Témoignage (4e épisode) : du 30 mai 68 aux élections de juin

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Voici le quatrième épisode du témoignage d’un ancien militant du PCF en 1968 (aujourd’hui angevin au NPA !), alors étudiant parisien et déjà critique sur la ligne du parti. La période évoquée ici est celle qui a suivi le 30 mai et les élections de juin...

Du 30 mai aux élections législatives de juin… et après

30 mai : après avoir disparu des écrans radar pendant quelques heures, permettant toutes les supputations, de Gaulle réapparaît subitement avec un discours martial radiodiffusé. Il ne démissionne pas, et il dissout l’Assemblée nationale. Un peu plus tard, on saura par la « grande presse » qu’il est allé voir son copain Massu à Baden-Baden, le siège des troupes d’occupation françaises en Allemagne. Je dis « son copain », car c’est en grande partie grâce au tortionnaire Massu et au coup d’Etat du 13 mai 1958 à Alger que de Gaulle est revenu au pouvoir, après 12 ans de « traversée du désert », par la conjonction d’un coup de force des colons français d’Algérie, opposés à toute perspective d’indépendance, et d’un soulèvement militaire. Toutefois, sous la pression des réalités économiques et diplomatiques, de Gaulle trahira finalement les promesses faites alors aux « Pieds-noirs »…

Juste après le discours du général, une manifestation de 300 à 400 000 gaullistes se forme dans les beaux quartiers et déferle sur les Champs-Elysées derrière les membres du gouvernement, Michel Debré, ancien résistant, et surtout André Malraux. Ce dernier avait pourtant été un compagnon de route de la gauche dans les années 30 et l’auteur de “La Condition humaine”, le roman qui évoque la révolution chinoise des années 20. De Gaulle n’a pas encore amnistié les anciens terroristes de l’OAS - qui avaient tenté de l’assassiner ! - mais l’extrême-droite s’infiltre déjà dans le cortège. On entend en effet des groupes reprendre les slogans des antisémites des années 30, comme « La France aux Français ». Cette fois, c’est Cohn-Bendit qui est visé. Les barbouzes du SAC n’ont pas chômé pour organiser la contre-offensive de la droite face à la grève générale.

Dès le lendemain, dans mon milieu militant, tout change. D’abord, quand je monte au siège du Parti dans le 20e, il n’y a plus de paquet d’Humanité à vendre à la criée. Le responsable d’arrondissement nous informe que désormais, il faut préparer les élections. Et de fait, à partir de ce moment-là, la machine du parti fait marche arrière : plus question de continuer à impulser les grèves, il faut désormais pousser à la reprise du travail. C’est ce qui se passe notamment dans les centres de la RATP (bus et métros), où des militants du Parti annoncent dans un dépôt que les autres dépôts ont déjà repris le travail (ce qui était parfois faux, mais il n’y avait pas de portables ni d’internet à l’époque pour vérifier). Effet de démoralisation garanti.

Retour donc à la routine de la vente hebdomadaire de l’Huma-dimanche au métro Pelleport. Comme nous voulons profiter, quelques jeunes camarades et moi, de la politisation induite par la grève générale, nous installons sur notre présentoir, aux côtés de l’Huma-dimanche et de France Nouvelle (l’hebdo destiné aux cadres du parti), quelques exemplaires des brochures de Lénine que les éditions de Moscou venaient de rééditer en format de poche. Parmi elles, “L’État et la Révolution”, écrit dans la clandestinité dans l’été 1917, entre la révolution de février et celle d’octobre. C’est dans cette brochure que Lénine développe l’idée que les soviets russes (nés en 1905, réapparus en février 1917 et donc pas encore bureaucratisés) sont dans la continuité de la Commune de Paris et de son idéal d’un pouvoir exercé démocratiquement par le prolétariat.

