Loi Fioraso : LRU n°2 en vue pour l’université

Partager

Même si la ministre Fioraso n’a pas réussi à faire approuver par le CNESER sa « Loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche », celle-ci sera bientôt soumise au parlement. Or, cette loi ne remet pas en cause la loi LRU de Sarkozy-Précresse qui permet toujours davantage de soumettre les universités aux pressions du patronat, d’en changer les missions, d’inverser le processus de démocratisation du savoir universitaire. En "territorialisant" les universités, la loi Fioraso se révèle une véritable LRU n°2 aux effets potentiels particulièrement délétères. Analyse.

Peu d’universitaires s’attendaient vraiment à ce que le nouveau gouvernement rompe avec les politiques de droite dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Ne furent-elles pas portées par C. Allègre dans le cadre du processus de Bologne, même si en 2007, au moment du passage de la loi LRU au parlement, le PS avait finalement voté contre (tout en se disant favorable à une « autre » autonomie des universités) ? Beaucoup espéraient néanmoins une inflexion significative de la loi LRU, par exemple en garantissant une évolution des budgets des établissements conforme à l’évolution de leurs charges, comme promis durant la campagne pour les présidentielles.

La « Loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche » de Geneviève Fioraso, loi d’orientation et non de programmation, ne l’envisage même pas. Elle est présentée comme le résultat des « Assises » de l’ESR organisées à la rentrée. [1] Mais elle rappelle assez peu les préconisations issues de cette pseudo consultation, alibi d’autant plus aisément falsifiable qu’elle n’intéressa qu’une poignée de responsables ou de syndicalistes. Conformément à ce qu’on pouvait attendre de « Miss Dollar » - ainsi que ses collègues de startup l’avaient autrefois surnommée - le projet de loi présenté au CNESER dans sa version du 8 février peut d’emblée être renommé de façon synthétique : LRU2. L’acronyme LRU reste parce que la loi LRU demeure, et d’abord les fameuses « responsabilités et compétences élargies » qui permettent à l’État de précipiter les établissements dans le déficit budgétaire et donc dans leur hétéronomie (dépendance aux entreprises, aux collectivités locales…) Le chiffre 2 s’impose parce que la loi va encore plus loin dans la soumission du service public national aux intérêts privés et dans sa « territorialisation ».

Des universités aux ordres du MEDEF et des Régions

Dès l’art. 3 en effet, il est question de « stratégie nationale » définie « en concertation avec les partenaires sociaux et économiques », c’est-à-dire le MEDEF. La loi Pécresse prévoyait une contribution de l’ESR à la « croissance […] dans le cadre de la planification ». La loi Fioraso supprime toute référence à la planification, en ajoute une à la « compétitivité » et encore une autre à « l’attractivité du territoire ». La LRU demandait aux établissements de contribuer à une « politique de l’emploi prenant en compte les besoins actuels ». La LRU2 précise qu’il s’agit des « besoins des secteurs économiques », sans doute afin d’éviter que l’on puisse penser qu’il s’agirait des besoins de la population… De même, loin de renoncer à la « valorisation des résultats » de la recherche, elle veut accélérer leur « transfert […] vers le monde socio-économique ». Mais c’est par la fusion ou le regroupement obligatoire des universités par « territoire » (académique ou inter-académique) que la LRU2 s’attache le plus à faire reculer le service public, notamment de proximité. Il s’agit que les établissements « coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert » (art.39). En clair : les universités doivent réduire leur voilure et les étudiants prendre le TER. Mais la loi vise plus haut, qui prévoit aussi la suppression de l’habilitation nationale des diplômes et des formations (qui sous entendait leur financement national) ; c’est l’établissement qui sera « accrédité » à délivrer les diplômes nationaux pour la durée d’un contrat pluriannuel passé par l’État avec le regroupement d’universités. Or, ce contrat pourra associer les collectivités en prenant « en compte les orientations fixées par les schémas régionaux » (art. 39). Étant donné que ceux-ci visent à la « spécialisation intelligente des territoires » et que l’acte III de la décentralisation doit accorder aux élites provinciales (qu’on sait perméable aux injonctions marchandes et productivistes) [2] le copilotage de la carte des formations, c’est la croissance des inégalités interrégionales et une mise sous tutelle du MEDEF des formations et de la recherche qui sont ainsi programmées.

