Poussée du FN aux Régionales : la nature a horreur du vide

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Lundi dernier, pour une fois, Le Figaro et L’Humanité étaient d’accord. Ces deux quotidiens ont titré à propos de la poussée du FN au premier tour des élections régionales : « Le choc ». Pourtant, pour qui suit la vie politique et sociale en France depuis un peu plus longtemps qu’avant-hier, ce prétendu choc était plutôt prévisible. Comment attendre un autre résultat étant donné le bilan des politiques suivies par les partis institutionnels, de droite et de gauche, depuis des décennies, notamment depuis le premier « choc » (tiens donc !) pétrolier de 1973 ?

1 - La carte du vote FN est liée à celle du chômage

Si l’on compare la carte nationale des votes en faveur du Front National ou celle - régionale - publiée dans Ouest-France du mardi 8 décembre, par communes d’une part, avec celle du chômage, publiée dans Le Monde du 5 décembre, la coïncidence saute aux yeux. A la fois à l’échelle des grandes régions, mais aussi dans le détail. Ainsi, bien que les Pays de la Loire soient moins touchés que la plupart des autres régions (ce qui explique la résistance relative des votes PS et LR), on voit bien la correspondance entre le fait que le FN soit arrivé en tête dans la Sarthe et le taux de chômage qui y règne, le plus fort de la région en 2014 selon l’INSEE (près de 10 %, soit la moyenne nationale). Même chose, dans une moindre mesure, sur le littoral vendéen1 ou encore à Trélazé. L’échec - sans surprise pour nous - du gouvernement à endiguer la progression du chômage de masse a alimenté celle du FN.

2 - La « poussée » du FN est due en partie à l’abstention à gauche, mais aussi au siphonnage de la droite traditionnelle

En Maine-et-Loire, par rapport aux élections régionales de 2010, le FN a triplé ses voix en pourcentage, passant de 7 à 21 %, mais aussi en chiffres absolus, de 20 000 à 60 000. Mais en fait, le véritable « choc » s’était déjà produit aux élections départementales de mars dernier, qui ont vu le FN se hisser aux alentours de 25 % et se permettre, pour la première fois dans l’histoire politique du Maine-et-Loire, d’être au 2e tour dans 7 des 21 cantons du département. Et si l’on remonte plus loin, par exemple aux régionales de 1998 (sous Jospin), avec un taux de participation de 57 %, le FN n’avait fait « que » 9 % en Anjou (un peu moins de 24000 voix), mais la droite (présente sous deux listes, RPR + UDF) avait obtenu 114000 voix (43 %), la liste du PS 40 000 voix (15 %) et l’extrême-gauche (en l’occurrence seulement LO) 11800 voix (4,5 %). Cette fois-ci, avec seulement 50 % de votants, le PS a obtenu environ 65 000 voix (25 %), ce qui est nettement mieux, surtout après deux mandats à la tête de la région, alors que la droite unie (LR-UDI-Modem) doit se contenter de seulement 88 000 voix (-26 000) et 33,7 % (-9,3 %). A noter que la liste écologiste avait fait 16 % en 1998, contre 8 % cette année. On peut donc en déduire que par rapport à 1998, le PS a largement siphonné, une fois de plus, l’électorat des Verts, et le FN celui de la droite traditionnelle. De fait, la carte FN + droite traditionnelle d’aujourd’hui correspond à la carte de la droite traditionnelle d’il y a 30-40 ans : les campagnes profondes, les Mauges, le pourtour rural déshérité du département, rongé par le chômage et la disparition progressive des services publics, avec une population vieillissante habituée à voter davantage que les jeunes.

3 - Dans les quartiers populaires des villes, le FN progresse en pourcentage, mais pas forcément en nombre de voix