Un matin, le secrétaire d’arrondissement, qui nous avait vu faire, et qui du coup s’était mis à lire la brochure en question, s’exclame : « Mais c’est complètement gauchiste, tout ça ! ». Cadre ouvrier du PC issu de la Résistance, militant activiste syndical et politique, il n’avait jusque là jamais eu l’occasion de se frotter à ce classique du marxisme, et c’est vrai qu’il y avait un gros décalage, pour ne pas dire plus, entre la pratique politique concrète du PC des années 60, avec comme seul horizon « la démocratie avancée [traduction libre : l’union de la gauche] ouvrant la voie au socialisme »… et la perspective socialiste révolutionnaire de Lénine. Mais, dira-t-on, la situation n’était pas la même. Certes. Mais fallait-il pour autant brader la grève générale la plus forte que la France ait jamais connue, avec dix millions de grévistes fin mai, pour une issue électorale incertaine ? En supposant que la situation n’était ni révolutionnaire, ni même prérévolutionnaire, ce qui se discutait, fallait-il renoncer à pousser la grève jusqu’au bout de ce qui était possible, par exemple l’abrogation des ordonnances de 1967 contre la sécurité sociale ?

A la fin du mois, le bilan est plus que mitigé. Sur le plan revendicatif, il y a de fortes augmentations, surtout pour les bas salaires, ce qui n’était pas du luxe - mais l’inflation en reprendra une partie, et aussi la reconnaissance officielle des sections syndicales d’entreprise, une conquête sociale durable. Au niveau politique en revanche, c’est un véritable échec pour la gauche parlementaire : aux élections des 23 et 30 juin, le parti perd plus de la moitié de ses députés, dont les deux gagnés l’année précédente dans le 20e, et la FGDS recule aussi fortement, sans pour autant que le PSU n’effectue de percée significative. C’est l’échec - provisoire - de la voie électorale au socialisme.

Dans la même période, la situation se tend en Europe de l’Est, et le 21 août les troupes du Pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie. C’est la fin du « Printemps de Prague », que je suivais avec intérêt. Le Parti « désapprouve » l’intervention, et pour la première fois depuis mon adhésion, je reçois comme tous les camarades, une sorte de « bulletin intérieur » où sont reproduits tous les documents sur la crise entre le PC tchécoslovaque et l’URSS, mais aussi les documents d’analyse divergents entre la majorité du Bureau politique du PCF et la veuve de Maurice Thorez, Jeannette Vermeersch. Celle-ci défend une position stalinienne pure et dure de soutien à l’intervention, tandis que la direction essaie de ménager la chèvre et le chou… Je me pose alors plein de questions non seulement sur la pratique du PCF et sur sa stratégie à long terme, mais aussi sur le fonctionnement de l’URSS et des « partis frères » au pouvoir dans le monde. La thématique de la déstalinisation et du rejet du « culte de la personnalité » par les dirigeants soviétiques en 1956 me semble nettement insuffisante, mais les analyses hétérodoxes de Roger Garaudy - ex-philosophe officiel du Parti qui sombrera ensuite dans le négationnisme - ne me satisfont pas plus que celles de la direction du PCF.

Je commence alors à me tourner vers ceux qui sont les seuls à avoir combattu la stalinisation de l’intérieur du Parti avant d’en être expulsés dans les années 20 ou 30, les « trotskystes ». Jusque là, je n’avais lu de Trotsky que “Terrorisme et communisme”, un ouvrage rédigé pendant la Guerre civile russe, réédité en collection de poche 10/18 en 1963 et dont je n’avais pas apprécié le caractère « autoritaire » : le chef de l’Armée rouge y préconisait en effet - dans un contexte particulier, il faut le dire - rien de moins que la « militarisation du travail » et justifiait la « substitution du pouvoir du Parti au pouvoir de la classe ouvrière » et « le rôle directeur de la minorité communiste dans les syndicats ».

J’avoue qu’alors je préférais nettement le Lénine libertaire de “L’État et la Révolution” au Trotsky autoritaire de “Terrorisme et communisme”… Mais je découvris ensuite le Trotsky prophétique de “Nos tâches politiques” (1904) qui dénonçait à l’avance les futures dérives bureaucratiques : « Ces méthodes [celles préconisées par Lénine pour l’organisation du Parti russe clandestin] conduisent l’organisation du parti à se « substituer » au Parti, le Comité central à l’organisation du Parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central »… J’entamai alors le processus qui m’amena à rompre douloureusement avec le Parti et à rejoindre en 1970 la Ligue communiste, qui se réclamait de la tradition des 4 premiers congrès de l’Internationale communiste (1919 à 1922), ceux d’avant le stalinisme.

Liens vers les épisodes du feuilleton !
-  Épisode n°4
-  Épisode n°3
-  Épisode n°2
-  Épisode n°1

31 mai 2018, par NPA 49