Une « gouvernance » sous haute surveillance

Le pouvoir de l’État, des régions et du patronat sur les universités est renforcé par la LRU2. Ainsi – ce à quoi V. Pécresse avait dû renoncer – les personnalités extérieures, un quart du CA de l’université, vont-elles participer à l’élection du président par ce CA. Dans une première version c’était le recteur qui les nommait. Dans la dernière, à côté des représentants des collectivités, le président du CESER [3] désigne (au moins) un porte-glaive patronal et un portefaix syndical (CFDT ?). Pour le reste, le pouvoir absolu sur les établissements accordé aux présidents par la LRU n’est pas remis en cause, à quelques aménagements près. Les conseils sont un peu plus achalandés mais la sous représentation des enseignants-chercheurs de rang B et surtout des personnels techniques et administratifs est maintenue. Les listes doivent être paritaires en genre mais c’est une gageure pour le corps des professeurs d’université tant que moins d’un quart des postes sont laissés aux femmes. La prime majoritaire accordée aux listes d’enseignants-chercheurs arrivées en tête lors des élections n’est plus que d’un siège (sur 6 à 8 sièges, contre 3 à 4 précédemment, sur 5 à 7 sièges), mais les élections pourront comporter deux tours. Le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire disparaissent, ou sont rebaptisés commissions « de la recherche » et « de la formation et de la vie universitaire » (études devient formation), au sein d’un conseil académique qui acquiert quelques pouvoirs autres que consultatifs en matière d’examens, de recrutement, de section disciplinaire de façon à décharger le CA. Ce conseil académique a son propre président et un vice-président étudiant désignés selon des modalités statutaires de l’établissement. Certes, la « désignation » peut se faire par une élection. Ce sera d’ailleurs obligatoirement le cas pour le président du conseil académique des « communautés scientifiques », une des deux possibilités de regroupement territorial laissées aux universités (avec le rattachement à une université phare) et qui succèdent au PRES. Mais les instances de ces communautés ne comprendront guère qu’une minorité d’élus des personnels…

La course à l’abîme continue… Jusqu’à quand ?

En rien, la LRU2 ne remet en cause le recul démocratique de la LRU, non plus que l’empilement des couches bureaucratiques de pouvoir. L’agence d’évaluation (AERES) devient haut conseil (HCERES) mais sans plus. Les deux leviers de la soumission de la recherche aux intérêts privés à court terme, l’agence nationale de la recherche (ANR) et le crédit impôt-recherche, en sortent indemnes. Le catalogue à la Prévert des autres mesures de la LRU2, notamment celles à vocation prétendument pédagogique, est à l’avenant. Finalement, cette loi ne fait que confirmer l’étroitesse d’esprit des dirigeants du PS, dont le seul horizon de pensée semble être de se vautrer dans les suicidaires concurrence, compétitivité et productivisme capitalistes. [4] L’université du savoir, de l’esprit critique et de la démocratisation des connaissances exige une autre loi et… une véritable opposition de gauche à ce gouvernement.

****************************

Quelques sigles universitaires :
-  AERES : Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur
-  ANR : Agence nationale de la recherche
-  CA : Conseil d’administration
-  CNESER : Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche
-  EPCSCP : Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (dont les universités)
-  LRU : (Loi relative aux) libertés et responsabilités des universités

13 mars 2013, par NPA 49

[1] de façon très hiérarchique, en un temps record, autour d’un questionnaire fermé excluant les questions qui fâchent comme le budget et la précarité.

[2] Il suffit pour le démontrer de se référer à la région Pays de la Loire qui veut à toute force et à coup de coûteuses campagnes de propagande offrir un aéroport à la multinationale Vinci, quitte à bétonner la zone humide préservée de Notre-Dame-des-Landes et contribuer à la production de gaz à effet de serre !

[3] Conseil économique, social et environnemental régional

[4] Politique “socialement injuste et écologiquement criminelle” selon la caractérisation par Daniel Tanuro de la stratégie social-démocrate de relance du système capitaliste.