Certes, la soi-disant gauche représentée par le PS résiste mieux globalement dans les villes que dans les campagnes, mais c’est aussi un trompe-l’œil. En effet, si les analystes ont pu à juste titre signaler que la gauche, toutes tendances confondues, était à nouveau majoritaire à Angers près de deux ans après la prise de la mairie par la droite, il n’en reste pas moins que la situation n’est pas brillante. Ainsi, dans les bureaux de vote qui assuraient autrefois la majorité à l’ancien maire socialo-centriste Jean Monnier (ancien responsable de l’UD CFDT), on constate que l’abstention, qui y était globalement majoritaire dimanche dernier, atteint et dépasse parfois les 70 % (bureau 204, Ecole Jean-Jacques Rousseau à la Roseraie : 72,7 % d’abstentions, bureau 405, Ecole Nelson Mandela à Verneau-Hauts de Saint Aubin : 70 %, et bureau 513, Ecole Paul Valéry à Monplaisir : 70 %), alors que dans ceux des quartiers bourgeois du centre-ville, ou pavillonnaires, le taux de participation ne descend guère en-dessous de 50 % et culmine à 58 % (bureau 108, David d’Angers), voire 59 % (Ecole Condorcet, bureau 113). Globalement, la petite et la moyenne bourgeoisie, les classes dites moyennes, votent deux fois plus que les classes populaires, et plus particulièrement que la classe ouvrière au sens étroit.

Ainsi, comme le note Ouest-France dans son édition du 8 décembre, à Angers, c’est là où le taux d’abstention est le plus élevé, à la mesure de la misère régnante, dans les HLM de Monplaisir, que le FN fait son meilleur score, approchant les 25 % et talonnant la droite. Mais si le FN y fait plus de 27 % dans le bureau 513 (bureau 108 en 2012), il n’y obtient que 76 voix, devant la liste de droite (71 voix), mais derrière celle du PS (87 voix), et surtout avec un tiers de voix en moins que les 115 obtenues par Marine Le Pen, soit 7,39 % des électeurs inscrits contre 10,09 % en 2012. Il ne faut cependant pas s’en réjouir, car cela veut dire aussi que le FN résiste mieux à l’abstentionnisme que le PS, qui est lourdement sanctionné et passe, lui, de 326 voix pour Hollande en 2012 à 87 voix aux régionales, soit une perte de près des trois quarts des voix. Concernant l’évolution du Front de Gauche, il n’est pas possible de faire des comparaisons, puisqu’il n’y a pas eu d’accord entre ses différentes composantes pour ces élections régionales, faute de position commune au sujet de l’avenir de Notre-Dame des-Landes. Remarquons quand même dans ce bureau le hiatus entre le vote Mélenchon de 2012 (81 voix, 9,03 %) et le score de la liste PCF (12 voix et 4,27 %), soit une perte de 85 % des voix en chiffres absolus.

4 - La force du FN est faite de l’effondrement idéologique et organisationnel du mouvement ouvrier

Depuis la seconde moitié du 19e siècle, le mouvement ouvrier (au sens large de mouvement d’émancipation des travailleurs salariés par rapport au capitalisme) s’est développé simultanément dans la perspective de la révolution démocratique et sociale, perçue comme plus ou moins proche, et dans le combat quotidien pour des réformes sociales (hausse des salaires au détriment de la plus-value extorquée par les capitalistes, réduction de la durée de la journée et de la semaine de travail, congés payés, assurances sociales, etc.). Après la première Guerre mondiale et la division entre socialistes et communistes, seuls ces derniers ont conservé - jusqu’en 1935 - la perspective révolutionnaire, les socialistes dits « réformistes » se contentant dorénavant d’aménager le système capitaliste, en sanctionnant les luttes ouvrières par des avancées sociales parfois substantielles (comme la semaine de 40 heures et les congés payés en 1936, obtenus sous la pression de la grève générale, et alors que ces revendications figuraient certes au programme de la CGT, mais pas dans celui du Front populaire). Jusqu’au début des années 80, les socialistes SFIO puis le PS s’inscrivaient dans ce schéma : institution du SMIG, de la 3e semaine de congés payés sous la 4e république, puis la retraite à 60 ans au début du premier septennat de Mitterrand. Les dernières réformes à mettre au crédit des socialistes sont en fait à la mesure des reculs sociaux et de la montée brutale du chômage pendant les années 75-80 : le RMI en 1988 (Rocard), la CMU en 2000 (Jospin), la loi Aubry sur les 35 h permettant l’intensification du travail à travers l’annualisation des heures et la flexibilité. Depuis, le PS est passé ouvertement du côté des libéraux : Jospin a privatisé davantage que ses prédécesseurs de droite, et ce mouvement a continué sans interruption depuis, alors que les nationalisations étatiques (à distinguer des socialisations sous contrôle des travailleurs) étaient un des marqueurs de la gauche réformiste, socialiste et communiste, depuis les années 30. La seule perspective que le PS propose aujourd’hui aux travailleurs, c’est d’utiliser l’argent de l’Etat (des impôts que nous payons, directement ou - surtout - indirectement par la TVA) pour aider le grand capital à maintenir son taux de profit. Passionnant ! De fait, seul le Parti communiste continue à se réclamer du programme réformiste traditionnel (réformes sociales et nationalisations), mais comme il n’a toujours qu’une seule stratégie électorale, l’union de la Gauche avec le PS pour conserver ses sièges d’élus et donc son appareil, il s’enchaîne volontairement et durablement au discrédit et à l’effondrement d’un PS converti au néolibéralisme. En bref, la gauche traditionnelle est désormais trop déconsidérée après des années passées au pouvoir pour représenter un espoir pour les classes populaires.

