Hommages à Alain Krivine (1941-2022)

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Nous reproduisons ici, en provenance d’Espagne, de Russie et de France de nouveaux témoignages et hommages à notre camarade Alain Krivine décédé le 12 mars. Le NPA49 et tous les ancien·ne·s militant·e·s de la LCR49, qui ont pu le côtoyer dans les congrès, ou à Angers lorsqu’il y tenait réunion, saluent également sa mémoire. Sa cohérence, son intégrité et son incorruptibilité politiques se mariaient avec de rares qualités humaines. Nous ne l’oublierons jamais !

1. In memoriam : Alain Krivine (1941-2022) par Jaime Pastor (Viento Sur)
-  2. Ilya Budraitskis, militant russe de la IVe Internationale
-  3. En souvenir et en hommage à Alain Krivine par Charles Michaloux
-  4. Alain Krivine, tant de poings communs par Daniel Mermet



1. In memoriam : Alain Krivine (1941-2022) par Jaime Pastor (Viento Sur)

Le samedi 12 mars, après une longue maladie, Alain Krivine nous a quitté. Alain a été l’un des principaux points de référence pour toute une génération qui s’est engagée dans la lutte politique au cours de ce “long 68” qui a secoué non seulement la France mais de nombreuses régions du monde. Militant anticapitaliste depuis 1956 et dirigeant de la LC(R) depuis sa fondation en 1969, il était avant tout un exemple de persévérance, “au-delà des échecs, des déceptions et des occasions manquées” - comme il l’écrivait dans son autobiographie - dans la lutte pour la construction d’un projet révolutionnaire et alternatif à la social-démocratie et au stalinisme.

Ceux d’entre nous qui l’ont connu à partir de la fin des années 1960 se souviendront également de lui, notamment pour la solidarité dont il a fait preuve avec notre lutte contre la dictature franquiste, en étant l’une des forces motrices en France des mobilisations contre le processus de Burgos en 1970 et en participant ensuite à diverses manifestations comme celle qui s’est tenue à Madrid le 19 octobre 1976 à la faculté de philosophie de l’université Complutense en faveur de l’amnistie ; Cette participation lui vaut d’être arrêté et expulsé par la dictature, en même temps que Thierry Jouvet, accusé par le gouvernement civil de Madrid d’être venu donner “une conférence sur les tactiques révolutionnaires de mai 1968 à Paris et les nouvelles stratégies de mobilisation des masses étudiantes”. Nous nous sommes retrouvés à d’autres occasions dans le cadre d’autres activités, la plus émouvante étant sans doute sa participation à un hommage rendu à Madrid à l’un de ses grands amis et camarades, Daniel Bensaïd, décédé en janvier 2010.

Son exemple de vie restera toujours dans notre mémoire et, avec lui, cette raison passionnée qui le caractérisait de revendiquer la vieille aspiration de la Première Internationale de “changer le monde à partir de la base”.

Jaime Pastor

Este sábado 12 de marzo, tras una larga enfermedad, ha fallecido Alain Krivine. Alain fue uno de los principales referentes de toda una generación que entró en la lucha política durante aquel “largo 68” que conmocionó no sólo Francia sino muchas partes del mundo. Militante anticapitalista desde 1956 y dirigente de la LCR desde su fundación en 1969, fue sobre todo un ejemplo de perseverancia, “más allá de los fracasos, las desilusiones y las ocasiones perdidas” -como escribió en su autobiografía- en la lucha por la construcción de un proyecto revolucionario y alternativo a la socialdemocracia y al estalinismo.

Quienes le conocimos ya desde finales de los años sesenta le recordaremos también y muy especialmente por la solidaridad que mostró con nuestra lucha contra la dictadura franquista, siendo uno de los impulsores en Francia de las movilizaciones contra el proceso de Burgos en 1970 y participando luego en distintos actos como el que se celebró en Madrid el 19 de octubre de 1976 en la Facultad de Filosofía de la Universidad Complutense a favor de la Amnistía ; participación que le costó ser detenido y expulsado por la dictadura, junto con Thierry Jouvet, acusado por el Gobierno Civil de Madrid de haber venido para impartir “una conferencia sobre las tácticas revolucionarias de mayo de 1968 en París y las nuevas estrategias de movilización de las masas estudiantiles”. Hubo luego más ocasiones en las que nos reencontramos en otras actividades, siendo quizás la más emotiva su participación en un acto de homenaje en Madrid a quien fue uno de sus grandes amigos y compañeros, Daniel Bensaïd, fallecido en enero de 2010.

