Contre la “réforme” du collège, les enseignant(e)s dans la rue

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À Angers mardi 19 mai, entre 300 et 400 enseignant(e)s, dont beaucoup de jeunes, ont manifesté dans la matinée contre la “réforme” gouvernementale du collège à l’appel de l’intersyndicale FSU, FO, CGT et Sud.

À Angers, certaines enseignantes étaient très visibles : enseignantes de latin-grec, elles portaient sur la tête des casques de hoplite grec ou de légionnaire romain, qui ont fait la joie des photographes de presse. Il y avait aussi une banderole faite main des enseignants des classes bilangues, mais seulement une banderole d’établissement (le collège Georges-Gironde de Segré). Les taux de grévistes des établissements représentés tournaient autour de 30-40 %. Après les prises de parole des syndicats (FO, SNES, SNEP, SUD-Educ, CGT, CNT, SNALC) devant la Bourse du Travail, les enseignant(e)s ont défilé jusqu’à la préfecture de Maine-et-Loire en traversant le centre-ville. À la fin, une vingtaine de collègues du collège de Saint-Barthélemy-d’Anjou ont profité de la mobilisation pour dénoncer l’expulsion programmée d’une élève de 3e originaire de l’Angola (il y avait déjà eu une mobilisation – provisoirement - victorieuse pour la même élève et sa famille l’an dernier à la même époque).

ANALYSE

La « réforme collège 2016 », portée par l’actuelle ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, est un projet de casse de l’éducation.

Elle prévoit une réduction drastique des heures d’enseignement disciplinaire. Les élèves de 3e en perdraient 6 heures et demi par semaine. Par conséquent, les nouveaux programmes scolaires qui accompagneraient cette réforme seraient allégés. Par exemple, alors que l’extrême-droite monte en puissance en France aujourd’hui, le programme d’histoire de 3e n’intègrerait plus explicitement la France de Vichy et la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Ainsi, la « réforme Collège 2016 » enterrerait le projet d’un collège unique qui dispense une éducation de qualité et ambitieuse pour toute une classe d’âge.

La fonction des enseignements disciplinaires serait réduite à la transmission d’un socle commun minimaliste qui ne constituerait en aucun cas un capital culturel suffisant pour l’émancipation intellectuelle. Seuls les enfants qui ont un cadre familial favorisé, qui ont la possibilité d’avoir accès à des cours particuliers ou qui sont envoyés dans des établissements publics ou privés « prestigieux » pourraient profiter d’une éducation disciplinaire d’excellence.

À la place des heures disciplinaires, la « réforme du collège » prévoit l’instauration des « Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) » et d’une « Aide personnalisée (AP) ».

C’est le cœur de la réforme. À partir de huit grands thèmes, très vagues, le contenu des EPI seraient définis localement par une poignée d’enseignants obéissants ou contraints autour d’un chef d’établissement tout puissant. C’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi.

C’est aussi la porte ouverte à la promotion de la sélection précoce au sein des collèges.

Les élèves les plus en difficulté seraient orientés sur des projets techniques et professionnalisants. À l’inverse, les « meilleurs élèves » seraient orientés sur des projets à forte valeur ajoutée intellectuelle qui compenseraient, en partie, la perte des horaires disciplinaires et l’allègement des programmes. Cette « autonomie » ouvre également la porte à une mise en concurrence des enseignants entre eux au sein des établissements pour obtenir des heures ou du moins pour ne pas en perdre. Enfin, une concurrence s’installerait entre les collèges qui proposeront chacun leur palette de projets.

En ce qui concerne l’AP, ce dispositif existe depuis plusieurs années au lycée et il a d’ores et déjà prouvé son inefficacité. Faire de l’AP avec des groupes de 15 élèves ou plus est totalement absurde. Les difficultés scolaires doivent être réglées dans la classe, lors des cours disciplinaires, grâce à des effectifs réduits et à des moyens matériels et humains importants.

