. C’est le risque de contamination radio-active et chimique pour des régions entières, voire pour toute la planète pendant des siècles et des millénaires. Faut-il prendre le risque, y compris de faible probabilité, que les surfaces habitables se réduisent comme une peau de chagrin ou de léopard au fur et à mesure des catastrophes nucléaires “imprévues” ? Que des millions de personnes doivent abandonner pour toujours leurs lieux d’habitation, là où ils ont construit leurs vies ? Que des économies actuellement interdépendantes et organisées par la méthode des flux tendus subissent durement le contre-coup d’un accident survenu dans l’une ou l’autre des 440 centrales parsemées dans le monde industrialisé ? En admettant qu’il n’y ait “pas moyen de faire autrement” au nom des impératifs économiques, ou prétendument au nom de la lutte contre l’effet de serre, il serait malgré tout légitime de se poser la question et de convoquer un débat réellement démocratique au terme duquel la décision de sortir du nucléaire pourrait être prise (ou non).

De surcroît, il y a moyen de faire autrement. Certains défenseurs du nucléaire qui se veulent de gauche argumentent sur les conséquences sociales, voire écologiques, d’un arrêt du nucléaire : hausse du coût de l’électricité, coupures mettant en difficulté les populations les plus défavorisées, insuffisances du solaire en hiver et de l’éolien en l’absence de vent, augmentation du C02 libéré dans l’atmosphère, etc. Ils oublient en passant que ce sont les travailleurs qui subissent les premiers les conséquences des accidents de l’industrie nucléaire, ainsi que l’a illustré Tchernobyl et comme Fukushima l’illustre tragiquement aujourd’hui (conséquences aggravées par le recours de plus en plus généralisé aux sous-traitants dans cette industrie). Ils oublient aussi que ce sont les populations les plus démunies qui souffrent le plus d’une évacuation et de la perte de leurs maigres biens. Ils oublient enfin que les économies d’énergie (les “négawatt”) suppléeraient largement à une industrie dangereuse qui ne fournit que 13% de l’électricité du monde et 2% de son énergie totale. Quant à l’argument sur l’effet de serre, il serait davantage audible si des efforts étaient faits pour organiser rationnellement l’économie. Une certaine localisation de la production partout où c’est possible et souhaitable, moins de camions sur les routes, une réglementation de la consommation électrique et une rupture avec le productivisme capitaliste soulageraient l’atmosphère et permettraient de laisser un peu de ressources fossiles aux générations à venir. Bien sûr, cela passe par une répartition radicalement différente des richesses afin que les populations laborieuses n’aient pas à souffrir de cette réorganisation de l’économie.

Ceux qui ne voient pas comment on pourrait sortir du nucléaire ne se rendent pas compte qu’ils acceptent ainsi que le système capitaliste continue sa course aveugle pour le profit. Les libéraux ont quant à eux une certaine cohérence. Pour eux, tout finit par se réguler. Le système corrigerait ses erreurs au fur et à mesure qu’elles se produisent. Tout serait réversible. Hélas, les morts, les vies brisées, les intoxications par pesticides ou radio-éléments, les dégradations de la nature et la disparition des espèces sont définitives. La caractéristique commune aux transformations à l’œuvre partout dans le monde est l’irréversibilité. Une énergie considérable devra être dépensée pour réparer autant que faire se peut les dommages causés par le productivisme capitaliste (et stalinien pour les pays de l’est de l’Europe). Plus nous attendons, plus la facture sera lourde, et plus nous prenons le risque de ne pouvoir la payer. A cet égard, le capitalisme comme le nucléaire sont analogues aux crédits revolving. Au début tout va bien. C’est à la fin que ça se gâte. Il faut annuler cette dette de toute urgence.

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27 mars 2011, par NPA 49

[1] Le nucléaire est un bien public mondial, Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile, avocats, et Michel Mabile, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique, LeMonde.fr du 17.03.2011