Complémentarité public-privé, quand tu nous tiens…

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De l’inauguration de l’ESEO en octobre à Angers au projet de loi d’orientation en décembre, les responsables locaux ou nationaux du PS multiplient les clins d’œil à l’enseignement privé. Comme si, du primaire au supérieur, privé et public étaient vraiment “complémentaires”... Analyse.

Après que les salariéEs de Thomson eurent organisé le procès symbolique de leurs dirigeants voyous, le 5 octobre 2012, place du Ralliement à Angers, la ministre des PME fit une brève apparition pour assurer ces mêmes salariéEs des regrets éternels –et impuissants– du gouvernement. Mais ce bref instant d’émotion commandée n’était qu’une étape contrainte dans la journée de Fleur Pellerin. L’objet véritable de son périple était un peu plus loin, sur le plateau des Capucins. Il avait pour sigle ESEO et pour fondateur le chanoine Janneteau. Les nouveaux bâtiments ultramodernes et très privés de l’École supérieure électronique de l’Ouest, construits à grands frais des collectivités territoriales publiques, [1] y étaient inaugurés en présence de l’union sacrée des élus locaux, de C. Béchu (UMP/Conseil général) à J.-C. Antonini (PS/agglo). La représentante de l’État présida sans état d’âme à ces festivités œcuméniques…

Au-delà de cette anecdote inaugurale, une vieille complicité entre les élites provinciales PS et UMP et les responsables de l’enseignement privé s’affiche de plus en plus ouvertement. Cet affichage s’inscrit lui-même dans un appétit de plus en plus affirmé des collectivités vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Dans les récentes « Assises » universitaires organisées dans la plus grande indifférence par le Ministère (MESR) autour de questions fermées (et contenant déjà les réponses attendues), les régions ont confirmé leur désir de dirigisme dans ce domaine. Partout, il est question de nouvelles étapes dans la décentralisation, d’universités mises en réseau régional dans le cadre d’une « complémentarité » entre établissements. Cela pose la question des formations que pourraient ouvrir ces établissements (appelés à se spécialiser, probablement selon les desiderata des élites et des entreprises locales ; l’offre de formation de service public ne serait plus guère assurée qu’à une échelle régionale [2]). À l’Ouest, cette question est doublée par celle de la « complémentarité » avec le privé, déjà systématique dans le primaire et le secondaire, et maintenant revendiquée dans le supérieur. La part régionale du financement de la recherche est depuis longtemps soumise aux caprices des modes ou aux lobbys locaux, et le privé s’y taille une part démesurée eu égard à ses faibles capacités. À Angers, on a déjà connu l’accord de dupes entre l’Association St Yves et l’Université (UA), en vertu duquel les deux établissements UCO et UA s’engageaient à ne pas ouvrir de filières concurrentes (que la Catho s’est empressée de transgresser). Aujourd’hui, d’aucuns rêvent d’un « technocampus » autour de l’ESEO impliquant la délocalisation de composantes du site de Belle Beille (ISTIA, parties de l’IUT et de l’UFR sciences). [3] Dans le monde idéal des gestionnaires PS et UMP, privé et public travaillent main dans la main et l’impôt est destiné à financer à parts égales le public et le privé (cependant, le Conseil général à majorité UMP préfère largement le privé !)

On aurait tort d’attribuer cette collusion coupable au seul provincialisme (certes bien réel) de “nos” élus. Le projet de loi d’orientation du ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, présenté le 14 décembre au Conseil supérieur de l’Éducation montre qu’elle s’étend jusqu’au sommet de l’État. Les articles consacrés aux futures Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) remplaçant les IUFM offriraient légalement au privé la possibilité de délivrer des diplômes de master d’enseignement à la seule condition d’avoir passé convention avec les ESPE. [4] Ainsi serait remis en cause le monopole de collation des diplômes qui est celui de l’Université depuis les lois laïques de la troisième république. [5] Nul doute de surcroît que la rédaction des articles a soigneusement été pesée par le pouvoir et ne doit rien au hasard. Hélas, hormis peut-être Sud, la CGT, FO qui ont voté contre le projet de loi (et le SNESUP-FSU qui avait claqué la porte avant le vote), cela ne choque plus grand monde. Même la FSU s’est contentée d’une piteuse abstention. [6] Comme si le service public n’était déjà plus qu’un souvenir... Vous avez dit « complémentarité » ?

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26 décembre 2012, par NPA 49

[1] Les nouveaux locaux, situés sur la ligne de tramway (à moins que ce ne soit l’inverse ! Rappelons que la ligne ne passe justement pas par Belle Beille, où se trouvent les UFR Sciences, Lettres et l’IUT), peuvent accueillir 1250 étudiants sur une surface de 14.000 m2. Ils ont coûté 30 M€ dont 18 M€ à l’argent public (Région, Agglo et Conseil général à égalité), le Crédit Agricole et la Caisse des dépôts et consignations complétant le montage financier. Les anciens locaux ont été « revendus » à l’Association St Yves (la Catho) pour la modique somme de 4,4 M€.

[2] Si l’ouverture de certaines filières était limitée à telle ou telle université, l’éloignement au domicile familial des étudiantEs s’en trouverait généralement augmenté, créant un obstacle supplémentaire à l’accès aux études supérieures, notamment en premier cycle et pour les étudiantEs issuEs des couches sociales les plus démunies.

[3] Le Conseil de l’UFR Sciences vient de voter une motion exprimant son désaccord avec cette éventualité.

[4] Même si, dans un premier temps, le ministère prétendra probablement qu’il n’est pas question de passer de convention ESPE-privé, le texte permettra ultérieurement de le faire, dès lors que cela sera politiquement possible...

[5] Rappelons qu’en raison de la loi du 10 juillet 1896 qui confère l’appellation et le statut d’université au corps formé par la réunion de plusieurs facultés d’État dans un même secteur, une école privée comme la Catho à Angers ne peut être considérée comme une université. Elle ne peut, jusqu’à présent, délivrer directement des diplômes. Seuls des jurys rectoraux ou présidés par des universitaires dans le cadre de conventions avec des universités partenaires délivrent leurs diplômes aux étudiantEs de cet établissement à vocations essentiellement lucrative et idéologique.

[6] Ont voté pour la loi les syndicats Unsa, Cfdt (Sgen et Fep), Snalc, les parents de la Fcpe, les lycéens de l’Unl et les étudiants de l’Unef ainsi que la Ligue de l’enseignement.