LES FILLES EN ROSE

Si les pages réservées aux tout-petits (« 1er âge ») sont généralement asexuées (tels Pif le chien, les nounours n’ont pas de sexe, c’est bien connu), et donc dépourvues de codage couleur, celles destinées aux filles sont invariablement sur fond rose, de même que la quasi-totalité de celles proposées aux garçons sont en bleu ! Que d’imagination ! Et pour les demeurés, le second catalogue ToysRus© met les points sur les i avec des mentions « garçons » en bleu ou « filles » en rose, en haut de chaque double page. Chacun chez soi, que diable !

CONDITIONNE-E-S AU PIED DU BERCEAU

Conduire (ou boire des biberons), le petit garçon n’aura pas le choix : il devra piloter (à la main, il n’a que 4 ans) une Benmobile, un Buggy, un Sky Dragon ou encore plus tard un hélicoptère de combat. Vous pourrez aussi offrir à cette graine de guerrier un superbe véhicule d’attaque lance-missile Batman, un lumineux « sabre laser ultimate » Star Wars, ou encore la panoplie complète du parfait espion junior, avec lunette espion, caméra vidéo et micro inclus… Tout un programme ! Pour celui qui aura (ou dont les parents auront) des velléités plus pacifiques, il pourra se rabattre sur le traditionnel camion de pompier, les engins de chantiers de travaux publics ou le circuit de voiture de course, mais attention, tous ces jeux sont marqués « garçons », donc filles s’abstenir, d’ailleurs c’est bien connu, elles ne sautent jamais non plus en parachute !

DES RÔLES SOCIAUX TRADITIONNELS DÉPASSÉS

Les garçons sont donc ainsi poussés plus tard vers les rôles sociaux traditionnels des siècles passés (faire la guerre, à défaut la police, conduire des voitures et autres engins mécanisés). D’ailleurs, tout le monde le sait, une femme au volant, c’est la cata assurée (sauf pour les compagnies d’assurances, pas si niaises que ça, leur ont fait jusqu’à présent des tarifs préférentiels du fait de leur nettement moindre risque d’accident, mais passons…).

Et les filles, quelle est leur destinée ? Revenons donc aux pages roses, et là tout est clair : une bonne petite fille doit apprendre d’abord à tenir sa maison (la Maison du bonheur à 49,99 euros, c’est donné ! Rattrapage pour les pauvres avec le Château de la licorne à 29,99 prix maximum, mais sans hamster - ni prince charmant d’ailleurs), se maquiller convenablement « dès 4 ans », être au jus sur le calendrier des fêtes religieuses (Calendrier de l’Avent, 14,99 euros), élever son futur poupon (mégapack landau+lit+baby coque), nettoyer la maison (kit chariot de ménage + aspirateur), faire la cuisine (cuisine loft à induction tactile avec effets sonores dès 3 ans, comme maman, on en rêve !) et, fière d’avoir accompli avec brio toutes ces tâches stratégiques, séduire son prince quand il rentrera du boulot grâce aux panoplies, au choix fée clochette (pour les écolos ?) ou Draculaura… succès assuré !

On le voit, le modèle proposé aux petites filles de façon à peine subliminale est simple : la femme au foyer, pendant que le garçon, au dehors, pourra seul explorer et affronter notre univers impitoyable. Une nuance toutefois : dans le catalogue Décathlon, une activité d’extérieur est présentée comme mixte, l’équitation, mais attention, pas question de se mélanger les casques : bleu pour les gars, rose pour les filles… et aussi rouge, pour qui donc ??? Il y a quelques années, dans certains catalogues, on trouvait pour les filles des jeux en situation de travail : la petite infirmière, la petite institutrice avec son tableau et ses craies... Certes, il s’agissait de modèles traditionnels de métiers « féminins », mais qui permettaient de ne pas cantonner la projection éventuelle de la fillette à un univers strictement domestique. De ce point de vue, on peut vraiment considérer que ce cru de catalogues de Noël constitue une véritable régression.

Ainsi, même les montres, les coffrets de pâte à modeler, les guitares, certains « jeux éducatifs » et jusqu’aux vélos sont sexuellement fléchés et peints en rose pour attirer les filles ! Chez Décathlon, on propose ainsi une patinette à 3 roues « innovante » en deux versions, dont une en rose, devinez pour qui ? Pour résumer, la fillette est destinée à devenir une bonne mère de FAMILLE, le garçon à se consacrer au TRAVAIL à l’extérieur comme chauffeur de camion, grutier ou pompier, mais de préférence comme soldat, et donc préposé à la défense de la PATRIE - sauf que l’Allemagne et l’Angleterre ne sont plus nos ennemis héréditaires préférés, que l’URSS n’existe plus, et que l’ennemi intérieur traditionnel, socialiste (au 19ème siècle), ou communiste (au 20ème) n’est plus trop menaçant, et que cette fichue patrie est aussi quelque peu dissoute dans la mondialisation capitaliste. Qu’à cela ne tienne, l’ennemi, puisque ennemi il faut pour maintenir « l’esprit de défense », sera donc forcément extra-terrestre.... Euh, travail, famille, patrie, ça ne vous rappelle rien ?

Il faut certes tempérer ce propos : heureusement, il y a aussi des jeux éducatifs ou scientifiques non balisés sexuellement (mais chez ToysRus, c’est quand même un garçon qui regarde au télescope !). Cela dit, dans aucun de ces feuillets on ne trouvera de pages « garçons » avec une cuisinière, un aspirateur ou un landau, les choses sont claires, le partage des rôles aussi.

Un dernier mot sur ce sujet : un seul et unique catalogue, celui de la chaîne U (Super U, Hyper U) a tenté de briser le schéma traditionnel en montrant des garçons jouant à la poupée et des filles avec des voitures (voir l’article de Tout est à nous ! n° 171). Mais le naturel revient au galop : sur le catalogue en ligne de cette chaîne, si la « somptueuse chambre magique pour Tori et Keira (vendues séparément) 2 en 1 » n’est pas fléchée « filles » de façon explicite, il est précisé qu’elle « comprend deux lits et deux univers pour plaire aux amies ». CQFD…

Quant à l’enseigne américaine ToysRus, il faut aller en Suède pour y trouver le seul catalogue « sexuellement neutre », nous dit le Huffington Post, qui ajoute : « La représentation des rôles attribués à chaque sexe était jugée obsolète par les consommateurs [suédois], qui signalaient que les garçons étaient systématiquement identifiés à des héros qui sauvent la planète et les filles à des princesses s’occupant sagement de leurs bébés ». On sait ce qu’il nous reste à faire.

DERNIÈRE MINUTE ! NOUVEAU : LA BD SEXUÉE

Les éditions Bamboo (« les BD qui vous ressemblent ») viennent de sortir leur catalogue spécial « BD Filles » : la une nous propose la série « Studio Danse » en rose et mauve, et la page 6, sur le thème « à chacun son coffret » (texto) nous propose le coffret fille « Studio Danse » - en rose il va de soi -, le coffret garçons « les gendarmes », inévitablement en bleu (tout un programme !)… et un coffret « les Dinosaures » (c’est un peu méchant, mais, symboliquement, nous pensons queça irait très bien aux concepteurs de cette pub !).

CONCLUSION : il paraît que le nouveau gouvernement à direction autoproclamée « socialiste » veut lutter contre le sexisme, il va avoir du boulot, et nous aussi !