Su ejemplo de vida quedará siempre en nuestra memoria y, con ella, esa razón apasionada que le caracterizaba por reivindicar la vieja aspiración de la Primera Internacional a “cambiar el mundo de base”.

Jaime Pastor



2. Un message de Russie de notre camarade Ilya Boudraitskis

Une des principales caractéristiques de la longue et digne vie d’Alain Krivine a été sa fidélité aux convictions, incroyablement ferme et exceptionnellement rare à notre époque. Il y a vingt ans, lorsque j’ai rencontré Alain pour la première fois à Moscou, il était déjà une légende vivante. Pour moi et mes amis, jeunes militants de gauche, le rencontrer était une véritable rencontre avec l’histoire. Ce que nous n’avions lu que dans les livres auparavant – 1968 français, le mouvement de libération en Algérie, les mobilisations contre la guerre au Vietnam – est devenu pour nous de la chair et du sang, marquant une continuité politique dont nous pouvons être fiers. Cette rencontre avec Alain aboutit plus tard à la création du groupe russe de la IVe Internationale. Au cours des années qui ont suivi, Alain est resté en contact permanent avec nous, se rendant à de nombreuses reprises en Russie pour soutenir les campagnes de solidarité et les grèves des travailleurs. Il a visité de nombreuses régions de notre pays, et a très bien compris les conditions des gens ordinaires et les risques de la lutte politique. Et il est resté un optimiste historique, tout en conservant un « pessimisme de l’esprit ». Alain nous a raconté que sa propre formation de marxiste anti-stalinien a également commencé à Moscou, lorsqu’en 1957, alors membre de la Jeunesse communiste française, il a participé au festival de la jeunesse et des étudiants. Alors, ses yeux vifs ont rapidement saisi le fossé entre le tableau rose de la réalité soviétique que les maîtres du festival tentaient de peindre et la réalité de la pauvreté et de l’absence de droits élémentaires de la classe ouvrière en Union soviétique. Après son retour d’URSS, il rompt rapidement avec le Parti communiste français et rejoint le mouvement trotskyste. Cette honnêteté envers soi-même, ce refus de choisir entre les « camps » en compromettant ses principes politiques, reste pleinement d’actualité. La mort d’Alain est survenue pendant les jours tragiques de l’invasion impérialiste criminelle de l’Ukraine par les troupes russes. C’est une période d’épreuve pour tous ceux qui sont prêts à embrasser la bannière qu’Alain Krivine a portée pendant plus d’un demi-siècle.

Ilya Budraitskis, militant russe de la IVe Internationale

Алан Кривин прожил долгую и достойную жизнь, одна из главных черт которой – невероятно твердая и исключительно редкая в нашу эпоху верность убеждениям. Двадцать лет назад, когда мы впервые познакомились с Аланом в Москве, он уже был живой легендой и встреча с ним была для меня и моих друзей, молодых левых активистов, настоящей встречей с историей. То, о чем мы до этого только читали в книгах – французский 1968-й, освободительное движение в Алжире, протесты против войны во Вьетнаме – обрели для нас плоть и кровь, обозначив политическую преемственность, которой можно гордиться. Результатом этой встречи с Аланом впоследствии стало создание российской группы Четвертого Интернационала. На протяжении последующих лет Алан сохранял постоянный контакт с нами, неоднократно приезжал в Россию, поддерживая кампании солидарности и забастовки рабочих. Он посетил множество регионов нашей страны, и очень хорошо понимал условия жизни простых людей и риски политической борьбы. И оставался историческим оптимистом, при этом всегда сохраняя « пессимизм разума ». Алан рассказывал нам, что его собственное становление как антисталинистского марксиста тоже началось в Москве, когда в 1957 он, тогда член французского комсомола, принял участие в Фестивале молодежи и студентов. Его острый взгляд тогда быстро уловил пропасть между радужной картиной советской действительности, которую пытались рисовать хозяева фестиваля, и реальностью – бедностью и отсутствием элементарных прав рабочего класса в Советском союзе. После возвращения из СССР он вскоре порвал с французской Компартией и присоединился к троцкистскому движению. Эта честность перед собой, нежелание выбирать между « лагерями », поступаясь своими политическими принципами – полностью сохраняют свое значение сегодня. Смерть Алана пришлась на трагические дни преступного империалистического вторжения российских войск в Украину. Это время испытания для всех, кто готов принять знамя, которое Алан Кривин нес на протяжении более полувека.