Ainsi, la « réforme Collège 2016 » enterrerait le projet d’un collège unique qui dispense une éducation égale pour toute une classe d’âge.

Ce serait la naissance d’un collège à la carte qui offrirait un enseignement différencié aux élèves selon leur niveau et où les professeurs bricoleraient des EPI en se marchant les uns sur les autres. L’interdisciplinarité n’est pas une mauvaise chose en soi. Elle peut être très intéressante. Mais elle ne doit en aucun cas être promue de cette manière, au détriment des disciplines, quasiment sans aucun cadrage national, au service de la sélection, de la concurrence et sans moyens supplémentaires.

L’entreprise de destruction de l’éducation programmée pas cette réforme ne s’arrête pas là.

En effet, sont prévus la quasi disparition des options Latin et Grec ouvertes à tous les élèves. Elles seraient remplacées par un EPI « Langues et cultures de l’Antiquité » dont le contenu serait défini localement avec une dotation horaire insignifiante. En parallèle, l’éducation musicale et l’art plastique seraient « globalisés » sans garantie de maintien des horaires, sans savoir si les élèves pourraient bénéficier de ces deux enseignements créatifs et émancipateurs et sans savoir si l’enseignement serait dispensé par un professeur spécialisé. Cela serait encore une fois défini localement. La logique est la même pour les « sciences » en classe de 6e. SVT, physique et technologie seraient « globalisées ».

Enfin, l’introduction de le seconde langue vivante en 5e s’accompagnerait bien entendu d’une réduction du nombre d’heures de langues vivantes durant tout le collège. Les professeurs de langues auraient plus de classes et cette surcharge de travail serait préjudiciable à la qualité de leur enseignement. Au passage, les langues régionales et l’allemand passent silencieusement à la trappe. Ainsi, la « réforme du collège » enterrerait définitivement le projet d’un collège unique qui propose à tous les élèves des options enrichissantes, des cours créatifs ou scientifiques enseignés par des professeurs qualifiés et des langues vivantes plurielles synonymes d’ouverture sur le monde et de multiculturalisme.

La question qui demeure en suspend est : dans quelle logique globale cette réforme s’inscrit-elle ?

L’idée du pouvoir socialiste est la même que celle de la droite qui l’a précédé. Le but est de créer un collège public dépouillé, peu coûteux, qui offre à une majorité des élèves une culture minimaliste et qui leur enseigne de plus en plus la technicité au détriment de l’apprentissage d’un esprit critique afin d’être de « bons travailleurs » dans un avenir proche. Seule une minorité d’élèves privilégiés continueront à obtenir un enseignement un minimum ambitieux au sein du collège public. En parallèle, les enseignants sont mis au pas à coup de conditions de travail de plus en plus dégradées. L’austérité et la formation d’une future main d’oeuvre docile (de surcroît à l’aide de cours de moral) et moyennement qualifiée selon les besoins du patronat guident les pas du pouvoir politique depuis plusieurs années. La symétrie avec le modèle éducatif public étasunien est criante. Ainsi, l’enjeu est éminemment politique et idéologique. Voulons-nous d’une école soumise à l’idéologie libérale et aux besoins à court terme des capitalistes ou voulons une école émancipatrice qui cultive la culture critique pour tous ?

Derrière la réponse à cette question se dessine un choix de société et si votre réponse est identique à la notre, debout chers collègues, debout chers parents d’élèves ! Organisons des Assemblées générales dans les établissements scolaires. Votons la grève ! Manifestons tous ensemble ! Organisons des actions à la hauteur de nos espoirs dans l’éducation ! Finalement, à ceux qui seraient convaincu mais tentés par la résignation, nous ne pouvons que leur proposer d’ouvrir à nouveau un bon livre d’histoire. La lutte paie et elle est consubstantielle au genre humain.

Johan Paris et Léa Tornare, professeurs d’histoire-géographie révoltés

19 mai 2015, par NPA 49