L’effondrement du mouvement ouvrier est aussi quantitatif : les effectifs syndicaux sont orientés pratiquement partout à la baisse, en chiffres absolus ou au moins en pourcentage (moins de 8 % des salarié-e-s seulement sont syndiqué-e-s). C’est d’une part le résultat d’une stratégie réfléchie de la bourgeoisie après 1968 : casser les gros bastions ouvriers rassemblant des dizaines de milliers d’ouvriers (Renault-Billancourt, Peugeot-Sochaux), éclater les solidarités entre salarié-e-s par le recours à la sous-traitance intérieure et extérieure aux usines, pour au final empêcher une nouvelle grève générale. C’est aussi la responsabilité des directions confédérales inféodées plus ou moins directement au PS, qui ont accepté d’intégrer le mouvement ouvrier au système institutionnel, dans le cadre d’un prétendu « dialogue social », à froid et unilatéral par définition (les syndicats parlent, le MEDEF décide). Et c’est aussi la responsabilité du PS lui-même, qui désormais cherche ouvertement à casser les résistances, par la criminalisation de l’action syndicale (Air France) ou écologiste (Notre Dame des Landes), la répression policière de plus en plus violente, la répression judiciaire et pour couronner le tout, la mise en place d’un état d’urgence emprunté à la Guerre d’Algérie.

5 - Que faire ?

Tout d’abord, dans ces conditions, et puisque nous sommes à quelques jours du second tour des élections régionales, il est bien évident qu’il est hors de question pour nous d’appeler à sauver le PS, qui mène déjà non seulement la même politique économique, sociale et environnementale que la droite, mais fait même des emprunts à l’extrême-droite vichyssoise en brandissant la déchéance de nationalité comme arme suprême ! Hors de question d’aller soutenir, même en se pinçant le nez, ceux qui portent la responsabilité de la mort de Rémi Fraisse, qui font matraquer nos camarades, les mettent en garde à vue par centaines, les assignent à résidence, etc.

Cela dit, nous, dans sa globalité, la gauche radicale a des responsabilités dans cette situation. Même si nous savons que dans les situations de crise économique ou sociale, les révoltes ne partent pas toujours d’emblée dans un sens progressiste (cf. la montée du nazisme en Allemagne après la crise mondiale de 1929), on peut se demander si une occasion de construire une alternative politique et sociale anticapitaliste n’a pas été manquée après l’élection présidentielle de 2002 où le total des candidatures d’extrême-gauche dépassait les 10 % (Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Daniel Gluckstein). Et n’oublions pas que le lancement en 2007 par la LCR de l’idée d’un parti regroupant tous les anticapitalistes sur un programme cohérent a été torpillé par le PCF et Mélenchon dès 2009 au profit d’une coalition au final vaguement antilibérale (le Front de Gauche) et qui n’en finit pas de se déliter. Cet objectif initial du NPA, construire un projet unitaire anticapitaliste capable de redonner de l’espoir en véritable changement social à la classe ouvrière, basé sur ses propres luttes, doit cependant être maintenu contre vents et marées, car nous n’avons pas d’autre choix face à la montée constante de l’influence d’une extrême-droite qui est l’ennemi juré du monde du travail et qui se nourrit du pourrissement de la société capitaliste.

10 décembre 2015, par NPA 49