Илья Будрайтскис, российский сторонник Четвертого интернационала



3. En souvenir et en hommage à Alain Krivine par Charles Michaloux

Alain a eu une vie belle et bien remplie. Pas plus que d’autres il n’était protégé contre les défaites, les revers, les déceptions, les illusions déçues. Il savait les reconnaître et les conjurer, souvent avec un humour acéré. Mais aussi, il savourait les victoires (et il y en eut !) pour alimenter sa machine personnelle à espérer, à convaincre et à se battre.

Sur tous les terrains depuis sa prime jeunesse, il militait infatigablement pour que la conviction révolutionnaire éprouvée qui était la sienne rencontre la réalité des transformations et des secousses de la société. Il était donc de tous les combats, avec une présence modeste qui forçait le respect.Tout le contraire d’un dogmatique en somme. Sa personnalité était balisée par une impressionnante fidélité et indéfectible constance, en même temps que par une ouverture d’esprit jamais en défaut et un intérêt inlassable pour ce qui était nouveau et prometteur.

Solidité de roc et flair de parfumeur, cela le caractérisait bien : les mots le faisaient sourire, mais il savait que c’était notre marque de respect et d’amitié.

Son parcours politique, sur plus de soixante années, épouse tous les grands événements politiques et sociaux après la Seconde Guerre mondiale, en France comme à l’international. Et toujours, avec le fil rouge conducteur d’une volonté de construire l’instrument nécessaire pour changer le monde, avec une même détermination de l’Opposition de gauche dans l’Union des étudiants communistes à la JCR, la LC, la LCR, finalement le NPA et toujours la IVe Internationale.

Mon souvenir d’Alain est émaillé de tant de beaux moments, qu’ils font vite oublier les autres marqués par la difficulté.

J’ai rencontré Alain pour la première fois en 1965. J’étais en terminale au lycée Voltaire ; il était mon prof. d’histoire. A l’époque j’étais à la JC (les jeunesses communistes du PCF) et lui opposant au PCF et à l’UEC. Un jour après le cours il m’invite à rester. Il me demande alors : « êtes-vous communiste ? ». Jeune et fier, je réponds : « oui, ça vous dérange ? ». Il me proposa de discuter et de là date mon engagement à ses côtés et notre amitié, jamais démentie par les désaccords et les différences dans la dernière période.

Mon souvenir lumineux commence par là. Il se conclut hélas par l’image d’une homme souffrant et diminué qui ne ressemblait plus à ce roc au flair de parfumeur.

La douleur de le perdre s’ajoute pour moi à d’autres que symbolise cette photo prise lors du rassemblement organisé par la Ligue pour célébrer le centenaire de la Commune au printemps 1971, dans le sillage de Mai 68, sur la crête de mobilisations internationales de grande ampleur. Sur cette photo se trouvent Henri Weber (qui a pris plus tard ses distances politiques en se mettant dans la roue du PS, mais qui n’a jamais dénié ses vieilles amitiés), Daniel Bensaïd (le complice et l’inspirateur de toujours), Gérard Verbizier (la conscience internationaliste de la grande famille), Alain Krivine naturellement et moi-même. Ils sont tous disparus et ils me manquent avec notre folle espérance.

Charles Michaloux


Vidéo d’hommage à Alain Krivine (cliquer sur l’image)


4. Alain Krivine, tant de poings communs par Daniel Mermet

Alain Krivine, figure historique d’une génération, ça fait statue, ça fait héros. Il était le contraire. Surtout le contraire des repentis et des renégats de notre génération, ceux qui passèrent du col Mao au Rotary. Krivine représentait les autres, bien plus nombreux, celles et ceux pour qui Mai 68 fut une répétition générale et qui ont transmis le pavé aux jeunes générations. Pas un modèle écrasant et inimitable, mais une boussole pour s’y retrouver quand le brouillard et la confusion vous embrouillent. On pourrait appeler ça le « ça ». « Ça te passera avec l’âge. » C’est le titre du livre où Krivine raconte son parcours. Et en effet le « ça » ne lui a pas passé.

Fidèle et modeste, il adorait évoquer ces rares moments de grâce où la révolte, sans prévenir, surgit spontanément et où « les gens sont quotidiennement méconnaissables ». Mais comment maintenir ces miracles ? Comment organiser, structurer, résister ? Il laisse la question sur la table et l’espoir à la fenêtre. Et là c’est à vous de choisir votre camp, soit le bout du rouleau, soit le bout du tunnel. Mais c’est clair pour nous, pour les siens, pour ses camarades, Krivine s’en va mais ce n’est qu’un début, le combat continue !

Daniel Mermet


14 mars 2022, par NPA 49